Monuments - In Stasis
Chronique
Monuments In Stasis
Déjà une bien belle carrière pour Monuments! Au sein de cette grande scène du metal progressif qui brasse large, de ses factions campant fermement sur leurs influences seventies aux aficionados matrixés par les sonorités innovantes des pionniers Meshuggah, les Britanniques savent très clairement de quel régiment ils font partie, eux qui ne manquent pas de s'acoquiner avec les Periphery et autres Born Of Osiris notamment. En tout cas, ils s'efforcent, intention louable, de maintenir une complexité de composition et de structures ainsi qu'une virtuosité nécessaire à leur accomplissement toutes deux héritée de cette maestria ancestrale observée d'un œil lointain. Après leur formation en 2007 et quelques tergiversations sous un autre nom pendant quelques années, Monuments a obtenu, depuis 2012 et leur premier full-length Gnosis déjà parrainé par Century Media, son diplôme de rythmiques en tierce, de riffs syncopés avaleurs de cervicales, de breakdowns massifs ou encore de phases en « screaming » savamment équilibrées. Phronesis (2018) représentait déjà un accomplissement en terme d'intelligence de composition et de maîtrise de ces sonorités percutantes. Notre quintet, devenu quatuor depuis 2019, entendait bien lui offrir un successeur digne de ce nom. Ils décident donc d'opérer une mue habile en recentrant le propos autour de quatre individualités : exit le talentueux Chris Barretto, place au prometteur Andy Cizek qui vient offrir son impressionnante capacité vocale aux assauts des Anglais et participer activement, avec le batteur Mike Malyan, au processus de composition, chapeauté comme de coutume par le guitariste fondateur John Browne et son complice de toujours Adam Swan (basse). Monuments a même élargi la perspective en invitant plusieurs invités de marque à participer à ce rituel préparatoire à In Stasis, dans la perspective – louable là encore – de renouveler et de repenser leur savant mélange entre beauté et brutalité.
Outre le compositeur australien Mick Gordon (auteur en son temps de la B.O. du pugnace jeu vidéo Doom) venu laisser sa patte sur « Lavos », c'est un de leurs anciens membres Neema Askari qui est venu leur prêter main forte sur l'ouverture « No One Will Teach You ». In Stasis compte aussi en son sein la présence magnétique de Spencer Sotelo (Periphery), venu appuyer Andy Cizek sur « Arch Essence ». Force est de reconnaître que cet apport extérieur – ainsi que la réflexion offerte par quatre ans de distance – permet à leur metal progressif de se brutaliser, de se complexifier et de devenir encore moins facile d'accès qu'auparavant. Attention, les Anglais sont loin de faire table rase du passé : on retrouvera sans coup férir les ingrédients qui fonctionnaient bien sur The Amanuensis (2014) ou Phronesis (2018), notamment cette alternance judicieuse entre « screaming » typés metalcore et phrasés mélodiques hauts perchés. Les vocaux clairs et la tessiture câline du chanteur Andy Cizek ne dépayseront guère les amateurs de Chris Barretto, puisqu'ils comportent toujours cette mièvrerie inhérente au style qui pourra paraître agaçante à la longue. Ceci-dit, ce nouveau chanteur découpe sévèrement lorsqu'il décide de se remonter les manches et de hurler ses tripes. Lorsqu'il décide d'aller chercher ce « growl » percutant au fond de ses entrailles dans certaines phases de « Collapse » ou de « Cardinal Red »...
« Kneel before your fate, wrought by the hands of God
Now I bring your death ! »
… ou de lâcher des « screamings » terrifiants à la fin de « Lavos » pour défendre avec conviction la condition animale...
« Animals in a cage, barely kept alive
Driven by grief and vengeance
Some of us filled with rage, some of us with pride
But in the end we’re all empty »
… il apporte une plus-value essentielle en terme de brutalité. D'autant plus impressionnante que le bonhomme ne triche pas : plusieurs vidéos sur Youtube témoignent du fait que ces lignes de chant ont été mises en boîte en une seule prise! Impressionnant. Il s'impose évidemment comme l'acteur idéal pour tisser un fil rouge qui court sur l'ensemble des morceaux de In Stasis, autour du mal-être et de l'isolation, tremplin de critiques frontales exprimées envers certains domaines de la société, notamment la religion. Ces diatribes sont catalysées par la violence que dégage les coups de boutoir du batteur Mike Malyan qui avoine à qui mieux-mieux, que ce soit avec du « blast beat » frénétique (servi avec rigueur sur le surpuissant « Lavos »), des tapis de double pédale ou encore des breaks virtuoses (« Makeshift Harmony » pourra occasionner de jouissifs nœuds au cerveau) et des contretemps ciselés qui lui permettant de relancer avec une précision dantesque le rythme complexe et effréné de ces onze morceaux. C'est un fait, on ressent clairement le travail collégial du quatuor autour de ces nouvelles créations qui ne se reposent presque jamais sur leurs lauriers et cherchent toujours à sortir de leur zone de confort, tout en ne manquant pas d'évoquer certaines influences évidente, comme ce vibrant motif de guitare ouvrant « Opiate » ou encore ce riff déconstruit de « Somnus » (vers 2'33'') évoquant avec succès les parrains du genre Animals As Leaders. Lorsque les hurlements déchaînés du vocaliste permettent aux morceaux d'atteindre leur « climax », force est de reconnaître que Monuments brille par sa dévotion pour un genre qui a encore beaucoup de latitude à offrir dans la créativité, à l'image de « False Providence » et de ses incartades électro. Il en va de même pour « The Cimmerian », morceau final épique qui propose de nouveau cet équilibre intéressant entre envolées contemplatives et agitation permanente, avec un riffing aussi créatif que changeant.
Un gouffre abyssal est franchi en terme de qualité sonore, évidence qui saute aux oreilles dès les premières écoutes de ce In Stasis. La qualité de la production, exponentielle depuis leurs débuts, n'a jamais été aussi limpide chez les Britanniques. Certes, Phronesis (2018) faisait déjà très bien le job à ce niveau, mais In Stasis a totalement évacué la plasticité de certains recoins cachés derrière le mur de guitare au profit d'un déferlement organique de puissance. Mike Malyan dispose ici d'un arsenal sonore de qualité supérieure avec un son de caisse claire claquant et efficace au possible et une grosse caisse d'une lourdeur exemplaire. Il offre une ampleur inédite aux fulgurances et à l'inspiration débordante de John Browne, qui franchit lui aussi un cap dans la complexité de son riffing. Si son style reste très référencé et balisé, ne sortant que très peu des carcans du djent, il fait encore plus fi des structures classiques que dans les albums précédents pour proposer des morceaux toujours plus imprévisibles et virtuoses. La palette sonore de In Stasis s'en voit rehaussée et offre une nuance de couleurs bienvenue, allant des déferlantes de grinta qui cassent des bouches comme « No One Will Teach You », « Lavos » ou encore « Collapse » aux plus introspectifs et mélodiques « False Providence » ou « Makeshift Harmony ». « The Cimmerian » vient faire la synthèse de tous ces ingrédients maîtrisés.
In Stasis vient donc témoigner du fait que Monuments a parfaitement réussi son évolution. On y ressent dans chaque note le processus de composition pluricéphale ainsi que les calculs savants de son maître à penser John Browne pour repousser les limites de la virtuosité et de la créativité. Néanmoins, le style très codifié dans lequel les Britanniques officient depuis leurs débuts représente encore une limite importante et enferme malgré lui le quatuor dans des écoutilles dont ils ne sortent finalement que très peu. Même si le combo fait tout ce qu'il peut pour surprendre et reformuler à sa manière les patterns très scolaires du djent, l'auditeur exigeant anticipera forcément certaines signatures redondantes, comme cette tendance au refrain mièvre et maniéré qui viendra fatalement interrompre la brutalité ambiante et casser de manière un peu capillotractée une dynamique prometteuse. Pourtant, je n'ai aucun doute : cette nouvelle salve de morceaux accrocheurs qui offrent parfois une brutalité jouissive sauront trouver leur public. La progression des Anglais est évidente mais reste cantonnée à un registre qui laisse trop peu de place aux idées neuves, à la folie et à la spontanéité que l'étiquette « metal progressif » devait à la fois permettre et garantir.
| Voay 15 Avril 2022 - 933 lectures |
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