Oh oh, alerte au chef-d'oeuvre! Alerte au chef-d'oeuvre les enfants! Enchaîner les classiques du metal progressif, tel est le credo qu'a décidé de suivre
Vanden Plas dans un début de carrière retentissant. Cette nouvelle offrande massive nous est offerte par ces cinq habitants de la ville de Kaiserslautern en Allemagne : Andy Kuntz (voix), Stephan Lill (guitare), son frère Andreas (batterie), Torsten Reichert (basse) et Günter Werno (claviers). Ce quintet au line-up d'une stabilité exemplaire joue ensemble depuis 1990, quatre ans après la fondation du groupe. Après quelques démos et un album influencés par le hard FM carabiné de
Van Halen, le groupe s'est autorisé à composer un metal plus technique, qui mettait davantage en avant leur virtuosité. Leur précédent album
The God Thing (1997) franchissait une étape dans la technicité de leurs compositions, rehaussant les inspirations progressives du combo. Il faut dire que
Dream Theater avait fait éclater les barrières du genre avec
Images and Words (1992) et le plus sombre et technique
Awake (1994).
Far Off Grace, paru en 1999 chez InsideOut Music, s'impose déjà comme l'album de la maturité pour les Allemands: c'est là qu'ils commencent à mieux digérer leurs influences, sans pour autant les renier. Il leur permet aussi d'arborer deux de leurs mascottes emblématiques sur cette pochette aux tons orangés : la rapière stylisée en forme de croix, déjà présente leur précédent opus et le visage aux tatouages tribaux, qui servira de toile de fond pour leur premier album live,
Spirit of Live, enregistré à l'Élysée Montmartre un an plus tard.
Paré de ces totems cérémonieux, les Allemands sont plus forts que jamais. Il ne peut rien leur arriver sur ce disque. Bien que la production n'atteigne pas tout à fait la vigueur et la limpidité de ses successeurs, elle fait suffisamment honneur au metal technique et épique qu'ils balancent sur ce
Far Off Grace, syncrétisme presque parfait entre les riffs accrocheurs à en crever de leur premier opus et la virtuosité classieuse de leur deuxième. Dès son premier morceau fulgurant « I Can See »,
Vanden Plas rend la vue aux aveugles. Cette ouverture martiale allume un feu de joie qui ne faiblira pas durant la grosse heure que dure cet album. Les morceaux cultes s'y enchaîne avec une fluidité chronique. Le combo impulse un groove décapant sur certains passages, comme l'intro d'« Into the Sun » et sa basse virevoltante. Quand le palpitant s'emballe et suit le rythme du tempo martelé par la double pédale d'Andreas Lill et les « palm mute » de son frère, le groupe nous fait plonger avec lui dans cette fournaise de lave incandescente qui prend la forme d'une cérémonie païenne mystique au grès des paroles d'Andy Kuntz. La fin du morceau laisse résonner les nappes de claviers aériennes de Günter Werno pour lui offrir une ascension intersidérale, consacrant le morceau comme un véritable chef-d'oeuvre. Mais ce n'est que le début. Le groupe brille encore par ses refrains qui impriment leur marque dans mon inconscient. Il n'y a qu'à entendre une fois celui de « Where Is The Man »...
« Where is the man ?
Kind of a stranger, a dual experiment
Where ? Where is the man ?
Under this « rosary cirus », you cover the « eden » with hands »
… pour s'en souvenir à jamais. La phase de soli, menée tantôt par Stephan Lill à la guitare, tantôt par Günter Werno aux claviers, qui intervient vers 3'34'' et les voit se rejoindre progressivement pour délivrer une offrande ultime, a la double qualité d'être à la fois virtuose et accrocheuse. Sous nos yeux ébahis, se dresse une alternance incroyable entre fulgurance mélodique et vitalité technique. Cette sentence pourrait d'ailleurs résumer les ambitions des Allemands. En effet, ils ne font jamais l'erreur de proposer un metal progressif qui serait trop démonstratif, privilégiant toujours l'efficacité : il s'agit, comme l'affirme Stephan Lill dans une interview donnée à Hervé Guégano pour CNR Music « de composer des chansons, pas d'épater la galerie par nos prouesses instrumentales ». Les Allemands font pourtant très bien les deux sur
Far Off Grace, moins accessible que ses deux grands frères par son côté sombre et complexe. Ils ne négligent pourtant pas, bien au contraire, ce qui fait toute la saveur de leur musique : derrière les breaks expérimentaux et aventureux avec lesquels ils expriment leur talent, clamant haut et fort leurs ambitions, se cachera bien souvent un riff mémorable, impossible à oublier.
C'est le cas dans le bien nommé « Inside Of Your Head », classique parmi les classiques, dès son intro totalement emblématique qui annonce un très grand morceau. Cet arpège coulant évolue vers une série d'accords martiaux démentiels pour exploser dans ce refrain en forme d'hymne absolu : « Inside your head, inside of your mind, inside of ME! ». Andy Kuntz y plane comme un albatros. Günter Werno s'y illustre par un solo de synthétiseur anthologique, avant de laisser la place à son auguste guitariste pour le soutenir de quelques notes de piano. Qu'est-ce que ça sonne bien, bordel.
Far Off Grace fait le tour de force de proposer une immense variété de plans, qui parviendront à surprendre à chaque écoute. Le tube « Iodic Rain », plus technique et dissonant, rappellera par exemple la foudre d'un
Awake (1994). Mais plus encore qu'auparavant, les Allemands développent leurs propres qualités, après cette intro tentaculaire au tempo déchaîné. On retrouve vite les « palm mutes » caractéristiques de Stephan Lill, qui roulent des mécaniques sur un habile contretemps orchestré par la caisse claire de son frère. Il enchantera encore le morceau par un solo incroyable, utilisant des tonalités orientales pour faire briller la voix mythique d'Andy Kuntz.
En tout cas, les musiciens semblent au zénith de leur créativité ; rien ne leur résiste. Chaque note de ce
Far Off Grace affirme leur apport considérable à l'histoire du metal progressif. Le claviériste Günter Werno disperse ses motifs totalement obsédants dans tous les morceaux de l'album, contribuant à l'habiller d'un apparat iconique. Dans le morceau-titre, par exemple, il glisse quelques notes ultimes juste après le refrain pour lui offrir un supplément de majesté. Tout comme ces accords de piano virevoltants qu'il utilise pour faire ressortir le meilleur de la voix d'Andy Kuntz. Il en va de même, cette fois, pour Torsten Reichert, le discret bassiste du combo, qui occupe lui aussi tout l'espace laissé à son instrument. Sa frappe qui allie douceur et agressivité porte les morceaux comme Atlas porte le monde. Sur « Into the Sun », il laissait entendre une ligne galopante. Sur « Fields of Hope », il sculpte à lui tout seul l'ossature du morceau, jusqu'à graviter seul autour du mid-tempo plein de lourdeur impulsé par la frappe maousse d'Andreas Lill, bientôt rejoint par son frère pour un énième solo mémorable. Le morceau participe également à la variété de cet album, puisqu'il se permet une nouvelle incartade dans les sonorités orientalisantes, avant de gifler l'auditeur avec ses riffs heavy au possible, à l'image de ses parades finales incandescentes. La turbo ballade chorale « I'm In You », dotée d'envolées de piano et de synthétiseur magnifiquement naïves et surannées qui subliment un autre refrain obsédant, viendra faire expirer ce troisième full-length avec une grâce infinie. Les Allemands n'auront plus qu'à s'offrir deux reprises en guise de digestif : celle de
Dokken, « Kiss of Death », leur permet d'exprimer leur potentiel agressif et celle de
Sting, « Shape of My Heart », leur maîtrise des émotions, déjà raffinée sur l'EP
AcCult en 1996.
En 1999, j'étais trop investi dans le « classico » entre CM1 et CM2 qui avait lieu à chaque récréation de mon école primaire pour avoir entendu parler de
Vanden Plas. Lors de cette année de tous les possibles qui aura été marquée, outre la fondation de votre webzine préféré, par la sortie fracassante de
Metropolis, Pt. 2 – Scenes from a Memory de l'autre côté de l'Atlantique, les Allemands frappaient un grand coup dans la fourmilière du metal progressif en signant un autre chef-d'oeuvre.
Far Off Grace avait déjà les épaules assez large pour regarder cette autre sortie dans les yeux. Mieux encore, il contribuait, malgré cette envahissante concurrence, à imposer plus que jamais
Vanden Plas parmi les piliers du genre. Ajoutez à cela des thématiques ultra touchantes dans les paroles, autour de la famille, « âme collective » qui peut parfois se déchirer lors de la perte de l'un de ses membres, et on tient tous les ingrédients pour faire de ce disque un chef-d'oeuvre. Le recul, ainsi que sa production un peu datée, lui a peut-être fait prendre quelques milligrammes de poussière, mais sa puissance émotionnelle et épique triomphera toujours de l'épreuve du temps.
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