Mes bien chers frères, mes bien chères sœurs, ouvrez grand vos écoutilles et accueillez dans vos cœurs ce classique du metal progressif.
Vanden Plas n'avait pas tout à fait trouvé son style dans
Colour Temple, leur premier album paru en 1994. Ils se retroussent les manches et le polissent dans un EP de reprises devenu culte avec les années,
AcCult, en 1996. Il est l'oeuvre d'un quintet, formé dix ans plus tôt autour de Stephan (guitare) et Andreas (batterie) Lill, avec Andy Kuntz (voix) et rejoints dès leurs débuts par Torsten Reichert (basse) et Günter Werno (claviers). Que leurs noms soient sanctifiés. Ces cinq apôtres profitaient de l'occasion pour réenregistrer certains de leurs titres en version acoustique. Mieux que ça, ils faisaient le pari de reprendre des standards du rock progressif, comme les tubes du groupe
Marillion, « Kayleigh » et « Theme From Pseudo Silk Kimono ». Ils exercent ainsi leur capacité à créer à leur tour des mélodies obsédantes. Plus osé encore, ils reprennent « Georgia on My Mind » de
Ray Charles, ce qui permet à leur chanteur d'explorer d'autres tessitures et de montrer, au passage, sa parfaite maîtrise de celles-ci. Au summum de l'aventure, notre homme va jusqu'à traîner un délicieux accent teuton dans une reprise en français du tube absolu du chanteur suisse
Stephan Eicher, ce qui donne un moment de grâce hautement improbable, « Des Hauts, Des Bas », tout en accords de piano célestes de Günter Werno et en cabotinage lyrique. Cette reprise décalée me laisse à terre, totalement interloqué. Passée la surprise, ce feeling d'un autre temps, ce phrasé chantant au charme dévastateur qui affirme avec une gouaille éclatante que « je n'avais pas toué monne père » ou que « j'ai mêmu ce que je n'voulais paaas » m'a foutu une claque historique. J'en porte encore la marque sur ma joue rougie, à tel point que j'ai bien de la peine à reprendre mon souffle pour parler du céleste
The God Thing, paru un an après cet EP extraterrestre resté dans les mémoires, sur votre webzine préféré.
Pourtant, il en vaut carrément le coup. Les potards du metal progressif, resté en milieu de curseur sur
Colour Temple (1994), sont ici poussés à leur maximum.
Vanden Plas a énormément travaillé sa technique et revu ses ambitions à la hausse. C'est le message qu'envoie à la face du monde leur introduction virtuose « Fire Blossom », toute en polyrythmie subtile. Cette « mise à jour » leur permet d'accoucher d'un tube intergalactique avec « Rainmaker ». Tout pue le culte dans ce morceau, de ses envolées de claviers jusqu'au solo incroyable que lui offre Stephan Lill et son touché diabolique. Dès son ouverture en « tapping » et la montée en puissance préparée par une ligne de basse arachnéenne, on sent qu'on va se prendre une saucée de mélodie incroyable sur la gueule. Lorsque le « main riff » explose, surplombé par ses accords de piano dynamiques, c'est un classique intemporel qu'on se ramasse, confirmé par le passage débridé qui cartonne les esgourdes à grands coups de soli fulgurants vers 4'20''. Les Allemands viennent de livrer leur « Pull Me Under » à eux. En effet, l'influence
Dream Theater transparaît plus que jamais ici, jusque dans la production qui a tendance à un peu trop enfermer
The God Thing dans son époque, de même que les sonorités un peu datées qui vont avec. Pourtant, c'est peut-être l'un des seuls défauts que je suis capable de relever dans ce disque, tant il semble abouti sur la plupart des autres points. Le concept sous-jacent qui donne son titre à l'album, déjà. Le groupe questionne habilement l'existence de Dieu dans neuf titres aux paroles bigrement intelligentes et poétiques, signées de la main de l'excellent Andy Kuntz. Notre homme excelle dans cet exercice : il faut dire que les Allemands ont toujours eu à cœur de livrer des paroles soignées pour accompagner leurs mélodies racées. Ils considèrent d'ailleurs dans certaines interviews qu'elle sont aussi importantes que leur musique. Dans le même ordre d'idées, nos Caseloutrins s'offrent une identité visuelle forte, avec l'épée stylisée qui fera office de mascotte, entrelacée sur la pochette de
The God Thing dans la sculpture de Cesare Marcotto.
Et puis merde! Bien qu'elles soient objectivement vieillottes, ces sonorités typiques du metal progressif des années 1990 font toujours leur petit effet. Les Allemands ont trouvé la recette. « Garden of Stones » ou « Crown of Thorns », avec leurs ouvertures intimistes au piano, jouent dans la même cour qu'un « Another Day » avec leurs mélodies virevoltantes à la Kevin Moore et leurs nappes de claviers contemplatifs, tout comme « Day I Die » et ses violons saccadés un peu surannés mais tellement délicats. De même, la basse dynamique de Torsten Reichert apporte un feeling dantesque à cet album : c'est elle qui, à l'aide de son doigté précis, articule les moments de montée en puissance de plusieurs morceaux et entretient le souffle épique de cet album. C'est également elle qui introduit « In You: I Believe » et tient la baraque de ses passages expérimentaux. Ses partitions ciselées sont d'une efficacité chronique, comme sur « We're Not God » qui dévoile le doigté ultra précis du gonze. Ces deux morceaux cités m'évoquent davantage la période
Awake (1994) des New-Yorkais, montrant au moins la capacité technique des Allemands à se hisser au niveau de leurs inspirations. En tout cas, c'est si plaisant d'entendre une basse aussi bien mise en avant, comme dans « Salt In My Wound » où elle fait le lien, seule, entre les différents temps de morceau en mid-tempo ou dans « You Fly » où elle participe avec réussite à la rythmique en contretemps développée par le combo. La production de
The God Thing, si elle a pris quelques années, a au moins le mérite de donner à cet instrument essentiel une place de choix et de la réintroduire sur le devant de la scène, après une discrétion regrettable dans
Colour Temple (1994). La section rythmique fonctionne à plein régime ici : la frappe directe et sans fioriture d'Andreas Lill donne à ces morceaux un supplément de percussion évident. Elle contribue au côté efficace et direct que développent les Allemands, malgré une virtuosité éclatante : la profondeur du son de grosse caisse et son attaque claquante de caisse claire soutiennent parfaitement les hymnes inspirés de ses camarades, notamment lors des passages où la lourdeur est de mise : les « palm mute » de « You Fly » lui permettent de laisser exploser toute sa virtuosité dans un subtil jeu de double pédale.
En outre, malgré quelques manières et tremoli un brin exagérés, Andy Kuntz tire systématiquement l'album vers le haut, laissant éclater toute sa classe à plusieurs reprises, notamment dans le cadre d'un duo avec le piano de Günter Werno lors du morceau « Crown of Thorns », qui dévoile un refrain épuré, tout en maîtrise des tessitures aiguës :
« Listen to the crown of thorns, stick it in my head!
Listen to the crown of thorns, dry the bleeding in the dirt!
Listen to the crown of thorns, in a shade of grace!
Listen to the crown of thorns, turn into a palm of rose »
Ce passage me crucifie systématiquement. Lorsque retentissent ces violons emblématiques qui présagent l'explosion du morceau et le lancent dans un passage épique qui laisse retentir une envolée en « sweeping » du guitariste Stephan Lill et un solo en shred dévastateur,
Vanden Plas entre dans l'histoire du metal progressif, tout simplement. On ne compte plus les moments de gloire de son chanteur sur leur second opus : la répétition de « and you fly », presque chuchotée par un théâtreux possédé, impose une voix habitée, expressive, pleine de talent, l'amène vers son terme. Il continuera à développer ses qualités : force est de reconnaître qu'il n'est pas encore, en 1997, le chanteur ultime qu'il sera dans le futur. Il se distingue encore, comme il l'avait fait sur l'EP
AcCult, d'une reprise en français d'un morceau de
Colour Temple, « How Many Tears », manière d'exprimer la gratitude des Caseloutrins au public français qui les ont accueilli avec dévotion à la Péniche à Lyon et à la Locomotive à Paris à l'occasion d'une tournée acoustique en 1996. L'occasion d'entendre à nouveau cet accent français un brin maladroit mais si savoureux... c'est aussi le début d'un lien particulier avec l'hexagone que le groupe entretiendra durant toute sa carrière. Alors certes, à l'heure du bilan, l'ombre de
Dream Theater plane dans tous les recoins de cet album. J'imagine d'ailleurs à quel point il a pu tourner entre les membres historiques du fan club français Your Majesty (cités dans les remerciements), tant il rappelle les réussites ancestrales des New-Yorkais. Toutefois, il laisse déjà entrevoir la personnalité des Allemands et leur faculté à composer un metal progressif épique, toujours fulgurant et surprenant, comme les ruptures de tempo dans l'excellent morceau « We're Not God ». S'ils ne sont pas encore tout à fait des dieux, leur réussite sur cet opus « sophomore » confine au divin :
The God Thing, à grands coups de morceaux emblématiques, invitait
Vanden Plas à la Cène des groupes cultes du metal progressif. Que leur règne vienne. Amen.
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