« The age of shadows has begun !
I won't accept what we've become
We stand to lose more than we've won
The age of shadows has begun ! »
Foi de « Forever », Arjen Anthony Lucassen a des choses à dire. Avec son projet
Ayreon, principal vecteur des histoires extraordinaires qu'il a en tête, le conteur crée de massifs « opéras metal » depuis 1991, jusqu'à bâtir un univers entier, d'une cohérence et d'une richesse toutes deux exemplaires. À la force de son travail de titan et de son inspiration sans borne, son projet qui avait débuté dans un relatif anonymat (
The Final Experiment (1995) et
Actual Fantasy (1996), ses deux premiers opus, ne rencontrant que tardivement le succès escompté) sont devenues une véritable source d'inspiration pour bon nombre d'auditeurs qui prirent le temps et l'énergie nécessaires pour épouser son propos. J'en ai moi-même été la victime consentante dans mes jeunes années... jusqu'à devoir sortir mon carnet de notes aujourd'hui pour m'en faire le héraut sur votre webzine préféré. Mais alors que
The Human Equation (2004) naviguait entre deux monde, la conscience et l'inconscience, le rock des seventies et le metal progressif des années 2000, notre Hollandais volant a décidé pour son septième acte paru en 2008 de muscler son jeu. Plus mordant, plus agressif et encore plus épique que son grand frère,
01011001 présente une modernité et une inventivité renouvelées. Pour installer cette atmosphère futuriste, Arjen Anthony Lucassen, qui se charge de l'intégralité des composition ainsi que de la guitare, de la basse, des claviers et des quelques notes de mandoline qu'il parsème dans ses créations, a décidé de lifter ses sonorités et de franchir un pas de géant après s'être quelque-peu reposé sur ses lauriers dans le précédent disque. Le son de ses claviers, notamment, prend une nouvelle coloration bien plus moderne. Aidé par Derek Sherinian, qui vient livrer un solo sauvage dans « The Fifth Extinction » ou encore la flûte enchanteresse de Jeroen Goossens qui illumine plusieurs moments intimistes du disque, il ajoute de nouvelles cordes à son arc, toujours bien bandé par l'excellent batteur Ed Warby, qui rythme ses idées avec dévotion, à l'aide de sa frappe implacable que la production elle aussi renouvelée ne manque pas de sublimer.
Le nouveau casting d'invités vocaux est à la hauteur de ses ambitions. Arjen Anthony Lucassen sait s'entourer de grands noms pour tirer d'eux les meilleures performances possibles. Daniel Gildenlöw (
Pain Of Salvation) laisse traîner son grain de voix sur plusieurs morceaux, tout comme Tom Eglund (
Evergrey) et Jonas Renkse (
Katatonia), alliés de choix dans le registre mélancolique et contemplatif. Avec Hansi Küsch (
Blind Guardian), il attrape dans ses filets l'un des MVP du heavy metal, avec une empreinte vocale résolument unique qui viendra offrir un supplément d'épique à cette nouvelle fabrique d'hymnes gargantuesques. Le pendant féminin de ces têtes d'affiche n'est pas en reste, avec ces grandes voix que sont Simone Simons (
Epica), Floor Jansen (
Nightwish), Marjan Welman, Liselotte Hegt ou encore Anneke van Giersbergen qui s'allient à plusieurs reprises pour former des choeurs à la pureté percutante. Mais tous ces gens ne sont là que pour raconter l'histoire fantastique qui a germé dans l'esprit de leur chef-d'orchestre depuis ses débuts et se développe album après album.
01011001, avec ses allures de soap spatial, prend place sur la planète Y (le nom de l'album en code ASCII), déjà évoquée sur l'arc
Universal Migrator sous la forme d'un double album paru durant l'année 2000. Nous sommes à l'ère de la post-humanité : une race d'aliens aquatiques, les « Forever », vit sur cette planète mais semble devenue totalement apathique. Ayant découvert le secret chimique de l'immortalité dans le morceau « Liquid Eternity » qui leur offre la vie éternelle mais les prive de leurs émotions, cette bande de personnages désabusés se lance donc dans une quête désespérée pour retrouver des bribes de leur humanité perdue. Ils façonnent une nouvelle espèce d'individus à leur image et jouent avec la génétique pour accélérer leur évolution : l'espèce humaine. Ils profitent d'une comète pour envoyer leurs créations vers la Planète Terre dans « The Fifth Extinction ». Plus que les aventures cosmiques, c'est bien l'exploration des émotions, thématique très chère à Arjen Anthony Lucassen, qui est une nouvelle fois au centre de cet album concept. Ses protagonistes – humains comme aliens – utilisent la technologie « Dream Sequencer » (déjà utilisée sur l'album précédent) pour en vivre et en consommer de manière artificielle et synthétique, alors même que cette dépendance à la technologie risque de les conduire à leur perte.
En donnant un nouveau souffle à son histoire,
Ayreon relance aussi son inspiration.
01011001 est plus dur au mal, plus solide sur ses fondamentaux et bien plus hargneux que son prédécesseur. Exit les passages kitsch un peu Disney ou les longueurs un brin niaises, place à l'épique : plusieurs titres n'y vont pas par quatre chemins pour initier la révolte, à l'image des « Forever » qui tentent le tout pour le tout pour se libérer de leur sort. Là où
The Human Equation restait très terre à terre,
01011001 développe une atmosphère spatiale qui fuse dans tous les sens. La grandiose ouverture « Age Of Shadows / We Are Forever » donne le ton, affichant dix minutes d'envolées épiques au compteur pendant lequel
Ayreon étale son talent comme la variété de ses idées. Aux côtés des massifs « Liquid Eternity », « The Fifth Extinction » ou encore « Unnatural Selection », plusieurs passages de l'album matraquent crânement leurs grosses guitares épiques avec le souci de renouveler l'inspiration du groupe. À l'image de l'efficace « E=MC2 », tout l'album est parsemé de sonorités plus modernes, créées par des claviers plus atmosphériques qui prennent le temps de poser une atmosphère cosmique très travaillée qui laisse aux talents derrière les micros toute la latitude possible pour impulser ces émotions contradictoires auxquelles tiennent tant ces « Forever » déchus. Le numéro de funambule livré par Daniel Gildenlöw sur le début de « Beneath The Waves » l'illustre particulièrement bien :
« The water breaks the golden sunrays
Silver dances on the wave
But a memory...
I often dream about the old days
Playing hide and seek within the caves
But a memory... »
Pour autant,
Ayreon n'oublie pas son côté organique, progressif et seventies. Ces deux aspects semblent simplement moins envahissants qu'auparavant, comme le montre ce morceau qui gère particulièrement bien son mid-tempo transcendé par les nappes d'Hammond apaisantes qui viennent interrompre judicieusement le flot d'épique du début d'album avant de connaître des soubresauts pilotés par un Hansi Küsch clinique. Comme c'est de coutume chez
Ayreon, chaque invité est parfaitement bien utilisé et se met au service d'une variété de ton exemplaire. Alors que Tom Eglund sublime l'épique « The Fifth Extinction » de sa présence magnétique dans un registre dramatique, Ty Tabor prend des airs de Steven Wilson sur « Connect The Dots », à tel point qu'on jurerait entendre quelques idées du Britannique dans le début du morceau, d'autant plus avec cet habile clavier futuriste. Jonas Renkse (
Katatonia) illumine chacune de ses interventions de son timbre de voix soyeux, toujours prompt à créer une mélancolie immédiate en quelques notes. Son intervention teintée de fatalisme dans « Age Of Shadows / We Are Forever » pose tout l'enjeu dramatique de l'album...
« We are forever, eternal prisoners in time
We are forever caught in our cold inertia »
… bientôt repris avec un talent tout aussi éclatant par Anneke van Giersbergen, qui illumine ce début de fresque avec la mise en voix – peu évidente par ailleurs – du code qui donne son nom à l'album.
01011001 ne fait pas exception à la règle :
Ayreon gère aussi parfaitement bien l'équilibre entre les voix masculines et féminines, comme l'illustre ce magnifique duo intimiste entre le chanteur de
Katatonia et l'omniprésente Anneke van Giersbergen dans l'innovant et aérien « Waking Dreams », morceau turbo-planant taillé sur mesure pour ces deux étoiles.
01011001 est aussi une grande réussite grâce à son ultime morceau qui laissera une empreinte sur les auditeurs qui auront survécu jusque là. Cette pièce épique de douze minutes aux faux airs de « Sacre du Printemps » résume l'intégralité du talent de son chef-d'orchestre à l'aide d'un feu d'artifice créatif. Floor Jansen (
Nightwish, Jonas Renske, (déversant quelques growls éphémères), Daniel Gildenlöw, Bob Catley, Hansi Küsch ou encore Steve Lee incarnent les « Forever » et se livrent une bataille mélodique de tous les instants à l'aspect chorale qui raconte avec une certaine emphase l'événement tragique qui se déroule sous leurs yeux impuissants. « The Sixth Extinction » est bien celle de l'espèce humaine, leur création, qui détruit son habitat à grands coups de bombes nucléaires. Cette fin terrible marque aussi la naissance d'un personnage récurrent de l'univers d'
Ayreon : le « Migrator Soul », dernier survivant de l'espèce humaine qui fuit vers Mars, entretenant l'incertain espoir de repeupler son espèce en découvrant de nouveaux mondes. Si sa trajectoire a été déjà contée dans
Flight Of The Migrator (Universal Migrator, Part. II), c'est pour l'heure un tragique échec que la sentence « le cycle est complété » vient sanctionner en toute fin d'album. L'auditeur décontenancé est forcé d'abandonner ces personnages à leur désespoir.
Album après album, Anthony Arjen Lucassen bâtit donc un gigantesque univers qui ne concède rien à la facilité. Cette fois-ci, le compositeur a même évacué quelques-uns de ces gimmicks de composition récurrents, bien que certains passages ne manquent pas de flirter avec le kitsch. Reste que cette dynastie maudite des « Forever », personnages torturés qui évoquent parfois les
Inhumans de Jack Kirby, sont ici parfaitement incarnés par un nouveau panel d'invités de grand talent qui contribue à faire de
01011001 l'une des meilleures épopées d'
Ayreon. Particulièrement à l'aise lorsqu'il s'agit d'adopter un registre plus moderne et plus efficace, le Hollandais touche-à-tout écrivait ouvrait de fait un nouveau cycle stimulant dans l'oeuvre de sa vie.
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