Star One - Revel In Time
Chronique
Star One Revel In Time
Alors que je ponce consciencieusement et religieusement la discographie d'Ayreon dans l'ombre pour votre webzine préféré, l'actualité m'offre le loisir de m'intéresser à l'un des projets annexes de sa tête pensante, le talentueux Arjen Anthony Lucassen. Star One, fondé en 2002 avec le titre évocateur Space Metal, est une excroissance de sa large palette musicale et lui permet d'aborder des thèmes moins sophistiqués que ceux développés dans les grandioses opéra metal qu'il sculpte à la sueur de son front depuis le début des années 1990. Après un Transitus (2020) en demi-teinte, le Hollandais a voulu mettre son projet principal et son grandiose concept au long cours entre parenthèses et retrouver l'espace d'un album quelques thématiques cosmiques chères à son cœur. Revel In Time, en ce début d'année 2022, est donc l'occasion idéale pour les mettre en musique, comme de coutume en compagnie de quelques étoiles du metal connus des services de police. Tour à tour, dans une configuration plus compartimentée que ne peut l'être un opéra d'Ayreon, les sœurs Jansen, Irene et Floor, Ron « Bumblefoot » Thal et Jeff Scott Soto (Sons Of Apollo), Ross Jennings (Haken), Russell Allen et Michael Romeo de Symphony X ou encore Damian Wilson viennent prêter leurs multiples talents à Star One. Chapeautant un beau casting d'une trentaine de noms en compagnie de son fidèle batteur Ed Warby, Arjen Lucassen s'occupe quant à lui des compositions, de la basse et des guitares rythmiques, laissant à ses invités l'opportunité de placer quelques soli bien sentis.
Notre homme semble s'être encore plus amusé que d'habitude. Pour cause, Revel In Time est d'abord et avant tout un album récréatif qui multiplie les références à l'univers de Blade Runner. En évoquant les réplicants dans « Prescient » à l'aide d'un dialogue entre Ross Jennings et Michael Mills (Toehider) construit sur un équilibre virtuose entre les choeurs et des « leads », il aborde un champ lexical très cher à son choeur :
« No, I believe you, I really do, but let’s not overreach
This thing is not just pure mechanics and/or heat
back and forth inside a loop... »
Inutile de dire que le chanteur anglais s'y sent comme un poisson dans l'eau. L'enchaînement des morceaux et des prestations remarquables n'empêche pas Revel In Time d'atteindre une cohérence remarquable : comme l'indique son morceau éponyme aux allures tubesques, doté d'un clip qui met en scène ses interprètes en train de voyager dans le temps et d'enlever des personnages historiques emblématiques, cet opus est axé sur le temps : en l'étirant et en le manipulant dans tous les sens, il fait de ce thème commun à ces onze morceaux le concept global parrainant cet album. De même, le chef d'orchestre a transformé la contrainte imposée par la pandémie mondiale en avantage : forcé de limiter les interactions entre chanteurs et de se cantonner à un morceau par invité, il a décidé de publier un deuxième disque avec les versions « reference tracks » de ses morceaux qui se voient donc interprétés par d'autres vocalistes tels que Marcela Bovio, Marcelo Del Vecchio ou encore John « Jaycee » Cuijpers. Ces versions alternatives, initialement conçues comme des guides vocaux, ont été jugées trop bonnes pour être condamnées au silence éternel, à raison. Même si ce second disque n'apporte qu'une plus-value relative, force est de reconnaître qu'il est une extension intéressante de cette sortie marquée par le sceau de l'épique.
C'est exactement l'empreinte que l'ultime bafouille « Lost Children Of The Universe » veut laisser, avec ses choeurs mystiques en latin qui l'élèvent vers les sommets du classieux et ne manqueront pas de filer la chair de poule aux concernés. Son atmosphère délicieusement rétro, guidée par les notes d'orgue Hammond, la voix de Roy Khan (ex-Kamelot) qui déverse une ligne de chant maniérée au possible et un sublime solo contemplatif de Steve Vai vient conclure de la meilleures des manières ce Revel In Time. Mais ne vous y trompez pas ; alors que le dernier opus d'Ayreon versait dans un metal grandiloquent et emphatique, toujours très sophistiqué, cette sortie de Star One revient aux fondamentaux du genre, avec des riffs essentiellement jurassiques. Avec « 28 Days (Till The End Of Time) », piloté par Russell Allen, l'auditeur avide de puissance brut en a pour son argent. Le vocaliste vient pousser son organe dans ses derniers retranchements, tantôt dans ses aigus entre deux tons, tantôt dans son registre gouailleur habituel qui laisse entendre un grain de voix très soigné, posé avec délicatesse sur de classieuses nappes atmosphériques :
« Something’s not right here
Why did I survive ?
Awake in a nightmare
I should have just died... »
Lorsqu'il reprend cette phase avec un tremolo surpuissant, le vocaliste apporte à Star One une flamme épique que le morceau ne manque pas de souligner, tout d'abord avec des assauts de guitare mid-tempo puis en changeant d'allure et en décollant avec une envolée anthologique qui utilise avec intelligence les atouts du frontman de Symphony X. Si l'ossature du projet reste bien évidemment progressive, les expérimentations du Hollandais prennent ici un aspect énergique et parfois « old school » : le morceau « The Year Of '41 », piloté par Joe Lynn Turner (passé chez Deep Purple ou encore Yngwie Malmsteen) viendra étaler son feeling régressif sur cette tartine déjà massive avec son tempo sautillant et ses choeurs emblématiques. D'autant plus qu'il catapulte à la face du monde deux soli virtuoses : celui de Joel Hoekstra à la guitare et de Jens Johansson au clavier. Il en va de même avec le ravageur « Beyond The Edge Of It All », bien inspiré par les seventies. Revel In Time aura toujours une guitare profonde pour répondre aux fantaisies cosmiques de ses synthétiseurs, que ce soit dans « Prescient » ou encore dans le jouissif « Today Is Yesterday » avec son motif obsédant (« Poor poor Billy has a bad day, Billy has ! »). Le moins que l'on puisse dire est que ce troisième full-length ne manque pas de répondant, comme l'indique la cavalcade puissante « Fate Of Man » qui l'ouvre. Si l'on reste en terrain connu avec une introduction faite de lignes de synthétiseurs délicieusement rétro, le tempo ne tarde pas à décoller, tracté par la voix de Brittney Slayes (Unleash The Archers) qui offre à cette première piste une atmosphère débridée. Les guitares restent acérées durant tout le disque, malgré quelques respirations bienvenues, notamment celle offerte par l'excellent Damian Wilson et son tremolo magique dans le contemplatif « Bridge Of Life » qui vient relancer le disque avec un riff mid-tempo écrasant sublimé par une ligne de chant doucereuse déversée avec pureté sur un orgue Hammond solaire. Malgré ses nombreuses années de pratique, le compositeur derrière toutes ces nouvelles pièces est toujours aussi inspiré! Ces onze hymnes offrent un instantané évident de ce talent hyperactif qui n'est pas près de s'étioler.
Cette grande messe épique du metal progressif qu'offre Star One vingt ans après sa formation est donc une franche réussite. En convoquant son lot habituel d'étoiles du metal pour mitrailler une nouvelle salve de morceaux épiques, Revel In Time s'impose comme une parenthèse enchantée pour Arjen Anthony Lucassen qui a fait contre mauvaise fortune bon cœur en gavant ses auditeurs d'un contenu aussi « old school » que rafraîchissant. Certes, Revel In Time ne réinvente pas le genre, en se tournant davantage vers le passé que vers la nouveauté (là où Ayreon avait été capable de moderniser ses sonorités), mais cette grande tranche de plaisir auditif a le double mérite de ne jamais s'essouffler et d'offrir aux badauds qui viendront l'explorer exactement ce qu'ils sont venus y chercher. Serait-ce même un nouveau départ pour le Batave ? La dernière ligne de chant laisser planer le doute : « A new start... It's not over... »
| Voay 18 Février 2022 - 1284 lectures |
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