Quand on écoute beaucoup un album sur une courte période, il reste encré dans notre esprit et devient la célèbre madeleine de Proust. Une fois réécoutés après une longue période d’éloignement, ses morceaux parviennent à faire resurgir les images de cette époque, les sentiments, le quotidien, voire même les odeurs qui y sont rattachés. C’est pour cela qu’à propos de la musique on parle de « bande originale de notre vie ». Chaque épisode de notre existence est relié à la musique qui les a accompagnés.
ARS MORIENDI propose le contraire. Son unique membre, Arsonist, ne propose pas des chaussons que nous allons enfiler et forger à nos pieds, mais il met en musique sa vie. Toutes ses expériences, tout ce qui l’a forgé en tant que personne au fil de sa vie, tout ce qui fait qu’Arsonist est Arsonist et donc
ARS MORIENDI ARS MORIENDI. Et l’on pourra me dire que c’est le cas de tous les artistes, mais non, la plupart d’entre eux ne mélangent pas à ce point autant d’influences, autant de vécu, autant de couleurs différentes dans leur art. Car c’est bel et bien ce que nous hurlent ces 5 pistes, peut-être même sans que notre compositeur s’en rende véritablement compte : « Voilà l’homme que je suis ! Voilà ce qui m’a modelé ! ».
« Mais pas du tout ! Il ne parle pas de lui ! Il parle de l’Histoire ! Regarde la pochette ! Lis les paroles ! Ça parle par exemple du Sac de Brescia, l’attaque des troupes vénitiennes contre l’occupation française en 1512 ! ». Et bien justement si, là encore, on découvre Arsonist, on comprend pour quoi il se passionne, à quoi il s’intéresse, ce qu’il veut partager. Et au lieu d’essayer de restituer à ce sujet une ambiance telle qu’on peut l’imaginer, il crée des ambiances musicales très personnelles ! D’ailleurs, l’homme est un fin amateur de musiques, au pluriel, et de tous les styles qu’il a pu apprécier le long de sa vie, il en a toujours gardé une trace au fond de lui, et il a le talent, mais aussi la clairvoyance, de les intégrer à ses compositions. Il en résulte ce que certains appelleront du metal progressif, mais qui est en fait une biographie musicale, un enchevêtrement savant de black metal, de death metal, de heavy metal, de musique classique, de jazz… et d’autres horizons musicaux encore !
Le talent d’
ARS MORIENDI vient surtout de sa capacité à mêler tout cela sans oublier les sensations et les sentiments. Il y a une force impressionnante pour délivrer des messages le long des morceaux. Les 4 premiers dépassent tous 10 minutes, mais ils sont véritablement pleins à craquer de variations, d’éléments personnels. Ils racontent tous une histoire avec efficacité parce que la musique raconte bien les choses, parce que les différents timbres sont adaptés aux propos, et parce que des samples viennent aussi ajouter des informations visuelles, comme l’incantation en latin au début de « Savonarole » ou encore la guillotine qui tombe à la fin de « Le viatique et l’oraison ». C’est un travail d’orfèvre minutieux, incroyablement réfléchi, mais sans se perdre dans son ambition. Aucun doute sur le temps passé à la construction de ces fresques et aux moindres détails des différentes voix et des différents chœurs ainsi que des instruments variés et des sons variés.
Et je vais avouer quelque chose, mais même si cette formule n’est pas nouvelle pour
ARS MORIENDI, cette fois-ci, elle me semble plus aboutie que sur les deux albums précédents. La richesse et la qualité de leur exploitation m’ont autant plu que sur
La singulière noirceur d'un astre, et ce sur l’ensemble des 56 minutes, jusqu’à ce dernier morceau de 6 minutes, « Enivrons-nous », qui est la mise en musique d’un poème de Baudelaire lu par Serge Reggiani, sans aucune touche black metal, death metal ni koikecesoi metal. Juste quelques touches instrumentales qui y apportent une forte dose de mélancolie et de beauté.
Finalement,
ARS MORIENDI ne dit pas « Tenez, je crée un paysage magnifique et vous allez voyager en fermant les yeux », mais il nous dit « Voilà ce que je suis, voilà ce que j’ai vécu, et même si ce n’est pas ce que vous auriez aimé, c’est mon identité, et je me mets à nu pour vous le restituer. Je le fais sans fard, avec sincérité, mais aussi avec toute l’application possible, tout le travail nécessaire pour que tout cela soit fidèle et respectueux. Respectueux envers moi-même, envers l’auditeur, envers l’art ».
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