Pour les amateurs de musique progressive, l’arrivée d’un nouvel album de
Dream Theater, c’est un peu comme l’arrivée du messie. Quand bien même cette circonstance se répète en moyenne… tous les deux ans. Compositeurs de talent plutôt productifs, les cinq américains ont, depuis les années 90, largement participé à façonner le metal progressif d’aujourd’hui. Aussi, ça trépigne un peu. Ça se replonge dans les anciennes galettes… et ça croise un peu les doigts. Car aux dernières nouvelles, l’éponyme
Dream Theater (2013) s’avérait une « nativité » à l’arrière goût un peu amer : une sorte de patchwork prog sans grande inspiration qui, sans être catastrophique, montrait clairement les limites du genre « dream theateuresque » de ces dernières années. A croire que le rythme « album/tournée/dvd », à l’allure quasi industrielle, commençait à les faire littéralement tourner en rond (ce qui devient assez ironique pour un groupe censé « progresser » et repousser les limites). Cela dit, et histoire de contredire mes propos, il leur aura fallu non pas deux mais trois ans pour terminer cet ambitieux 13e album. Et sur le papier…
The Astonishing est simplement terriblement alléchant ! S’aventurant sur un territoire à la
Ayreon, l’album se présente comme un opéra-prog-rock comportant pas moins de 34 chansons réparties en deux actes sur deux albums. 17 ans après le chef d’œuvre
Metropolis Pt.2 : Scenes From a Memory,
Dream Theater réitère donc l’effort d’un concept album : de quoi faire saliver.
Mais ne tergiversons pas plus longtemps :
The Astonishing est véritablement une bonne surprise. Un vrai coup de maître qui, sans pastiche, renoue avec la qualité d’écriture des albums « panthéonesques » du groupe. Et ça n’est pas peu dire tant l’album regorge de fulgurances dans la composition et l’émotion. Ce dernier n’est pourtant pas exempt de défauts, mais ceux-ci restent secondaires au regard de l’œuvre globale. En prenant du recul, on constatera d’ailleurs que ces petites faiblesses concernent davantage les « agréments » du projet que la musique en elle même : l’histoire par exemple.
Car
The Astonishing se la joue davantage « blockbuster » que film d’auteur. Et sa trame narrative, aussi efficace soit elle, fait un peu allure de scénario Disney. L’histoire place une série de protagonistes dans un univers voulu fantastico-futuriste (mais surtout et simplement médiéval) au contexte manichéen pas original pour un sous : un tyran et son fils (les méchants) maintiennent leur peuple dans la peur et la pauvreté tandis qu’une rébellion (les gentils) s’organise en secret. Le seul réel intérêt de cette narration un peu ronflante tient à son caractère légèrement dystopique et son amusante mise en abîme : dans cette fiction, la musique telle qu’on la connaît n’existe plus. Elle se voit remplacée par le bruit des
Nomacs, des robots au design rappelant la machine scrutant James Cole dans
L’armée des 12 singes de
Terry Gilliam, bourdonnant une cacophonie mécanique et privant désormais la race humaine de ce précieux moyen d’expression. L’idée est plutôt bonne et la non-présence de musique est ainsi rappelée au fur et à mesure de l’album par de courts morceaux électroniques («
Descent of The Nomacs », «
Digital Discord » ou «
Machine Chatter » etc.), scandant l’album de transitions entre les situations. Mais si ces
Nomacs représentent à première vue un vrai potentiel narratif, leur exploitation se limite uniquement à la construction musicale de l’album et l’incipit permettant de dresser la situation de ce monde futuriste. N’intervenant à aucun moment dans l’évolution de l’histoire, ils ne servent concrètement… à rien !! Ôtez les machines et vous obtiendrez un scénario identique : « le héros
Gabriel est doté d’un don pour la musique et, voyant sa réputation grandir, il se voit inévitablement confronté au tyran jaloux
Lord Nefarius. Il tombe cependant amoureux de la fille du terrible souverain,
Faythe, tandis que l’aspirant au trône, le prince
Daryus, tente de se débarrasser de lui et de la rébellion… ». Relayés en arrière plan, les
Nomacs laissent place à un scénario guimauve sans réel intérêt ni surprises. C’est cette privation de musique qui aurait du être le cœur de
The Astonishing et non pas devenir un simple élément de contexte.
Cela dit, et comme précisé précédemment, l’histoire est loin d’être le plus important. La musique, elle, fait largement honneur à l’espoir placé dans cet album. Ainsi,
The Astonishing se découpe en 34 chansons plutôt courtes et isolées entre elles afin de reproduire l’effet « tableaux » propre aux opéras et pièces de théâtre. Composées par
John Petrucci et
Jordan Rudess, ces chansons témoignent d‘un effort porté à connecter le scénario à la composition. Ainsi, force est de reconnaitre l’incroyable palette musicale employée pour décrire chacune des situations : de nombreuses interventions orchestrales («
A Tempting Offer »), des ensembles de cuivres façon tournois médiéval («
Brother, Can You Hear Me ? » ou «
A Savior In The Square »), du jazz dément («
Three Days »), une cornemuse («
The X Aspect »), du chant féminin ambiant («
Act Of Faythe ») ou du violon folk («
Hymn Of A Thousand Voices »). Chacune de ces interventions permet à l’auditeur de s’approprier plus intimement chaque événement de l’histoire et ressentir les émotions et états d’esprits propres aux personnages. A côté de cela, les deux musiciens compositeurs ne se gênent pas pour se faire plaisir. On savourera l’introduction de «
A Life Left Behind » avec un
John Petrucci à l’acoustique (et ça fait bien plaisir), quelques solos de guitares à faire frissonner l’échine («
A better Life » ou «
A New Beginning ») ou une grande variété de passages piano très romantiques («
A Tempting Offer ») ou synthé barré à la
Jordan Rudess. Une telle liste pourrait laisser imaginer un album fourre-tout, saturé par un trop plein d’idées décousues. Mais contre toute attente, les écoutes répétées révèlent une véritable cohérence sur l’ensemble.
The Astonishing apparaît autant comme un album ovni dans la discographie de
Dream Theater, qu’une continuité logique et subtile de leur travail. D’abord il y a la forme du concept (jamais nous n’avions vu autant de chansons dans un album du groupe), il y a son ambition (transposer la musique en un live « théâtralisé » poussant le concept encore plus loin) et puis il y a sa composition. Réputés et reconnus comme des instrumentistes virtuoses, les musiciens ont eu le bon goût de prendre à revers cette étiquette : privilégier l’émotion sur la technicité. De ce fait,
The Astonishing est un album bien moins démonstratif que ses prédécesseurs. La technique est évidemment au rendez-vous, mais reste subtilement au service de la musique : c’est là toute la puissance et l’originalité de
The Astonishing, celle de prendre à contre-pied ceux qui reprochaient l’ascendant de la technique sur l’âme de la musique. Certains seront évidemment rebutés et les amateurs de tartinage de notes auront probablement du mal avec les nombreuses balades… Mais les autres y trouveront largement leur compte, pour peu qu’ils se donnent la chance d’une écoute exigeante. Cela dit, attention : il serait ingrat et malhonnête de résumer l’album à une série de « chansons douces ». Ce 13e opus est évidemment l’un des moins agressifs de la discographie (officiant davantage dans un rock progressif à la
Tommy) mais il possède sont lot de passages heavy. Et tandis que la tournure de l’histoire s’assombrit, il révèle des titres tels que «
Moment of Betrayal » ou «
The Walking Shadow », renvoyant au
Dream Theater que l’on connaît. «
The Path That Divides » rappellerait même un bon
Liquid Tension Experiment dans sa partie instrumentale centrale. Dans tous les cas,
The Astonishing est suffisamment varié et riche pour se contenter d’un simple étiquetage. Et s’il n’est pas le plus violent, il pourrait bien être le plus beau…
Enfin, l’autre coup de maitre des américains – et peut être le plus savoureux – c’est le pied-de-nez fait aux
haters de
James labrie. «
Vous n’aimez pas notre chanteur ? », pourrait demander
Petrucci avec une esquisse de malice : «
Et bien, c’est le pilier de The Astonishing ». Hé oui,
James Labrie est assurément un pilier de
The Astonishing ! Sans pourtant être un fan inconditionnel du chanteur – et sachant d’ailleurs reconnaître les parties qui seront ratées en live (et qui ont été ratées !) – force est de reconnaître que sa prestation sur l’album est assez remarquable. Notamment lorsque celui-ci fait confiance à son timbre
medium rond et chaleureux. Ses interprétations, parfois douces, langoureuses ou inversement hargneuses, transcrivent avec justesse l’ensemble des personnages (aussi bien masculin que féminin) ainsi que leur psychologie : il réussit alors à donner corps à cette fiction un peu niaise, nous donnant presque envie d’y croire. Et finalement, il permet de faire le liant entre les chansons : il devient le véritable fil rouge de cet album.
The Astonishing, comme beaucoup d’œuvres progressives fait partie de ces albums qui se révèlent et se bonifient à mesure des écoutes. Il est évident que sa forme et son contenu ne feront jamais l’unanimité… mais il mérite amplement qu’on lui donne sa chance. Au détour d’une mélodie, peut-être réussirez-vous à en saisir la beauté ?
Dream Theater prouve ici qu’il n’est pas un groupe à oublier sur son étagère : qu’il est encore capable nous surprendre. Ne pas s’endormir sur ses acquis, c’est bien là l’essentiel, non ?
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