Lalu - Paint The Sky
Chronique
Lalu Paint The Sky
Une plongée dans l'inconnu, capable de surprendre à tout instant. N'est-ce pas exactement ce qu'un album estampillé « progressif » se doit de promettre, voire de garantir ? C'est en tout cas ce que tout auditeur du genre est en droit d'attendre d'une telle sortie. C'est aussi ce que le troisième full-length de Lalu a les moyens d'offrir. Il faut dire que le projet de Vivien Lalu, musicien reconnu de cette sphère qui brasse un nombre incalculable d'influences, a un très fort potentiel. Descendant de deux figures du rock progressif des années 1970, Noëlle et Michel Lalu, fondateurs du groupe Polène, le fils prodigue, bercé par les classiques du genre perfusés en intraveineuse puis digérés à sa manière, a décidé de voler de ses propres ailes dans un registre plus violent que celui de ses géniteurs. L'homme sait ce qu'il veut : son premier album, Oniric Metal (sorti en 2005 puis remastérisé en 2015), plaçait son projet sur l'échiquier des formations à suivre, grâce à une qualité et une maturité qui explosaient toutes deux aux oreilles. Le combo réussissait déjà à mélanger les guitares du metal et le feeling du prog parental sans faire dans le fayotage ni l'imitation. Après une collaboration avec les légendaires Shadow Gallery, l'opus « sophomore » Atomic Ark (2013) confirmait le génie du bonhomme et durcissait encore le ton, en allant grappiller quelques influences du côté du metal extrême, avec l'apport de Peter Wildoer (Darkane) notamment. Lalu conservait tout de même une ossature stable ainsi qu'un panel d'invités prestigieux (Virgil Donati à la batterie, Marco Sfogli aux soli...) qui ne manquaient pas de donner de leur personne pour des « featurings » remarqués. Sa signature chez Frontiers Music et la réunion d'un nouveau line-up rutilant lui donnait l'opportunité de repartir à zéro. Exactement ce dont notre claviériste perfectionniste devait rêver, sans doute! En s'entourant d'une équipe de qualité : Joop Wolters (guitare, basse), Jelly Cardarelli (batterie) et Damian Wilson (voix) et d'une nouvelle salve d'apparitions cinq étoiles (Jordan Rudess, Steve Walsh, Gary Wehrkamp...) il saisit pleinement cette chance et décide de s'offrir sur Paint The Sky un retour à ses sources ataviques : le rock des seventies.
Bien accompagné, Vivien Lalu prendra donc toutes les mains qui lui seront tendues pour guider paisiblement cette plongée dans l'inconnu. Elle ne manquera pas de donner le vertige, tant la maîtrise d'orfèvre de ses compositions et la technique déployée sur ce troisième full-length sautent toutes deux aux oreilles dès les premières écoutes. Cette double maestria n'est ni envahissante, ni dégoulinante et atteint sur l'ensemble de ses compositions un parfait équilibre entre virtuosité évidente et spontanéité éclatante. On sent l'éclate totale du chef-d'orchestre derrière ses créations. Quelle gageure! Ce n'est pas donné à n'importe qui de réunir une bonne douzaine de virtuoses qui ne tirent jamais la couverture à eux et proposent un album à la cohérence exemplaire, qui plus est gavé de feeling jusqu'à la garde. Ces compositions résolument « à l'ancienne » sont d'une gaieté éclatante et arracheront un sourire satisfait à n'importe quel amateur nostalgique qui aura la bonne idée de leur laisser une chance. C'est en tout cas ce qu'exprime l'ultime piste du disque, cette version instrumentale réinventée du morceau « Paint The Sky » avec Simon Philipps à la batterie, répondant avec inventivité au chef-d'oeuvre éponyme et hyperactif qui tirait l'album vers les sommets un peu plus tôt dans sa tracklist. Toutes ces compositions savent rester d'une finesse magistrale et demeurent toujours évolutives, surprenante et inépuisables, capables de partir dans tous les sens sans jamais affecter leur qualité et leur cohérence. Parmi toutes ces salves mémorables, « Standing In The Gates Of Hell » réalise particulièrement bien le potentiel d'un album progressif avec son break expérimental incroyable, guidé par une signature rythmique aussi folle qu'ambitieuse sur laquelle dévale une gradation stimulante qui voit s'entrechoquer l'orgue Hammond et les arpèges de guitares dans un duel anthologique. Tout simplement orgasmique.
« Do we stand at the gates of hell ?
Wishing everybody well... »
La réussite éclatante de cet album doit aussi à la voix ultra soyeuse de Damian Wilson (qui a déjà montré l'étendue de son talent au sein de Threshold) et sa tessiture aiguë, si particulière, douce comme un smoothie bien mousseux qui se marie à la perfection avec ces compositions et leur apporte – s'il fallait le faire – une dose de charme supplémentaire. Avec ses vibrati discrets, notre homme parvient à exprimer une émotion profonde, comme sur le magnifique refrain poignant de « We Are Strong »...
« Did you ever see the stars a time
Shining for our brothers ?
And if you wonder why they shine so bright
Where's all in this together! »
… auquel il offre une belle solennité. Que c'est beau, bordel. Y-avait-il meilleur choix de casting que lui ? Je ne crois pas, tant le vocaliste sait se lover à la perfection dans ces compositions déjantées avec ses lignes de chant d'une douceur cotonneuse pour mieux les apaiser, les faire respirer et donc les rendre encore meilleures. Il le fait parfaitement au début de « Witness To The World » en impulsant un leitmotiv emblématique, ou encore sur « All Of The Lights », bien aidé par le piano si émouvant de Vikram Shankar. Cette interlude de moins de deux minutes parvient à me comprimer le cœur en quelques secondes. Malgré quelques moments où la tristesse domine, Paint The Sky reste une fête absolue qui donne des envies de randonnées dépaysantes, sans boussole, qui finissent dans un champ, bras croisés derrière une tête parcourue de pensées rêveuses et positives. Elles seront infusées des punchlines poétiques de Damian Wilson, qui sait aussi bien se taire lors des batailles mélodiques qu'exprimer toute la palette de couleurs que lui permet son registre : ses envolées lyriques bien senties, jamais maniérées, offrent un supplément d'épique aux breaks déchaînés qui savent assaillir les oreilles de leur créativité illimitée. Il sait parfaitement comment faire décoller ces compositions, comment les faire atterrir... sa maîtrise est totale. Ce commandant de bord a aussi veillé à écrire des paroles-catharsis durant les confinements et se fait colporteur de messages positifs, intelligents, à visée écologique notamment, qui ne peuvent que faire du bien à notre époque tourmentée (« Reset To Preset », « Won't Rest Until The Heat Of The Earth Burns... »), surtout lorsqu'elles sont exprimées à l'aide d'une telle qualité de composition.
En effet, le groove règne en monarque absolu sur Paint The Sky. Voilà encore une promesse largement tenue : le ciel y resplendit de mille couleurs, tant le feu de Dieu semble couler dans les entrailles de sa section rythmique! Je ne tarirai pas d'éloges sur le jeu extraordinaire du batteur Jelly Cardarelli, qui imposait sa patte dès le premier single « The Choosen Ones » avec un pattern introductif ultra technique qui démontrait autant sa créativité que sa maestria. À tel point qu'il ferait presque oublier que Jordan Rudess (Dream Theater) vient déposer l'un de ses soli gravitationnels sur ce morceau virtuose et changeant! Cela ne perturbe aucunement notre cogneur qui maintient un niveau d'exigence irréel durant tout l'album, avec des lignes de batterie d'une finesse incroyable qui le font briller de mille feux et l'imposent régulièrement comme le MVP au milieu de tous ces génies. Il glisse même un mini blast-beat dans « Emotionalised », comme un clin d'oeil adressé aux brutasses de Thrashocore qui se seraient perdues dans cette chronique. La production le met particulièrement bien en valeur, avec une précision dantesque sur les basses et les cymbales qui rend bien justice à son jeu virtuose, toujours très impressionnant. Entendez sa caisse claire qui claque comme le fouet, ses fulgurances de double pédale d'une précision millimétrée (« Reset To Preset »)! Son compère Joop Wolters n'est pas en reste, lui qui porte à bout de bras ces créations magistrales d'un jeu de basse limpide et subtil qui brille de mille feux sur « Lost In Conversation » notamment. Ses arpèges enchanteurs de guitare illuminent « We Are Strong » et ajoutent une mélodie scintillante aux accords qui en rythmaient la structure. Quant au morceau éponyme, il propose une explosion d'inventivité que je savoure avec délectation : ses duel de claviers et ses soli virtuoses ressuscitent les sonorités des années 1970 avec une gouaille resplendissante.
On pouvait craindre qu'une telle association de talents accouche d'un album trop inégal, manquant de spontanéité, ou même de fraîcheur... que nenni, bien au contraire : quelle énorme mandale, quelle leçon magistrale de groove et d'inventivité! L'immersion est totale. Nous n'avons même pas terminé le mois de janvier que j'ai déjà l'impression d'avoir déniché l'album de l'année... la barre semble déjà placée si haute pour les « concurrents » qui viendront s'y frotter, tant il sera difficile de trouver aussi créatif et réjouissant dans un registre certes maintes fois exploré, mais toujours aussi vivifiant. Non content de rendre un vibrant hommage au prog le plus noble, Lalu le fait avec une classe et une virtuosité éclatante dans Paint The Sky. Le plus fort dans tout ça, c'est que l'architecte derrière ce projet magnifique accomplit le tour de force de se mettre en retrait, préférant faire preuve d'une modestie et d'une discrétion toutes deux admirables : seules subsistent l'immédiateté et la puissance de ses compositions, véritables écrins permettant à ses nombreux invités d'exprimer pleinement leur talent. Je n'aime guère les injonctions, mais j'invite avec insistance les amateurs sincères du genre à se précipiter goulûment sur cette déclaration d'amour à une époque rendue rubis sur l'ongle, sans aucun calcul ou vénération mal placée. Juste du plaisir pur! Satisfait ou remboursé.
| Voay 21 Janvier 2022 - 1993 lectures |
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