Ayreon - The Human Equation
Chronique
Ayreon The Human Equation
« Can't you feel it burn deep down inside ?
Won’t you ever learn ? DON'T TRY TO HIDE ! »
Tu as bien raison, ma chère Passion. Fini de me cacher, il est plus que temps pour Thrashocore de compter dans ses rangs le projet culte du touche-à-tout hyperactif Arjen Anthony Lucassen, Ayreon. Après avoir quitté son groupe de heavy metal Vengeance au début des années 1990, sa carrière solo peine à décoller. L'homme gamberge, hésite, mais raffine un style grandiloquent, nappé de claviers et de motifs inspirés du rock progressif des années 1970, auquel il ajoute les grosses guitares du metal qui commencent à se mêler de ce qui ne les regarde pas, comme le faisait déjà Fates Warning avec Awaken The Guardian (1986), Queensrÿche avec Operation : Mindcrime (1988) ou encore Dream Theater qui a tout révolutionné avec son Images And Words quelques années plus tard. Mais le Hollandais volant pousse le délire encore plus loin et voit les choses en grand : lui, ce qu'il veut, c'est peindre une gigantesque fresque sous forme d'opéra racontant une longue et belle histoire sur plusieurs albums. Ses premiers essais essuient plusieurs refus de la part de labels sceptiques par rapport aux retombées économiques potentielles.
S'il peine donc, dans un premier temps, à trouver sa place dans le paysage musical, Ayreon se renforce dans l'ombre pour bâtir la pierre angulaire de son concept : The Final Experiment (1995) présente l'histoire d'un ménestrel aveugle du VIe siècle, Ayreon, qui reçoit des messages venus de 2084 lui indiquant que l'humanité s'est autodétruite. Ce premier « opéra metal » très prometteur posait bon nombre d'arcs narratifs judicieusement explorés par la suite : The Dream Sequencer (Universal Migrator, Part. I) (2000) intégrera ce préquelle pour en élargir l'univers, avec notamment la possibilité pour les humains du futur de voyager dans le temps et de revivre, à travers une simulation, des événements passés pour tenter de comprendre comment l'humanité a échoué à se préserver. Après Actual Fantasy (1996), qui mélange lui aussi heroic fantasy et science-fiction, le scénariste bâtit l'une des pierres angulaires de son concept : le château électrique, un lieu hors du temps et de l'espace, dans lequel sont enfermés onze personnages qui doivent affronter et vaincre leurs émotions contradictoires pour venir à bout d'une quête périlleuse. Avec l'aide d'Anneke van Giersbergen, Damian Wilson (ex-Threshold) ou encore Fish (l'ancien chanteur culte de Marillion), Into The Electric Castle (A Space Opera) (1998) parvient à attirer davantage l'attention sur ce projet d'une ambition folle. En effet, chaque album suit une trame narrative fouillée, suffisamment approfondie et travaillée pour contenir des références à ce qui a été écrit précédemment. Arjen Anthony Lucassen est donc autant un orfèvre dans l'écriture que dans la composition.
Ces premiers paragraphes vous posent un bonhomme. The Human Equation (2004) ne fait pas exception à la règle. C'est avec cet album que le lycéen que j'étais alors s'est pris ce gigantesque univers passablement geek en pleine paluche. Si la rencontre a été explosive, Ayreon m'a facilité la tâche en offrant à James LaBrie (Dream Theater) le rôle principal de ce nouvel opéra. En effet, notre sympathique Canadien prend le rôle de la tête d'affiche pour incarner ici « Me », personnage mystérieusement tombé dans le coma suite à un improbable accident de voiture. Le décor de cette histoire, outre une chambre d'hôpital dans laquelle il est parfois entouré de sa femme (Marcela Bovio), de son meilleur ami (Arjen Anthony Lucassen) ou de son père (porté par le regretté Mike Baker de Shadow Gallery), est la tête du protagoniste dans laquelle ses émotions se livrent une bataille sans merci. Celles-ci sont incarnées par moult invités prestigieux, parmi lesquels des voix féminines de grande qualité comme Heather Findlay (« Love ») ou encore Irene Jansen qui se mue en « Passion ». La douce voix grave d'Eric Clayton incarne « Reason », ce qui est parfaitement complémentaire avec celle de Mikael Åkerfeldt (Opeth), qui prête sa voix éthérée ou ses growls profonds au rôle de « Fear ». Dans le même registre, les hurlements de Devin Townsend, encore doté de sa crinière de Strapping Young Lad à l'époque, collent parfaitement à « Rage », rôle qui ne lui allait que trop bien à l'époque. Certains morceaux donnent donc lieu à des flirts vers le metal extrême, genre avec lequel je n'allais pas tarder à consommer la relation. La plupart d'entre eux oscillent entre le rock et le metal progressif, avec des voix taillées pour le genre : celles de Magnus Ekwall dans le rôle de « Pride » ou encore les intonations si particulières de Devon Graves (Psychotic Waltz) dans celui d'« Agony » viennent compléter ce casting cinq étoiles. Ce gigantesque travail sur les émotions est orchestrés par les coups de semonce épiques d'Arjen Anthony Lucassen (guitares, basse, mandoline, claviers, Hammond) et de son batteur de toujours Ed Warby.
De manière générale, cet album allait influencer mes goûts sur le long terme bien plus que je ne l'imaginais à l'époque. Si je me sentais en terrain connu lorsqu'émergeait la voix rassurante de James LaBrie dans les premiers instants de « Day One : Vigil » qui le voit entreprendre un duo intimiste avec le « meilleur ami » Arjen Anthony Lucassen, la richesse et la variété extrême de l'ensemble représentait une plongée vertigineuse. « Day Two : Isolation », dont est tirée la phrase d'accroche de cette chronique, l'offre déjà, à l'aide d'un metal progressif de grande qualité, avec ces accords d'orgue Hammond omniprésents sur tout l'album, ces « palm mutes » renforcés par la grosse caisse millimétrée d'Ed Warby, ces choeurs grandiloquents qui sculptent bon nombre de refrains marquants, à l'image de celui de « Day Eleven : Love », porté par la voix surpuissante de Heather Findlay. The Human Equation brille aussi par ses passages intimistes, saupoudrés d'effluves floydiennes, à l'image de « Day Seventeen : Accident ? » dans lequel Eric Clayton pose des lignes de chant graves et presque funéraires. Devon Graves viendra lui aussi nous tamponner le cœur dans « Day Three : Pain », renforcé par des lignes de guitare et des accords de claviers turbo-mélancoliques. Son registre entre deux tons y brille de mille feux lorsqu'il propulse cette phrase parfaite pour dépeindre cette blessure impalpable et pourtant universelle :
« I am pain
I am the wound that never heals
It's all in vain
No compromise, no deals »
Oui, The Human Equation comme tous les autres albums d'Ayreon, montre bien la capacité d'Arjen Anthony Lucassen à tirer le meilleur parti de ses invités, à les pousser dans leurs derniers retranchements. Venir chanter sur l'un de ses albums n'équivaut jamais à être en pilotage automatique et simplement poser son blase et sa trogne sur le gargantuesque livret. Les morceaux de ce sixième full-length en font la démonstration éclatante : à un Mike Baker fantaisiste, presque à contre-emploi, répond un Devin Townsend clinique sur « Day Sixteen : Loser », avec une voix hurlée qui exprime parfaitement l'émotion dont il est chargé :
« NEVER! NEVER! NEVER! NEVER! NEVER! NEVER! NEVER! NEVER!
Killing it from afar, go tell it in a bar
You’re killing it from afar my father! »
Mikael Åkerfeldt joue à la perfection le rôle de « Fear » à plusieurs reprises, dans un registre faussement détaché comme dans l'agressivité profonde de ses growls. L'excellent « Day Twelve : Trauma » est un morceau à sa mesure : associée à la tessiture ultra grave d'Eric Clayton, chacune de ses interventions offre une puissance massive à l'événement décisif que revit le protagoniste bien malgré lui : la mort de sa mère. Il est tout aussi brillant dans « Day Fifteen : Betrayal » qui révèle la crasse que le protagoniste a fait à son meilleur ami avant l'accident, en publiant des documents compromettants pour lui voler la place de directeur d'entreprise. Ce protagoniste n'est donc pas la victime que les premiers morceaux semblaient présenter ; il a bien des torts cachés sous le tapis qui ressurgissent à la faveur d'une plongée impressionnante des les limbes de son esprit.
Il faut dire que le chef-d'orchestre montre l'exemple. Pour dépeindre ces tranches de vie fractionnées, il façonne des morceaux extrêmement cohérents. Le principal point fort de l'album est la qualité de ses claviers, tantôt criards, avec des solis débridés, comme celui de Joost van den Broek sur « Day Two : Isolation ». ou plus classiques, avec quelques envolées d'orgue Hammond anthologiques : celle que Ken Hensley offre à « Day Sixteen : Loser » fait partie des moments forts de l'album, tout comme ces notes enchanteresse avec lesquelles Arjen Anthony Lucassen fait décoller « Day Four : Mystery ». Cet instrument parsème tout l'album et son utilisation dans plusieurs registres est particulièrement pertinente. Lorsqu'il persévère dans le registre metal, The Human Equation s'avère même particulièrement épique : « Day Twenty : Confrontation », est une véritable apothéose qui voit Ed Wardby mitrailler la double pédale pour catalyser un grand final en forme de feu d'artifice.
Avec un recul de plusieurs années, je peux donc me permettre d'affirmer que The Human Equation est un accomplissement évident pour Ayreon, une nouvelle étape importante de sa discographie qui accomplit par ailleurs le tour de force de se rattacher – à l'aide d'un sampler en forme de « scène post-générique » à la toute fin du dernier morceau – au concept global de sa discographie, avec le « Dream Sequencer », cette machine qui permet aux survivants de 2084 de revivre en les simulant des événements vécus ou encore des émotions ressenties par leurs ancêtres. Je dois tout de même reprendre mes esprits et nuancer cette déclaration d'amour un brin emportée : cette œuvre a évidemment pris quelques rides depuis 2004, avec ses sonorités dépassées et ses passages hyperboliques et grandiloquents qui font un peu trop Disney. Malgré ses invités très prestigieux et ses temps forts évidents, ce sixième full-length n'échappe pas aux longueurs qui viennent parfois poindre et perturber son équilibre. Plusieurs pièces antérieures et postérieures de l'oeuvre gargantuesque du Hollandais ne manquent pas de le surpasser. Néanmoins, ces réflexions lucides n'abîmeront probablement jamais l'affection presque irrationnelle que j'ai pour cette fresque épique et intimiste m'ayant initié à bien des choses en son temps.
| Voay 26 Janvier 2022 - 1030 lectures |
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