Evergrey - The Atlantic
Chronique
Evergrey The Atlantic
Chouette, un album aquatique. En général, ils me réussissent plutôt bien. En témoigne, dans un registre finalement assez proche, le chef-d'oeuvre absolu Ocean Machine de Devin Townsend que j'ai chevillé au corps depuis des lustres. Ici, il est davantage question de l'Océan Atlantique, immense étendue d'eau qu'Evergrey utilise comme métaphore pour décrire les péripéties de la vie que doit traverser chaque individu. Un concept qui a servi de fil rouge aux deux opus précédents. Hymns For The Broken (2014) était l'album de l'action et du tumulte. Il réussissait au passage la mue amorcée depuis un moment par les Suédois, les dirigeant vers un metal plus accessible, plus direct et moins tortueux que celui qu'ils composaient à leur formation en 1995 puis dans une bonne partie de la décennie suivante. Son successeur, The Storm Within (2016), plus emphatique, était consacré aux épreuves mentales, au bouillonnement intérieur qui secoue bon nombre de surefficients de notre monde. Dans ce laps de temps de trois ans jusqu'à l'album dont il est question ici, Tom S. Eglund a du en effet essuyer une sacrée tempête, avec le délitement de son mariage et son divorce d'avec sa femme Carina, mettant du même coup fin à leur collaboration historique au sein du groupe. The Atlantic est donc autant le troisième volet d'une trilogie qu'un album cathartique pour le frontman et guitariste, accompagné du line-up de fidèles qui porte ses compositions depuis le début de la décennie 2010 : Rikard Zander (claviers), Johann Niemann (basse), Jonas Ekdahl (batterie), revenu dans le groupe depuis 2014 ainsi que l'historique Henrik Danhage (guitare) qui le secondait déjà au début des années 2000.
Est-ce le contexte en arrière-plan qui contribue à pousser les émotions à leur paroxysme, un regain d'inspiration aussi soudain que miraculeux ou tout simplement le groupe qui a décidé de durcir le ton en étant absolument clinique ? Sans doute les trois à la fois, mais force est de constater que The Atlantic est autant le meilleur album de cette trilogie que le meilleur opus d'Evergrey depuis un bon paquet d'années. Il fait en tout cas partie des tous meilleurs albums récents du groupe suédois, surtout si on considère que les In Search For The Truth (2001) et autre Recreation Day (2003) demeurent intouchables. En tout cas, le quintet approche clairement, avec cette sortie audacieuse, des meilleurs moments de sa carrière. Il faut dire qu'ils ne tardent pas à lancer l'auditeur dans le grand bain après les quelques coups de sonars inaugurant « A Silent Arc » et la grande exploration qui suit. Dès les premiers riffs en « palm mutes » qui l'ouvrent sur les chapeaux de roue, un souffle épique – qu'aucun morceau faible ou anecdotique ne viendra faire retomber – règne en maître absolu. Passée cette ouverture surpuissante qui passe par plusieurs tempi (des effluves doom aux herses plus extrêmes) et atmosphères toujours ultra mélancoliques dans une ambition et une inspiration qui semblent toutes deux débridées, l'album galope de cavalcades en cavalcades dans une fuite en avant qui dispense bon nombre de coups de fouet salvateurs. Qu'ils soient bas-du-front et ultra efficaces (« Weightless » et sa rythmique saccadée jouissive qui se voit hissée vers les sommets par un riff démembreur de cervicales vers 5'22'', « A Secret Atlantis » et son sentiment d'urgence permanent), ou plus introspectifs (l'aérien et gravitationnel « End Of Silence », marbré de célestes accords de piano et d'une ligne de basse arachnéenne), ils claquent tous avec la même intensité.
D'autant plus que Tom S. Eglund qui n'a, comme vous l'aurez compris à la lecture de ma nécessaire tribune people, plus grand chose à perdre, lâche totalement les chevaux dans des refrains absolument solaires, faisant écho à la sublime pochette jaune orangée à l'arrière-goût d'apocalypse que Giannis Nakos offre à ce dixième opus. Toutes ses saillies semblent immédiatement mémorisables, comme ce bijou d'émotion qui vient transcender le puissant mid-tempo « All I Have » et vient faire gicler son remous directement dans le cœur...
« It's all I have
It's all I have
All I have
All I own that I can give to you... »
Touché. D'autant plus lorsque lui succède cette structure contemplative aux accords ravageurs ainsi qu'un solo d'inspiration céleste venant souligner la solennité de l'instant. Magnifique. Oui, c'est bien la beauté immédiate qui, elle aussi, règne sans partage sur ce The Atlantic, avec sa myriade d'instants touchés par la grâce qui viennent régulièrement en illuminer l'écoute. Par bien des aspects, cet album correspond à la rêverie langoureuse présentée dans « A Silent Arc » et diffuse cette sensation euphorisante qui s'empare des marins lorsqu'ils aperçoivent la terre ferme après un long périple et l'indiquent à plein poumon aux autres membres de l'équipage.
« Our heaven's dead
A silent arc
A reverie adrift for years
Our heaven is dead
In search for new horizons
Sunrise for new horizons »
Car Evergrey semble avoir atteint la Terre Promise, impulsant systématiquement une grande générosité dans ses mélodies, avec des patterns ultra accrocheurs souvent portés par les lignes de claviers très inspirées de Rikard Zander, comme c'est le cas dans « Currents » ou encore « The Beacon », renforcé de clins d'oeil 8-Bits qui dispensent tous deux des boucles totalement obsédantes venant transcender l'atmosphère globale. Ce regain d'inspiration se ressent également dans un riffing d'une fluidité implacable, comme autant de vagues qui viennent inlassablement se briser sur la poupe du pauvre auditeur groggy : la conclusion « This Ocean » n'aura qu'à asséner le coup de grâce avec ses guitares ronflantes et son refrain ultra efficace. Mais même lorsque la furie s'interrompt un peu pour laisser place à la douceur mélancolique de « Departure », la flamme reste allumée, que ce soit grâce à la ligne de basse délicieuse de Johann Niemann qui porte tout l'édifice sur ses épaules ou aux lignes de piano très « Kevin Mooresques » qu'offre délicatement Rikard Zander à un parterre déjà marqué au fer rouge par les pistes précédentes. Même dans ce registre pourtant assez casse-gueule, les Suédois excellent et réussissent à accoucher de la ballade parfaite, à laquelle un beau solo vient offrir un supplément de profondeur.
Oui, rien ne semble pouvoir arrêter Evergrey sur ce magnifique The Atlantic. Cette sortie au goût de panacée a tout de l'album ultime : il est autant la conclusion idéale à la trilogie amorcée cinq ans plus tôt qu'une catharsis palpable et nécessaire pour son maître à penser comme pour ses acolytes. Il n'y a pas de doute, ce dixième opus totalement réussi vient récompenser les nombreuses années que ces Suédois ont consacré à épurer leur style et à le rendre plus moderne, comme le disent à demi-mot ces sonorités de claviers de plus en plus tournées vers l'efficacité clinique. Avec ce dixième opus, ils récoltent donc les fruits d'un travail de longue haleine sans mettre de côté une ambition toujours facilitée par les considérables moyens techniques déployés ici, à l'image de cette colossale production qui rend chaque riff épique un peu plus écrasant. Décidément, ces albums aquatiques...
| Voay 12 Août 2022 - 2143 lectures |
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