Odd Dimension - The Blue Dawn
Chronique
Odd Dimension The Blue Dawn
Le metal progressif se porte bien en Italie, à l'image du pionnier Eldritch ou de l'increvable chef de file DGM. Odd Dimension, fondé par Gigi Andreone (basse) et Gianmaria Saddi (guitares) en 2002, fait partie de cette scène dynamique qui fourmille de talents cachés. Après une première démo sortie trois ans après leur formation, New Dimension, ils livrent en 2011, accompagnés du claviériste Gabriele Ciacca, un premier album extrêmement prometteur, Symmetrical, déjà sur le label Scarlet Records. C'était l'occasion pour eux de dessiner les contours d'un metal progressif ambitieux, dans la veine d'un Dream Theater, production maousse en moins. Deux ans plus tard, ils confirment leur potentiel avec The Last Embrase of Humanity, très travaillé et accompli. S'en suit alors un hiatus de sept ans, auquel succède un changement de line-up en 2019 : au recrutement d'un nouveau batteur, Marco Lazzarini, s'ajoute un remplacement (bienvenu) de chanteur, avec l'arrivée de Gianbattista Manenti, remplaçant l'efficace mais un brin ampoulé Manuel Candiotto. Les Piémontais ont pris le temps de réfléchir et de voir les choses en grand pour The Blue Dawn, leur sortie de 2021, en proposant un concept-album de science-fiction très ambitieux.
Tant et si bien qu'un effectif digne de la Ligue des Champions vient donner du relief à cette galerie de personnages : outre l'invité de prestige Derek Sherinian (ex-Dream Theater, Sons Of Apollo), venu poser son délicieux orgue hammond sur le morceau « The Blue Dawn », plusieurs voix féminines (Eliana Parodi et Simona Aileen) ainsi que Roberto Tiranti (Labyrinth) viennent tour à tour prêter leur organe aux mélodies du groupe. Contée dans certaines pistes par le Gardien, campé par Gigi Andreone, cette histoire met en scène deux personnages principaux, les Voyageurs, envoyés coloniser la planète Axtradel par le Dirigeant, incarné par Damien Dell'Amico (Mortuary Drape). Gianbattista Manenti se garde le beau rôle, incarnant Markus qui forme avec Eloise ce couple d'émissaires partis d'Alpha Centauri un siècle auparavant pour fonder une nouvelle civilisation sur Axtradel. Alors qu'ils y cultivent paisiblement ressources et descendance depuis de nombreuses années, leur mission se heurte à une péripétie inattendue : l'invasion d'autres voyageurs belliqueux. Visiblement de longue haleine, ce travail monumental sur les paroles de cet opus regorge de bonnes idées. Cette épopée cosmique qui confronte la foi à l'obéissance, la morale à la survie contribue à la richesse de The Blue Dawn.
La qualité de cette sortie se voit de même confirmée par ses premières minutes, qui nous montrent les velléités musicales de Odd Dimension : pratiquer un metal progressif traditionnel, hérité des années 1990. Il faut dire qu'ils s'y entendent particulièrement bien! Les sonorités de claviers choisies par Gabriele Ciacca sont très riches : l'homme alterne entre les accords et notes de piano pour souligner et appuyer les riffs de guitare (« The Invasion », « The Supreme Being »),d'orgue hammond pour habiller les mélodies ou encore les tessitures cosmiques tout droit sorties des seventies (« Landing On Axtradel ») pour parader comme à la grande époque dans ses duels face à son comparse Gianmaria Saddi. Le claviériste se fend d'ailleurs de soli exceptionnels, comme celui qui illumine « Life Creators » de sa pluie de notes fulgurante. De même, le groove qu'impulse le batteur Marco Lazzarini est permanent, avec ses petits coups étouffés de cymbale charleston (« Landing On Axtradel », « The Blue Dawn ») caractéristiques de l'école Portnoy ou encore son travail d'orfèvre sur la ride et sa maîtrise des contretemps. La finesse de son jeu permet aux Italiens d'adopter plusieurs tempi et atmosphères qui leur permettent d'exposer clairement leur concept et sa progression dramatique. Attaqués par les Héliduniens, les Voyageurs et leurs enfants se voient forcés d'évacuer le cocon qu'ils s'étaient créés pour voyager à travers les galaxies.
Cette dérive spatiale d'une bonne heure permet à Odd Dimension d'exprimer leur virtuosité à de multiples reprises, comme sur ces moments instrumentaux qui illustrent l'exode de leurs personnages. La parenthèse qu'ils se permettent sur « Solar Winds » est d'une grande beauté. Tout comme le passage expérimental sur « Escape To Blue Planet » est particulièrement réussi, notamment lorsqu'il atteint son point d'orgue avec le solo de Gabriele Ciacca. Les Italiens sculptent des riffs alambiqués qui peuvent parfois avoir la richesse et la densité d'un Transatlantic, lorsque l'orgue hammond et le « sweeping » fusionnent dans un maelstrom mélodique intense à la fin de « The Invasion ». Toujours dans la finesse, leurs mélodies complexes atteignent des sommets d'allégresse, comme ce refrain diablement accrocheur dans « Life Creators »...
« High! Words are paving the way to a dome
Shed no tears ‘cause this years are so long
In this world full of insanity
Lies! We all lie ‘cause we feel so alone
Create life to fill up this world
That’s gone beyond our reality »
… d'abord chanté seul par Gianbattista Manenti, bientôt rejoint par Simona Aileen, confortable dans son rôle d'Eloïse. L'aura éclatante et instantanément accrocheuse qui en sort en fait le meilleur morceau de l'album. The Blue Dawn fait d'ailleurs la part belle au guitariste Gianmaria Saddi, qui se distingue à plusieurs reprises par ses soli poignants qui offrent un supplément de grandeur aux assauts des Italiens, soutenus par la basse solide du pilier Gigi Andreone, qui se fend d'une subtile montée de notes dans « The Supreme Being » et d'une production satisfaisante bien que perfectible. Le grain des guitares aurait par exemple gagné à exprimer davantage d'agressivité dans certains passages épiques.
Pourtant, malgré le colossal travail sur le concept et la grande maîtrise instrumentale qui en émerge, The Blue Dawn n'échappe pas à plusieurs défauts. L'organisation des lignes de chant et la multiplication des vocalistes confinent parfois à la cacophonie (« Escape To The Blue Planet »). Gianbattista Manenti, s'il se distingue par une tessiture chaude et profonde, se fend de plusieurs maladresses vocales, notamment dans ses tremoli qui manquent leur cible par un côté trop maniéré. Il en fait trop sur certains refrains, cherchant constamment la performance au profit de la simplicité, un tic partagé par beaucoup de chanteurs de ce registre. La fin de l'album est moins réussie que le début : alors qu'il débutait sur les chapeaux de roue, The Blue Dawn meurt péniblement, avec trois derniers morceaux plus faibles. Seul le début efficace de « The Supreme Being » réveille un peu cette ultime trilogie un peu ronflante. Plusieurs passages du full-length utilisent des ficelles un peu vieillottes, qui forcent le trait sur l'émotion. Par exemple, le début de « Sands Of Yazukia » et son refrain mièvre m'évoquent une chanson Disney un peu faisandée. De même, plusieurs morceaux s'étirent en longueur et comportent des riffs qui demeurent trop peu marquant. Odd Dimension perd parfois en efficacité ce qu'il gagne en complexité. En étant intransigeant, on pourrait même généraliser ce constat à des compositions qui manquent – pour la plupart d'entre elles – de motifs emblématiques capables de laisser une trace durable dans la mémoire.
En somme, malgré ses défauts, The Blue Dawn ne manquera pas de contenter les amateurs pointilleux de metal progressif qui sauront reconnaître la grande ambition de son concept ainsi que la richesse de ses compositions. Même si je ne suis pas intégralement embarqué par le talent des Piémontais, force est de reconnaître qu'il est indéniable : Odd Dimension a charbonné dur pour offrir à ses clients un album de qualité.
| Voay 6 Juin 2021 - 1409 lectures |
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