Après trois albums et un EP historiques, qui leur ont permis d'ajouter quelques lignes à la longue histoire du metal,
Dream Theater revient armé de certitudes en 1997. Ses membres ont pour ambition d'écrire un album commercial, destiné à passer dans les radios rock de l'époque pour embrayer sur le chemin du succès et font intervenir à ce propos plusieurs éléments extérieurs au groupe, notamment Desmond Child, qui a co-écrit et co-produit le disque aux côtés de Kevin Shirley. C'est donc en se faisant violence dans la composition que le groupe, toujours composé du noyau dur de Berklee John Petrucci (guitares), John Myung (basse), Mike Portnoy (batterie), de leur chanteur canadien James LaBrie et du nouveau claviériste Derek Sherinian, lui aussi issu de cette prestigieuse école de jazz de Boston, auréolé du bizutage réussi sur l'EP
A Change of Seasons (1995), que les New-Yorkais proposent un
Falling into Infinity au destin aléatoire. Peu apprécié des fans « pur jus » dont je fais résolument partie, il a toutefois su séduire à son époque. Le recul l'a toutefois imposé comme un album en demi-teinte, une analyse à laquelle je souscris entièrement, à tel point qu'il m'en coûterait presque de le disséquer pour vous en proposer l'analyse sur Thrashocore.
Plusieurs personnages influent de près ou de loin sur la musique, Desmond Child en tête, mais le combo est largement responsable de cette baisse d'intensité : les New-Yorkais s'enferment dans un carcan commercial qui ne leur correspond et ne leur réussit pas vraiment. Tout dans ces nouvelles compositions vise l'efficacité, pue la recherche permanente du « tube », avec des refrains accrocheurs qui entrent dans la tête avec insistance, à l'image de celui de « Burning My Soul » et ses paroles énergiques (à défaut d'être originales) :
« Twisting, turning, losing all sense of yearning.
Living and learning, the pressure keeps on burning my soul! »
Ah, ça rime, c'est propre, mais passé plusieurs écoutes, ça tombe très vite à plat. Un symptôme partagé par de nombreux morceaux sur ce disque : « You Not Me » montre le degré de dévoiement dans lequel
Dream Theater s'est empêtré, tout embourbé qu'il est dans des mélodies sucrées fadasses et des riffs bas-du-front qui visent l'efficacité contestable d'un neo metal qui a le vent en poupe dans les 90's. « Just Let Me Breathe » et son tempo rock enlevé banalement accrocheur ne fait pas non plus décoller ce bilan bien terne. « Hollow Years », ballade honorable par ailleurs, au refrain entêtant, reste terriblement à contre-emploi du groupe, qui a proposé tellement plus intense. Le petit solo à la guitare sèche de John Petrucci aux rythmes hispanisants ainsi que l'atmosphère générale du morceau ne parviendra qu'à évoquer chez les plus exigeants le générique d'un sitcom adolescent des années 90... paradoxalement, cet album est douloureusement enfermé dans son époque et a pris plus de rides que ses prédécesseurs. Sans doute est-ce à cause du lifting imposé à ses riffs, courbés dans des motifs étroits.
Dream Theater réfléchit trop, force sa nature, et ça ne lui réussit pas.
Pour ne rien arranger, après son accident, James LaBrie ne peut malheureusement plus se permettre les envolées lyriques incroyables et les lignes de chant audacieuses des albums précédents. En effet, en décembre 1994, lors de vacances avec sa femme à Cuba, le chanteur a mangé des crevettes avariées et a fait une intoxication alimentaire bien vénère. Il a tellement vomi ses tripes qu'il s'est flingué les cordes vocales. Les médecins étaient à deux doigts de lui dire qu'il ne pourrait plus jamais chanter. Sa thérapie sera longue... sa voix devient de fait plus limitée, plus lisse, plus convenue, bien loin des mélodies et des tessitures imparables de ses débuts. En un sens, cette évolution colle relativement bien aux morceaux de ce disque et le Canadien fait honnêtement le job. Il concèdera tout de même plus tard vivre l'enfer lors de cette période.
De même, c'est assurément l'un des défauts majeurs du groupe,
Dream Theater ne digère pas tout à fait les influences parsemées sur ce disque. Il sait tout de même distiller des riffs certes accrocheurs, évoquant parfois le
Metallica très commercial du
Black Album (1991) sur la fin de « New Millenium » et le morceau devenu culte par ailleurs « Peruvian Skies ». Cette influence se fait de plus en plus prononcée chez le combo, essentiellement pour le meilleur. J'aurai certainement l'occasion de vous en reparler plus avant. Cette magie qui habitait les précédentes réalisations du groupe n'a tout de même pas totalement disparu.
Falling into Infinity propose quelques pièces de choix qui lui évitent le ratage intégral : le morceau précédemment cité voit les New-Yorkais retrouver une atmosphère metal percutante. L'instrumental « Hell's Kitchen », avec ses beaux riffs en arpèges ascendants, surnage. Il me semble toutefois trop court : normal, initialement destiné à en composer la partie instrumentale, il a été coupé de « Burning My Soul » pour donner plus d'efficacité... « Lines in the Sand » et le grand final « Trial of Tears » replacent initialement le groupe dans un registre qui est le sien : des structures plus complexes et abouties, résolument progressives, mais qui s’essoufflent toutes deux par manque de motifs emblématiques. Ce dernier exemple saura tout de même procurer les frissons nécessaires à l'écoute de cette gradation vers le refrain :
« It's raining, raining on the streets of New York City.
It's raining, raining, raining deep in Heaven. »
Un peu tard, un peu convenu. L'album aura raté ses deux vocations : propulser
Dream Theater sur les ondes mainstream et confirmer le succès obtenu, puisqu'il est un relatif échec commercial. Un peu comme un film de Warner Bros estampillé Detective Comics dans les années 2010 (
Batman v Superman,
Suicide Squad,
Justice League), il a subi des coupes drastiques, des remontages, des contraintes trop importantes qui l'empêchent d'être naturel et pleinement réussi. Il a également fait vaciller l'équilibre du groupe, qui a failli se séparer suite à cette double déception et aux probables conflits qu'elle a engendré entre ses membres. On ne les y reprendra plus, la « trahison » n'aura duré que le temps d'un album : nos New-Yorkais revanchards seront bientôt de retour aux choses sérieuses.
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