Pain of Salvation - The Perfect Element, Part. I
Chronique
Pain of Salvation The Perfect Element, Part. I
Revenu d'un exil de plusieurs années, je m'attaque aujourd'hui à une pièce de choix pour les amateurs de finesse : The Perfect Element, Part. I (2000), véritable sommet de la musique dite « progressive », un genre qui a contribué dans mes boutonneuses années à ma découverte du metal. Troisième album des Suédois de Pain of Salvation, il succède à Entropia (1997) et One Hour by the Concrete Lake (1998) et s'est vu révélé par le recul, les critiques et l'accueil public comme un classique du genre. Le combo suédois s'était formé quelques années auparavant autour de Daniel Gildenlöw, véritable tête pensante et compositeur aux multiples casquettes d'un groupe a toujours balancé entre plusieurs styles, suivant les humeurs et les inspirations de son omnipotent frontman. Recherchant de nouvelles sensations après l'immense découverte que représentait Dream Theater pour moi à l'époque où aller acheter un disque de metal au disquaire local entre deux heures de cours au lycée représentait l’Éden de la subversion, je l'ai découvert à la fin des années 2000, à la faveur d'un webzine « concurrent », Nightfall in Metal Earth. C'est à mon tour et avec beaucoup de reconnaissance envers les collègues qui ont accepté de dévoyer leurs « tendances brutales » pour quelques chroniques, de vous en parler sur Thrashocore.
Cet album, révélé par InsideOut il y a maintenant 20 ans, je ne l'ai jamais lâché, malgré une fréquence d'écoute irrégulière dans mon mange-disque. S'il m'est très difficile de vous en décrire le style autrement que par le réducteur « metal progressif », c'est avant tout un concept album riche en émotions contradictoires – à l'image du nom du groupe – qui met en scène, en trois parties, la trajectoire de deux enfants, « He » and « She », qui se développent à contre-courant de la société à cause des abus multiples dont ils ont été victimes. Baladés entre les violences de toutes sortes, ces personnages grandissent au fil de l'album jusqu'à entretenir eux-mêmes leur propre violence et devenir inadaptés à la société.
Leur sillon de souffrance commence avec « Used », qui dépeint à l'aide d'un tempo enlevé et dynamique comment le personnage masculin, « He » enfant s'est habitué à la douleur qui lui est infligée quotidiennement avec une terrible fatalité. Il donne le ton d'un album qui saura surprendre par ses ruptures permanentes de ton et de rythme, comme ce refrain sucré qui interrompt à merveille la cavalcade initiale. « In The Flesh » dévoile ensuite le passé de « She » avec des paroles qui savent rester pudiques mais font froid dans le dos :
« Sometimes the hands that feed
Must feed a mind with a sick need
And the hands that clutch can be
The same hands that touch too much »
Terrifiant. Malgré ses multiples fugues pour échapper à ce quotidien, « She » revient toujours dans son foyer pour continuer à appartenir à quelque-chose. Ces vers sonnent vrai et font sans doute écho aux tranches de vie tragiques observées avec acuité par le parolier Gildenlöw.
La rencontre des deux héros dans le morceau « Ashes » est une explosion d'émotions et marque la pierre angulaire de l'album et de son concept, indissociables. Cette union poétique entre les deux êtres (« Let's burn together ! ») qui s'accrochent l'un à l'autre comme le refrain accrochera l'oreille de l'auditeur averti, introduit un motif ultra mélancolique qui reviendra sur plusieurs morceaux du disque. « Idioglossia », qui développe cette relation entre les deux personnages devenus fusionnels, presque jumeaux comme l'indique le titre, le transcende avec une couche supplémentaire de rage et de violence. Si c'est un procédé classique du genre, cette utilisation a ici du sens : l'auditeur suit ce fil d'Arianne tracé par Pain of Salvation qui vient mourir sur « The Perfect Element », chef-d'oeuvre final du disque qui en marque aussi l'apogée avec le sacrifice dramatique de « He ».
Malgré son maelstrom d'influences et de styles, cet album très innovant sait rester cohérent. Les Suédois savent parfaitement fusionner les passages nerveux aux harmonies contemplatives et aériennes. Leur metal polymorphe reste toujours au service d'une majesté et d'une beauté permanente dans les riffs, qui n'ont d'égal que leur maîtrise d'orfèvre des émotions. Malgré la relative longueur de l'ensemble (1h12 au compteur), aucun riff n'est répété inutilement et l'équipe scandinave a su éviter avec brio les duels de manches stériles, au profit de la mélodie pure. Le quintet n'est pourtant pas avare en passages techniques, électrisés par des changements de rythme ou des breaks surprenants. Le groupe ne se met aucune oeillère : on passe d'une balade chill au piano à un refrain doom (« NEVER... FORGET... ») qui cède à son tour sa place à un rythme oriental endiablé sur le morceau absolument fou « Her Voices ». Assurément un coaching gagnant.
Ces guitares au son léché et racé rivalisent aussi en soli emblématiques partagés entre Johan Hallgren et Daniel Gildenlöw. On pense tour à tour à ceux d'« Idioglossia » de « Ashes », de « King of Loss », ou celui plus intimiste, de « Song for the Innocent ». Une atmosphère très floydienne pointe le bout de son nez dans « Falling ». Quant à la basse de Kristoffer Gildenlöw, ronde et limpide, elle apporte une vraie sensualité à l'ensemble ; le nouveau mixage lui fait d'ailleurs une place de choix. Le clavier de Fredrik Hermansson vient le saupoudrer – sans jamais l'envahir – de délicats violons, de cristallins piano et d'obsédants xylophones, bien accompagné par un discret ensemble de cordes qui souligne avec brio ses vibrantes mélodies. Johan Langell conduit la troupe d'une main de maître avec un jeu très subtil sur les cymbales, charley comme ride (le pont oriental de « Her Voices ») dans des patterns toujours très travaillés, montrant son humilité comme son extrême facilité technique.
Enfin, comment ne pas dire un mot sur la voix qui porte cet album à bouts de bras ? L'organe tentaculaire du polyvalent Daniel Gildenlöw, immédiatement identifiable, s'impose comme la signature de Pain of Salvation. Ce vocaliste s'est toujours aventuré sur de multiples territoires. L'homme emprunte tantôt des accents soul (« Her Voices », « Song for the Innocent »), s'engage avec moult conviction dans des tremolos improbables pour dépeindre la folie (« Used »), parle, chuchote, envoie parfois des flows hip-hop prononcés (« Idioglossia »), une habitude bien ancrée chez le bonhomme qui n'est pas parmi ses plus franches réussites. Cette omniprésence pourra crisper, car son ego et sa personnalité transpire par tous les pores de ses créations. Ne le condamnez pas trop vite ! Son empreinte unique pourra vous énerver et vous séduire avec la même intensité.
À l'image de son parcours tortueux chez moi, il faudra évidemment de nombreuses écoutes à ceux qui découvrent ou décident de donner une nouvelle chance à ce disque pour en saisir la substantifique moelle. Pour satisfaire ces potentiels clients, The Perfect Element, Part. I s'est offert en cette année 2020 un « anniversary mix » qui lifte sa production et offre encore davantage de saveur à l'ensemble. L'occasion idéale de constater que son intriguant général baba-cool et son peloton de l'époque y avaient mis toute leur âme.
| Voay 3 Décembre 2020 - 1309 lectures |
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