« Lost in the sky
Clouds roll by and I roll with them
Arrows fly
Seas increase and then fall again... »
C'est avec ces paroles emblématiques que « Prime » Kevin James LaBrie se dévoile et lance le nouvel assaut de
Dream Theater à la face du monde en 1992. Il hantera tous les disques du combo après le départ de Charlie Dominici en 1989 pour « divergences musicales ». Ce sympathique Canadien amateur de crevettes (nous y reviendrons plus tard) a passé avec brio les auditions organisées par le groupe à la fin de l'année 1990 pour trouver leur nouveau chanteur. En effet, il aura suffisamment réussi à impressionner les New-Yorkais Mike Portnoy (batteur), John Myung (bassiste), John Petrucci (guitare) et Kevin Moore (clavier) en posant sa voix cristalline sur les démos ce nouvel album, « Learning to Live » et « Take The Time » pour qu'ils lui confient le poste au début de l'année 1991. Il plane tellement sur ces nouveaux morceaux qu'il balaye la concurrence : Sebastian Bach, qui partageait pourtant avec les membres de
Dream Theater une admiration sans borne pour
Rush et qui fera son nid dans
Skid Row pendant 10 ans (1987-1997) ou encore John Arch, co-fondateur et vocaliste de
Fates Warning.
C'est avec un tube intergalactique que s'ouvre
Images and Words. En effet, « Pull Me Under » cartonne tellement qu'il passera régulièrement à la radio et offrira la possibilité au groupe de tourner un clip diffusé sur MTV, anecdotique si ce n'est pour la possibilité d'admirer le lissage brésilien et la frange de John Myung puisqu'il coupe près de la moitié du morceau. Au-delà des paillettes, il donne surtout le ton d'un chef-d'oeuvre absolu : des lignes de basse dynamiques qui transcendent le tempo martial de l'introduction, des riffs de guitare immédiatement accrocheurs, une batterie qui change l'orientation et la mesure en permanence à la faveur de breaks efficaces dont Mike Portnoy a le secret... ce morceau a tellement bien marché qu'il occasionnera d'ailleurs un sympathique jeu de mot lors du best-of sorti en 2008,
Greatest Hit (...And 21 Other Pretty Cool Songs). En tout cas, tout ce qui fait le génie du groupe est déjà là : après ces quelques notes légendaires qui créent une mélodie foutrement efficace, un morceau parsemé de changements de plans totalement inattendus éclate, couronné par un refrain qui marque au fer rouge. Une ode à la grandeur qui emplit systématiquement mes yeux de poussières.
Je me souviendrai probablement toute ma vie de la sensation de plénitude absolue ressentie lorsque j'ai enfourné pour la première fois ce classique dans mon lecteur CD, après avoir découvert son successeur la veille et m'être empressé de le régulariser le lendemain pour une bouchée de pain à la Fnac. Pour la première fois de ma vie, je découvrais un groupe qui correspondait parfaitement à mes goûts. C'est probablement « Metropolis – ''Part 1: The Miracle and the Sleeper'' » et ses diaboliques salves de « palm mute » guidé par un pattern de batterie frontal qui aura définitivement planté dans mon cœur l'amour de ces rythmes résolument metal. Il contient aussi un gargantuesque passage instrumental composé de mélodies alambiquées qui tabassent les neurones, comme lorsque la six cordes de John Petrucci et le clavier de Kevin Moore chantent en duo leurs mélodies incisives, comme lorsque ce furtif solo de John Myung dévale une pente vertigineuse, me laissant totalement pantois, comme ce jeu tout en contre-temps ravageurs de Mike Portnoy... James LaBrie, laissé sur la touche pendant de longues minutes, daignera tout de même conclure avec application avec des lignes de chant épiques...
« Now the Miracle and the Sleeper
know that the third is love.
Love is the dance of eternity! »
… qui introduisent deux emblématiques personnages du groupe, « The Miracle » et « The Sleeper », qui ajouteront bientôt de nouveaux pas à cette « danse de l'éternité ». Pour l'heure, ces compositions irradient déjà le groupe d'une inspiration que mon souffle est bien trop court pour énumérer. Les lignes de basse ronflantes avec lesquelles John Myung supporte « Learning to Live », les soli tantôt technico-démonstratifs, tantôt carrément romantiques de John Petrucci, alors guitariste à l'aube d'une brillante carrière, le feeling démentiel de Mike Portnoy derrière les fûts, capable à la fois de mettre une incroyable atmosphère rien qu'avec trois coups subtilement déposés sur ses toms ou une manipulation infime de charleston et de mitrailler de tout son saoul sa double pédale... tous les morceaux de cet album connaissent des moments d'élégance absolus. Il n'y a qu'à entendre comment ils sont portés sur scène dans le légendaire
Live at the Marquee de 1993, ne serait-ce que pour finir de vous convaincre de l'éclatant état de grâce du chanteur qui a rejoint récemment les rangs des New-Yorkais. Dire que cet album aurait dû compter le mythique
« A Change of Seasons » – également utilisé pour auditionner James LaBrie en 1990 – dans ses rangs! À la grande déception du groupe, leur label de l'époque Atco Records ne leur concèdera pas cette faveur. Ce n'est que partie remise...
Je dois aussi ce coup de cœur absolu de l'époque aux claviers de Kevin Moore qui ajoutent une aura de pureté incroyable, comme les divins passages piano/voix d'« Another Day », de « Surrounded » ou encore du magnifique « Wait for Sleep » qui diffuse une espèce de magie unique, certes devenue probablement surannée aujourd'hui. Bon, d'accord, le passage au saxophone sur « Another Day » pourra évoquer aux plus cyniques d'entres vous les films diffusés à des heures indues les samedis soirs sur M6, si, si, vous savez, ceux où la comtesse reçoit dans son château un mystérieux vagabond libertin venu poliment lui proposer un ravalement de façade.
Images and Words n'est pas exempt de ces défauts inhérents à son époque : le son de batterie me semble aujourd'hui un poil vieillot (notamment le son de la caisse claire, trop clinique). Certaines mélodies demeurent naïves, tout comme des sonorités de clavier objectivement datées.
Vendu à 1,5 millions d'exemplaires,
Images and Words est un succès incroyable : en obtenant le disque d'or aux États-Unis et aux Pays-Bas, il propulse
Dream Theater dans une nouvelle dimension. Le recul des années l'a également imposé comme un classique indéboulonnable, du metal progressif comme de la discographie du groupe. Voilà que j'ai déjà hâte de vous conter la suite de sa carrière sur Thrashocore... mais pour l'heure :
« Hold it now, wait a minute, c'mon!
Just let me catch my breath! »
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