Threshold - Legends Of The Shires
Chronique
Threshold Legends Of The Shires
La tête dans les étoiles. Threshold, groupe britannique formé à la fin des années 1980 abordait en 2017 un tournant délicat de sa carrière longue comme le bras. Constellée de sorties cultes, telles que Wounded Land (1993) ou encore Critical Mass (2002), le quintet de metal progressif qui marche dans les pas de Dream Theater avait crevé le plafond avec l'excellent March Of Progress (2012), classique en puissance. Cet album inaugurait un nouveau cycle à bien des égards : après le décès tragique de leur vocaliste emblématique Andrew « Mac » McDermott en 2011, le solaire Damian Wilson reprenait son poste, offrant les délicats accents de sa voix suave aux déferlantes poétiques du guitariste Karl Groom, membre fondateur secondé depuis les débuts du groupe par le fidèle claviériste Richard West. Quant à la section rythmique, elle s'est greffée progressivement. La mue a pris son temps, mais Johanne James s'est bien installé à la batterie, rejoint au début des années 2000 par Steve Anderson (basse). Mais à l'orée de son onzième full-length, Threshold effectue un nouveau changement de line-up... tout en restant en famille : Glynn Morgan, le chanteur qui avait illuminé de ses accents torturés Psychedelicatessen (1994) remplace au pied-levé Damian Wilson, congédié avec une certaine froideur par ses collègues, alors même qu'il voulait prendre davantage de place dans le groupe. Tractée par la locomotive Nuclear Blast depuis une dizaine d'année, l'assemblée a pris trois ans pour préparer un gargantuesque album concept de plus de quatre-vingt minutes qui aborde en les confrontant des sujets politiques et personnels. En effet, Legends Of The Shires narre avec un ton enchanteur, comme le ferait un conte ou une oeuvre de J.R.R. Tolkien, la trajectoire d'une nation qui cherche sa place dans le monde comme l'histoire d'un homme en quête de la sienne dans la société, en devant composer et avancer avec ses blessures intimes. Une très belle ambition, n'est-ce pas ?
En tout cas, ces choix risqués se sont avérés payants. Si For The Journey (2014), leur album précédent, restait séduisant et abordable, il avait un côté pantouflard qui semble complètement évacué de cet opus de 2017. De même, s'ils n'ont pas totalement disparu, les gimmicks de composition du groupe britanniques se sont clairement renouvelés, pour mon plus grand bonheur. Legends Of The Shires, découpé en trois parties bornées par de magnifiques interludes contemplatives dont les riffs communs offrent une vraie cohérence à l'ensemble, prend le temps de planter sa tente, de poser son atmosphère. Dotée d'une production maousse faisant la part belle aux claviers criards de Richard West. Le compositeur tente tout de même quelques sonorités modernes en parsemant le disque de samples futuristes qui tranchent avec sa coloration naturaliste. Avec le retour de Glynn Morgan, les lignes de chant deviennent plus organiques et agressives. Sa voix, plus complexe et rauque que celle de son prédécesseur, permet d'offrir au son de Threshold un côté plus rentre-dedans et agressif. Bien qu'il ait moins de facilités, à tel point qu'on peut le sentir forcer sa voix dans certains passages plus aigus, ce retour est une véritable cure de jouvence pour le groupe, un pari totalement réussi. Exactement le constat qui s'impose dès « Small Dark Lines », tube gravitationnel qui impose avec force ses « palm mutes » dévastateurs et son refrain immédiatement reconnaissable. La gouaille de Glynn Morgan y participe pleinement. D'autant que les Britanniques n'ont rien perdu de leur science du riff accrocheur avec plusieurs titres qui captent l'attention en un clin d'oeil, comme « Snowblind », qui s''impose directement comme une mandale cataclysmique dotée d'un puissant harmonique en clin d'oeil à Iron Maiden. Il en va de même pour les « Superior Machine » et autre « On The Edge », avec leurs rythmiques destinées à rouler sur tout ce qui bouge. Quant au massif « Trust The Process », qui évoquera par moments Dream Theater dans ses phases en contre-temps, il révèle un autre refrain ultra efficace qui viendra aisément compléter ce riche tableau de chasse.
Mais attention, en bon groupe de metal progressif qui se respecte, Threshold n'a pas renoncé à la complexité, bien au contraire. Deux pièces épiques de très grande qualité viennent habiter cet album concept. Avec « The Man Who Saw Through Time », le quintet sculpte une pièce versatile, pleine de grâce et d'extravagance. Après un incipit turbo émouvant qui vogue vite vers un superbe solo aérien de Karl Groom et un interlude mystérieux signé Richard West, la fuite en avant commence. Et Legends Of The Shires décolle, affirmant l'ambition et la fierté décuplées du groupe, toutes deux portées par la voix rageuse et fragile de Glynn Morgan. Le duel mélodique qui surplombe le milieu du morceau, durant lequel les soli du guitariste et du claviériste s'affrontent avec solennité, coule de source. Voilà que revient vite le leitmotiv écrasant du morceau, cette litanie captivante porté par un vocaliste qui n'a décidément pas mis longtemps à faire son trou :
« How he cried at all the pain
How he glowed at his success
He watched his life unfolding
How he hid from all the shame
How he laughed when he was blessed
His lows and highs beholding
But now he knew too much
The man who saw through time »
Exceptionnel, tout comme l'alambiqué « Lost In Translation », qui dépeint lui aussi les choix difficiles avec lesquels l'être humain doit composer durant son laps de temps sur Terre. Threshold est enfin un véritable couteau suisse, excellant tout autant dans la construction de titres plus digestes tels que « Stars And Satellites », dans lequel Johanne James apparaît comme un poisson dans l'eau avec ses rythmiques basiques en 4/4 qui lui permettent de faire simple et d'impulser un feeling hypnotisant. Son break « floydien » qui vient inonder de sa classe le morceau vers 3'32'' sublime ce refrain absolument délicieux qui colle entièrement au concept parrainant les paroles de cet album...
« No one know who you are !
The moon goes round
The world goes round the sun
And you won't know your worth until it's done
And I can change your orbit, change your size
But I don't want to launch you, till it's wise
To sets you spinning away like stars and satellites
Like stars and satellites »
Depuis 2017, cette dernière phase a eu tout son temps pour s'ancrer à jamais dans mon cerveau et revenir à chaque fois que je regarde le ciel de nuit dans l'espoir de capter une étoile filante. Est-ce une référence à la place qu'occupe Threshold dans le paysage musical ? En tout cas, pour un satellite, les Anglais tournent sacrément bien. L'évolution du morceau, qui vogue rapidement vers un feeling plus sombre et émouvant avec ses accords prenants et son solo emblématique, en fait un nouveau classique du groupe. Décidément, Threshold a décidé d'enfiler les bombes comme des perles sur ce Legends Of The Shires! Les Britanniques s'autorisent aussi quelques respirations au milieu de toutes ces tueries, en forme de ballades (« State Of Independence », « Swallowed »). Et bien que Richard West excelle dans ses accords de piano célestes et qu'on sent que le groupe a charbonné pour leur bricoler des mélodies aguicheuses, c'est là que le bât blesse. Ces pièces un peu poussiéreuses semblent trop marquées par des méthodes de composition éculées qui ne font que rappeler l'âge du groupe. Baste, ce ne sont que des détails à l'échelle de cet album monstrueux, un peu long certes, mais totalement réussi.
En effet, Legends Of The Shires synthétise les différentes époques traversées par Threshold et lui permet de renouveler ses arcanes majeurs. C'est tout naturellement qu'il s'est imposé comme un classique récent du metal progressif. Malgré la persistance de certaines recettes, le quintet a trouvé sa place, tout comme le protagoniste de son album concept : c'est bien à un mastodonte du genre qu'on a à faire! En revenant à plusieurs de ses fondamentaux – notamment le retour de l'un de ses anciens chanteurs – les Anglais ont réussi leur virage avec brio et apparaissent totalement revigorés. De quoi augurer une magnifique suite de carrière et conquérir de nouveaux territoires ? « Trust the process! »
| Voay 8 Septembre 2022 - 969 lectures |
|
DONNEZ VOTRE AVIS
Vous devez être enregistré(e) et connecté(e) pour participer.
AJOUTER UN COMMENTAIRE
Par gulo gulo
Par AxGxB
Par Jean-Clint
Par Raziel
Par Sosthène
Par Keyser
Par Keyser
Par Lestat
Par Lestat
Par Sosthène
Par Sosthène
Par MoM
Par Jean-Clint
Par Sosthène
Par AxGxB
Par Deathrash
Par Sikoo