Par où commencer ? C'est qu'il y a un sacré gap entre la dernière chronique que Kleim Antyne, ancienne membre de votre webzine préféré, consacrait à
Evergrey en 2006 et celle que je m'apprête à écrire bien des années plus tard. C'est bien la preuve que Thrashocore a traversé les époques... En ces temps plus propices aux découvertes enthousiasmantes, les Suédois étaient un groupe qui explosait tout sur son passage. Ils avaient déjà interpellé leur monde avec l'excellent
In Search Of Truth (2001) au statut culte, fort justement sanctionné d'un 9/10 par ma collègue de l'époque, puis transformé l'essai avec leurs deux sorties suivantes :
Recreation Day (2003), présenté par notre plume hespéridée comme « leur meilleur album à ce jour » et
The Inner Circle (2004). Impossible de dire si le virage plus mélodique amorcé avec
Monday Morning Apocalypse (2006) et confirmé par les sorties suivantes l'avait convaincue. Reste que
Evergrey a continué le rythme effréné de ses parutions sans que Thrashocore ne puisse suivre la cadence. Avec
The Atlantic (2019), le groupe atteignait probablement l'apogée de cette formule brevetée depuis des années, soit une ossature progressive et mélodique héritée de leurs débuts, permise par la technique éclatante de ses musiciens et habillée d'atours dark et metal cristallisés par une production de plus en plus massive. L'ensemble est porté depuis les débuts par l'aura de son leader, guitariste et compositeur Tom S. Eglund, qui s'est toujours entouré de membres fidèles : Henrik Danhage (guitare), Rikard Zander (claviers), Jonas Ekdahl (batterie) ou encore Johan Niemann (basse) qui le suivent tous plus ou moins depuis le début des années 2010.
Comme bien d'autres groupes malheureux comme la pierre durant la période de pandémie, cette petite troupe a combattu les vides de leur emploi du temps en composant du nouveau matériel toute la journée. Les Suédois ont tellement carburé qu'ils ont raffiné assez de gemmes pour sortir deux albums coup sur coup. Après
Escape Of The Phoenix en février 2021, que les Suédois n'ont quasiment pas pu défendre sur scène en dehors de leur pays, voilà que
A Heartless Portrait (The Orphean Testament) et sa sublime pochette aux nuances sombres et angéliques vient de nouveau envahir les platines au mois de mai de l'année suivante. Si le processus était courant dans les trois décennies précédentes, les regards soupçonneux ne manquent pas de pleuvoir sur le bataillon suédois. Et pour cause, il y en a effectivement quelques redites entre le précédent opus et celui-ci, tant le laps de temps entre les deux sorties paraît réduit. On retrouvera par exemple des éléments du refrain de « Nocturnal Eternal » maladroitement remodelés sur le morceau-titre « The Orphean Testament ». Oui, ce treizième opus n'est pas exempt de temps morts, comme ce « Heartless » un peu générique ou encore cette ballade finale un peu mièvre « Wildfires ». Tant et si bien que les premières écoutes pourront même donner l'impression aux badauds de passage (dont j'avoue avoir fait partie durant un temps) du simple « album de plus ».
Et pourtant, ne vous-y trompez pas,
A Heartless Portrait (The Orphean Testament) mérite sa chance, tant il exploite bien les nombreuses qualités du groupe et surpasse par bien des aspects son prédécesseur qui était effectivement un peu fade (malgré la présence de l'auguste James LaBrie l'espace d'un morceau). En effet,
Evergrey s'avère extrêmement doué quand il s'agit de façonner des mélodies accrocheuses, à grand renforts de « palm mutes » dévastateurs et de notes de claviers enchanteresses. Certes, les sonorités actuelles du groupe sont moins complexes et flirtent davantage avec le metal « easy listening » que la maestria progressive avec laquelle ils composaient à leurs débuts. Reste que cette tambouille moderne fonctionne tout de même très bien. Et tourne même à plein régime durant les premiers instants de l'opus, avec la magnifique ouverture « Save Us » qui ne prend pas de gant pour toucher directement au cœur avec sa rythmique carabinée, son refrain fédérateur renforcé par les choeurs martiaux des « die-hards » du groupe et les touches sur lesquelles appuie délicatement le toujours très efficace Rikard Zander. Il en va de même pour le très charmeur « Call Out The Dark », introduit par le claviériste à l'aide d'une mélodie instantanément imprimée dans l'inconscient, qui servira de contour obsédant à tout le morceau. Bien des instants du disque montrent qu'
Evergrey n'a rien perdu de sa superbe et sait toujours installer une chape de plomb mélancolique en très peu de temps, capable d'atteindre prestement les cordes sensibles. « Ominous », par exemple, morceau qui traite du harcèlement, laisse apparaître une authentique noirceur, correspondant parfaitement à la direction artistique générale. Il s’en dégage une sorte de majesté mystérieuse que seules les écoutes répétées et rigoureuses pourront dévoiler. Même l'impersonnel « The Orphean Testament » qui revient sur le mythe d’Orphée et son tragique échec à sauver sa douche Eurydice des Enfers, se métamorphose en installant un sublime break d'inspiration doom qui parvient à le hisser cet édifice vers les temps forts du disque. Force est de reconnaître qu'il se passe clairement quelque-chose dans « The Great Unwashed » (vers 2'45''), qui émiette à plusieurs reprises ses sonorités orientalisantes, avant de laisser à Tom S. Eglund toute la marge de manœuvre, accompagné des quelques notes de Rikard Zander :
« We'll always unite in the end
We're stronger than most just pretend
We never mind the dark... »
Cette sorte de slogan qui pourrait résumer ce dernier album d'
Evergrey fait très forte impression, juste avant ce solo magistral qui tracte l'ensemble vers l'ultime refrain aux airs de libération. De badaud de passage, je passe à groupie infernale pour entonner cette litanie accrocheuse aux côtés du charismatique frontman. De même, je ne manque pas d'être entraîné par les relents épiques que propose
A Heartless Portrait (The Orphean Testament) à plusieurs reprises. Outre l'efficace « Midwinter Calls » qui a l'avantage d'être un hymne immédiat sur lequel le groupe a renouvelé son invitation à la centaine de fans venus hurler des toplines fédératrices, le turbo-énergique « Blindfolded », taillé pour le live avec son artillerie de « palm mutes » déchaînés et son solo de clavier en « ragtime » contribuent à raviver la flamme. Mais le véritable chef-d'oeuvre de cet opus reste « Save Us » et sa tonalité offensive soutenue par le jouissif tapis de double pédale envoyé par Jonas Ekdahl, comme pour appuyer ces paroles pleines d'urgence, dénonciatrices de réseaux sociaux qui ne font que voler le peu de temps que nous avons à passer sur terre. Là,
Evergrey atteint la parfaite balance entre les atmosphères contemplatives et les coups de boutoir ravageurs, maîtrisés à la perfection. Bien aidé par une touche délicate d’auto-tune, Tom S. Eglund y est resplendissant lors de cet entêtant refrain qu'il prophétise avec sa classe habituelle, accompagné de sa chorale de fidèles :
« 'Cause we are wrong to feel
Like our hearts have all the time we need
Save us !
We must go on and dream
Save us
Save us ! »
Classieux, cet album l'est assurément. Comme la batterie de clips que les Suédois ont proposé pour assurer une promotion habile à
A Heartless Portrait (The Orphean Testament), respectant à la lettre une direction artistique extrêmement cohérente, de cette pochette cosmique et ésotérique, certainement l'une des plus belles du groupe, aux mises en scène où les fumigènes et les foulards rouges sang viennent opportunément remplacer les masques chirurgicaux et raconter une histoire cohérente. Même si j'ai bien conscience que ce treizième opus n'est certainement pas leur meilleure sortie, il comporte quelques temps forts suffisamment immanquables pour le hisser vers le côté clair de leur discographie, la partie immergée d'un iceberg qui commence à prendre une bonne place dans les meubles à CD. Les années passent,
Evergrey reste : il y a fort à parier que ce mélange entre metal moderne et prestations progressives, toujours luxueusement vêtu de cette couche sombre aussi immédiate que séduisante saura encore appâter bien d'autres badauds de passage.
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