Eldritch - El Niño
Chronique
Eldritch El Niño
Dans la famille des vieux briscards du metal progressif, je voudrais Eldritch. Il faut dire que ces Italiens aiguisent leurs outils dans ce registre depuis le début des années 1990. Aux côtés de Fates Warning, Vanden Plas, Angra ou encore Dream Theater, ils en plantaient même les première graines avec Seeds Of Rage (1995) et bouturaient leur propre branche avec Headquake (1997), passé à la postérité comme un album culte. Et c'est sous la forme classique du quintet qu'ils réussissent leurs débuts de la meilleure des manières. En effet, avec les idées folles et la créativité débridée de ses deux compositeurs principaux Eugene Simone (guitare) et Oleg Smirnoff (claviers), le panache de son jeune chanteur Terrence Holler à la tessiture immédiatement reconnaissable ainsi qu'une section rythmique solide comme le chêne centenaire composée de Martin Kyhn (basse) et Adriano Dal Canto (batterie), ces cinq-là n'ont qu'à récolter les fruits de leur travail sur leur troisième full-length El Niño (1998). Forts de l'expérience acquise lors de la réalisation de leur album précédent et de l'acclamation critique qu'il a suscité, Eldritch fait le choix de continuer à rester solide sur ses fondamentaux, avec une approche percutante et efficace, inspirée du thrash américain (Megadeth et Metallica en tête) mélangée à une complexité mélodique directement héritée du courant prog qui grignotait du terrain dans les sorties metal de l'époque.
Ce choix s'avère payant : El Niño condense, peut-être même encore davantage que son grand frère, toutes les qualités que le combo italien avait à offrir à l'époque. « To Be Or Not To Be (God) » résume d'ailleurs à lui seul la qualité et l'efficacité de leur metal progressif. Avec sa rythmique balourde et ses « palm mutes » bas-du-front, on entre par un terrain connu et balisé. Mais Eldritch est capable de nous emmener bien plus loin lorsqu'il laisse exploser sa créativité avec un passage expérimental en contretemps qui vient chambouler tout cet édifice et surprendre son monde. Tous les morceaux de ce troisième full-length sont liés par par cette recherche très spontanée de variété et d'efficacité. D'ailleurs, les Florentins ajoutent au deuxième objectif des éléments qui constitueront l'ossature de leur musique dans le futur, avec ce côté indus qui commençait déjà à les démanger. Dans certaines rythmiques ou encore certaines idées qu'ils avaient déjà dans la phase de composition, ce côté découpé et saccadé apparaît par touches, sans être envahissant (comme il le sera sur un Reverse par exemple) et restera un élément fondamental du combo. Il faut dire que cet aspect de leur musique sonne particulièrement bien, que ce soit dans l'excellente introduction « Fall From Grace » qui plonge ses auditeurs dans le mêlée à l'aide d'une rythmique martiale qui fait office de véritable « banger », ou encore avec la démo « Intoxicated », morceau tellement efficace que je ne comprends toujours pas, vingt-quatre ans plus tard, le choix de ne pas l'avoir retenu dans la version finale. « Scar » fait également ressentir ces influences indus avec sa rythmique binaire qui déroule sa hargne comme un char d'assaut avant de s'envoler dans un refrain céleste porté par le très talentueux vocaliste. Bon, tout de même, les effets du manche que le claviériste Oleg Smirnoff disperse dans tout l'album ne manquent pas de nous rappeler que nous sommes bien dans la décennie 1990.
En effet, à l'image de la ballade un peu dégoulinante « The Last Day Of The Year », de sa production poussiéreuse qui donne une coloration trop mécanique à la caisse claire et à la grosse caisse d'Adriano Dal Canto ou encore de sa pochette violacée qui tutoie les sommets du mauvais goût, cet ensemble a évidemment vieilli... mais sait rester plein de charme. Il en ressort une fraîcheur, une insouciance et une explosivité de tous les instants que peu d'albums de la même époque peuvent se vanter d'atteindre. N'étant limités que par les contraintes d'une production « maison » pas toujours la plus limpide ni la plus qualitative, Eldritch fait à peu près ce qu'il veut. Le combo met sa maîtrise technique au profit d'un metal progressif qui coule de source, bien plus fluide que celui qui habitait l'alambiqué Headquake (1997). De l'excellent « No Direction Home » jusqu'au morceau éponyme qui vient asséner une ligne de basse anthologique, les Italiens font des choix forts en privilégiant systématiquement l'efficacité brute à la démonstration, sans oublier que le deuxième ingrédient offre au premier une plus-value essentiel : en faisant l'effort d'habiller ses compositions de sonorités insouciantes, de soli dévastateurs et de passages expérimentaux, Eldritch scintille et plane sur ces hymnes au côté grandiloquent totalement assumé.
Tout fonctionne tellement sur cet album qu'il s'en dégage une belle arrogance, catalysée par le registre adopté par le chanteur Terrence Holler qui livre ici une véritable masterclass. Que ce soit dans un registre éraillé qui augmente la hargne des passages bourrins ou dans les envolées lyriques qui semblent le laisser à bout de souffle, l'homme dépense une énergie folle pour rendre encore plus emblématiques ces morceaux qui le seraient certainement moins sans lui. Il faut le voir s'époumoner à la manière d'un chanteur de heavy metal des années 1980 dans l'excellent « Bleed Mask Bleed » qui inonde les esgourdes de son clavecin nostalgique, dans le refrain de « From Dusk Till Dawn », culte jusqu'au bout des ongles :
« From dusk till dawn
Living to shine now !
Living to shine
From dusk till dawn
We shine till dawn ! »
… ou dans la magnifique envolée qu'il offre de tout son être à celui de « Nebula Surface », d'une mélodicité et d'une inventivité formidable dans les arpèges de guitare qu'y livre un Eugene Simone presque nonchalant, comme dans ses lignes de chant explosives. Dès que son magnifique refrain contemplatif débute, Eldritch m'emporte dans les étoiles...
« There's a twilight above this entry way...
Let the mirthless epilogue slowly fall
Trusty words when I fall into decay
All my fingers subside I lose control
I lose control... »
… pour ne plus m'en faire descendre. « Heretic Beholder », « To Be Or Not To Be (God) », tous ces instants bénis de la course des Italiens ont le mérite de montrer l'étendue du talent de son vocaliste emblématique qui contribue comme rarement un individu l'a fait à la réussite de leur troisième album. El Niño, fort justement reconnu en son temps comme un chef-d'oeuvre, est bien autant une pierre fondatrice du metal progressif des années 1990 qu'un accomplissement quasiment indépassable pour Eldritch qui peinera, dans la suite de sa longue et fructueuse carrière, à renouveler l'exploit fondamental qu'était la sortie d'un album qui avait le potentiel et les épaules pour mettre tout le monde d'accord.
| Voay 4 Janvier 2022 - 954 lectures |
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