Eldritch - EΩS
Chronique
Eldritch EΩS
Une valeur sûre du metal progressif qui sort son douzième full-length en 2021 ? Ça ne pouvait être que pour moi. Fort de mon admiration pour une discographie aussi variée que cohérente, c'est tout naturellement que je me suis jeté ce EΩS, successeur du réussi Cracksleep, paru trois ans auparavant chez Scarlet Records, qui parraine Eldritch depuis dix ans et Gaia's Legacy (2011). Il faut dire que ce groupe italien traîne ses guêtres depuis un paquet d'année dans la sphère très fermée du metal progressif. Formé en 1988 sous le nom Zeus, c'est finalement trois ans plus tard qu'il adopte son patronyme définitif en hommage à un morceau du groupe de thrash metal progressif Watchtower. De leurs idoles, les Toscans ont conservé une tendance à accélérer le tempo à grands coups de cavalcades tranchantes, tout en ajoutant des éléments industriels et modernes à leur metal progressif à partir de l'album Reverse (2001), à la fortune diverse et à l'accueil critique mitigé. Vouloir renouveler leur musique était pourtant tout à leur honneur, eux qui avaient connu des débuts en trombe dans un registre plus traditionnel avec Headquake (1997), second effort qui a su s'imposer comme un classique du genre. Ce sont ses deux membres fondateurs, son guitariste Eugene Simone et son mégaphone Terrence Holler qui se chargent d'entretenir cette mémoire, renforcée par le retour depuis 2019, après un hiatus de dix ans, du claviériste historique Oleg Smirnoff. Ils sont accompagnés depuis 2007 par Raffahell Dridge (batterie), puis furent rejoints trois ans plus tard par Rudj Gianneschi (guitares). Le bassiste Dario Lastrucci a quant à lui complété le sextet en 2019.
Tout en conservant ce son musclé qui faisait de Cracksleep (2018) un album percutant, ce line-up plutôt stable aux moyens techniques considérables a décidé de mieux exprimer son potentiel sur EΩS. Ce nouvel album propose des morceaux plus longs et plus travaillés. En complexifiant et en rendant plus subtil son metal progressif, en lui offrant des moments de respiration bienvenus et des passages expérimentaux marquants, Eldritch revient en partie à ce qui faisait son sel dans la décennie 1990. En effet, le groupe n'est jamais aussi fort que lorsqu'il prend le temps de faire évoluer ses morceaux, quitte à ralentir un peu le tempo. Sur plusieurs instants, l'auditeur retrouvera avec plaisir le style racé des Italiens qui ne bégayent pas lorsqu'il s'agit d'aller taquiner les sommets de la virtuosité. Le ralentissement du single « The Cry Of A Nation », vers 4'03'', les montre sous leur meilleur jour, avec un mid-tempo qui permet aux solistes de se répandre dans des envolées techniques virevoltantes. « Sunken Dreams » et son début en contre-temps ciselé suit la même dynamique et montre que les Italiens, malgré leurs nombreuses années de carrière, sont encore capables de sculpter des morceaux fleuves épiques et ambitieux. « No Obscurity », et ses changements de tempo intelligents fait plaisir à entendre, avec sa mouture alambiquée toute en arpèges aguicheurs. Quant à « Circles », il part dans tous les sens, toujours avec une grande maîtrise et une gestion quasiment parfaite des transitions. Vers 4'27'', il propose un passage atmosphérique de grande qualité où la basse luminescente de Dario Lastrucci s'offre une envolée classieuse permise par une production de qualité, à la compression qui manque toutefois de subtilité.
Le combo prend tout de même soin de conserver les qualités qu'il cultive depuis plusieurs années, maintenant à plusieurs reprises son ossature bourrine et franche du collier. Outre la très puissante entrée en matière « Failure Of Faith », qui cartonne la tronche à grands coups de double pédale et de technique assassine, Eldritch reprend ses bonnes habitudes à plusieurs reprises, à l'image de ce sublime double solo à 3'57'' qui exprime toutes ses qualités mélodiques. « Fear Me » conjugue lui aussi efficacité et pugnacité à grands coups de « palm mutes » dévastateurs, ou encore « The Awful Closure » et son refrain ultra accrocheur renforcé par une rythmique mono-neuronale salement efficace :
« Where am I going ? Where am I running to ?
Beautiful places...
What am I doing ? What am I running for ?
The awful ending !
Where am I going ? Where am I running to ?
Beautiful places
What am I doing ? What am I running for ?
The awful ending ! The awful ending »
De même, les Italiens persistent – ils sont un peu têtus – dans les addendas industriels qui deviennent, album après album, un peu plus datés. Oleg Smirnoff est en grande partie responsable de cette facette de la musique d'Eldritch, lui qui a toujours le don pour utiliser des sonorités de claviers kitchs au possible, qui ne supporteront pas l'entre-deux. Si l'introduction « Dead Blossom » laissait présager moult expérimentations électroniques, celles-ci n'auront pas tout à fait lieu. Certes, le combo se permet quelques incursions du côté de l'indus, qui servent surtout d'incipit ou d'épilogues sans perturber le dynamisme global. Seule la traditionnelle ballade « I Can't Believe », larmoyante au possible, tout droit exhumée du début des années 2000 avec son côté pompier et sa batterie électronique clairement datée, fait un peu tâche dans cette somme de cartouches épiques. Force est de constater que ces interventions, mieux dosées qu'auparavant n'envahissent pas outre mesure les belles idées du combo qui choisit avec raison de se cantonner à l'essentiel.
En effet, Eldritch cultive les traditions du metal progressif avec une régularité quasi religieuse. EΩS exploite particulièrement bien celle des refrains épiques, à l'image de celui de « The Awful Closure », de « No Obscurity » ou encore de « Failure Of Faith ». C'est aussi parce-que le groupe est porté par la voix immédiatement reconnaissable de Terrence Holler, qui propose une prestation fidèle aux standards qu'il entretient depuis ses débuts. Tantôt chevrotante dans les moments plus intimistes ou dans les envolées aiguës qui forcent le trait avec moult tremoli maniérés, ses lignes de chant particulières pourront en agacer plus d'un. En tout cas, le frontman offre une belle énergie à ce nouvel effort tant il semble constamment sur le fil. Sa tessiture atypique qui atteint des notes si spéciales empêchera de le confondre avec un autre chanteur et contribue à donner au groupe toute son identité. Le frontman s'amuse même dans l'exercice de la reprise comme il le faisait déjà sur Reverse (2001) avec « My Sharona », ou encore sur Tasting The Tears (2014), avec une reprise de Mötley Crue (« I Will Remember »). Ici, c'est Bon Jovi qui passe au rouleau compresseur avec une réinterprétation efficace de son tube intergalactique « Runaway ».
EΩS est donc une sortie réussie, mixture savamment dosée entre le Eldritch complexe et ambitieux des années 1990 et celui des dernières années, efficace et puissant. Le sextet a décidé de rehausser son potentiel et son ambition avec une nouvelle salve de compositions plus travaillées et épiques qu'à l'accoutumée, qui survivra aux multiples écoutes nécessaires malgré un côté suranné évident et des gimmicks de composition d'un autre temps. Oui, l'ensemble reste classique et ne renouvelle pas vraiment le genre, mais s'impose comme une offrande aussi authentique que plaisante, qui trouvera certainement une bonne place dans les temps forts de l'année.
| Voay 19 Novembre 2021 - 1038 lectures |
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