Un nouvel album d'
Animals As Leaders est toujours un événement. Ne serait-ce que pour la créativité impressionnante qui infuse dans les particules de ce trio légendaire, qui a écrit presque à lui tout seul un pan entier de l'histoire du metal au début de la décennie précédente. Happé par la beauté vertigineuse qu'offrait les danseurs Butoh transcendant les notes de « Monomyth »...
… je dois confesser que j'attendais
Parrhesia la bave aux lèvres, la main tremblante, avide des dingueries que le combo pouvait nous réserver six ans après un
The Madness Of Many célébré comme le messie par l'un des anciens membres de votre webzine préféré qui s'était reconnu dans l'acronyme que son titre formait alors. Il faut dire que les quatre œuvres précédentes possèdent, chacune pour des raisons différentes, la capacité de parler aux tréfonds de l'âme de chaque auditeur qui prendra le temps d'apprécier l'art contemporain tout à fait unique de ces Américains. Fondée en 2007 par le guitariste Tosin Abasi, cette petite secte devenue tricéphale depuis 2012 avec le renfort de Matt Garstka (batterie) et Javier Reyes (guitare) a inspiré des bataillons entiers de mathématiciens de la six-cordes rangés bien malgré eux sous la bannière de plus en plus controversée du djent. Une appellation à l'origine bien trop contrôlée pour l'exceptionnel guitariste qui ne faisait qu'exprimer sa virtuosité dans un registre totalement inclassable dès le premier album éponyme en 2009. Avec des morceaux cultes comme « Cafo », « Soraya » ou « On Impulse », il explorait, avec la bénédiction de son producteur Misha Mansoor (
Periphery), de multiples influences qu'un label si réducteur ne saurait résumer. Du jazz à l'électro en passant par les sonorités orientales et les riffs syncopés briseurs de cervicales joués à des octaves indécentes,
Animals As Leaders ne faisait qu'étendre son art jusqu'à atteindre avec
The Joy Of Motion (2014) une forme d'accomplissement, une véritable « Kascade » de bijoux ouvragés avec un talent d'orfèvre. Et comme ce qui est rare est cher, j'entendais profiter pleinement des trente-sept petites minutes que nous offre ce nouvel album à la couverture serpentine d'une subtilité admirable.
Parrhesia ne fait pas exception à la règle :
Animals As Leaders continue de proposer une œuvre d'art totale. Comme de coutume, les titres choisis pour ces morceaux intégralement instrumentaux illustrent à merveille la musique qu'ils introduisent. Comme cette boucle mélodique qui semble infinie dans l'épique final « Gordian Naught » (vers 2'30'') qui résonne avec toute la puissance et la subtilité que permet la production maniaque de Misha Mansoor qui repousse une nouvelle fois les limites de la propreté. Tout comme le mix de Nick Morzow et Javier Reyes permet à
Parrhesia de devenir une œuvre vivante, incarnée par ses riffs et ses changements de rythme permanents. Avec « Micro-Aggressions », impossible de ne pas ressentir ces petites attaques de guitare directement sur la peau, ces petits picotements d'énergie libérés par le « shred » à la fois délicat et puissant de Tosin Abasi qui évoque un essaim de moustiques déchaînés venus goulûment s'abreuver du sang de nos bras. Si on est bien vite libéré de cette oppression par un riff céleste renforcé par de petites nappes de « staccati » divins (vers 1'30''), il serait bien triste de passer à côté de son sublime clip, qui met en scène cette mitraille de guitares avec une direction artistique une nouvelle fois admirable.
Comme le suggère son orvet ornemental,
Parrhesia est un album de petites touches, globalement plus agressif que son prédécesseur, mais toujours gavé de nuances, entre caresses langoureuses et morsures vénéneuses. Ces deux pôles qui font la grandeur du combo permettent toujours une grande générosité dans l'expérimentation, registre dans lequel
Animals As Leaders excelle avec une exigence rare tout en s'efforçant de rester très moderne. Il le prouve en instillant des sonorités électro dans plusieurs morceaux, comme ce break surprenant dans « Gestaltzerfall » (vers 2'06'') qui crée une mélodie ascendante d'une beauté immédiate, bientôt acculée par une rythmique massive et ultra efficace.
Parrhesia sait aussi rester très cohérent dans la beauté : à la sublime gradation de « The Problem of Other Minds » (vers 1'31''), qui retombe bien vite sur ses pattes grâce aux généreuses nappes de clavier qui amènent le morceau vers son terme, répond l'atmosphère planante de « Red Miso », avec sa superposition onirique de notes de guitares. Voilà bien un morceau qui démontre qu'
Animals As Leaders brille également par sa capacité à remettre en cause ses morceaux : on passera de cette douceur cotonneuse, bercée par un solo contemplatif et mélodique à une décharge de guitare foudroyante qui vient tancer sans prévenir le tempo. À tel point qu'on ne sait jamais à quoi s'attendre avec ce trio, à l'image de la mélodie obsédante de l'excellente ouverture « Conflict Cartography », qui bascule vers un break besogneux et pesant qui voient les deux guitaristes croiser le fer avec une gravité abyssale, comme deux lames qui font des étincelles en s'entrechoquant. L'excellent batteur Matt Garstka brille lui aussi de mille feux, apportant sa propre palette de nuances à un ensemble qui regorge déjà de détails, avec ses contretemps virtuoses, ses « blast-beats » éphémères (« Micro-Agressions »), ses fulgurantes attaques de double pédale qui suivent à la note près les phases en « shred » de ses collègues... Il est aussi capable de sonner le glas avec ses breaks déconstruits et efficaces. Parfaitement mis en valeur par la production impeccable, son immense maîtrise technique apporte évidemment un supplément de violence à l'inspiration débordante de ses guitaristes.
Il faut dire que
Parrhesia n'est pas avare en brutalité. Ses accès d'agressivité s'expriment là encore par petites touches, avec des guitares syncopées qui soulignent de manière saccadée un rythme implacable et assomment avec toute leur profondeur par leurs attaques déstructurées et foudroyantes. Le surpuissant « Gordian Naught » exploite sans les caricaturer les codes du genre avec un motif répétitif qui fonctionne très bien. Son dénouement sinistre et dissonant offre à
Parrhesia une belle noirceur, tout comme l'excellent « Monomyth », qui réinvente à son tour les rythmiques martiales et calibrées du genre avec une virtuosité extrême qui permet une complexité paroxystique. Ce morceau diablement efficace à la rythmique irréelle, avec des tierces fulgurantes cassées par les cymbales ride et charleston de Matt Garstka laisse aussi aux guitaristes Tosin Abasi et Javier Reyes la possibilité d'exprimer leur implacable maestria technique avec des soli dissonants qu'ils viennent répandre avec classe sur leurs coups de boutoir surpuissants. La coloration très sombre qui hante ce cinquième opus – l'image du noir total qui enserre sa pochette et les photographies de son livret – se retrouve également dans l'évolution de plusieurs morceaux transformés en monstre polycéphales par l'inspiration éclatante de Tosin Abasi : dans « Red Miso », les guitares sous-accordées viennent secouer les nappes de claviers et leur apporter une puissance incroyable. Après un début aérien et presque innocent, la deuxième partie de « Thoughts and Prayers » vient casser des bouches avec une efficacité clinique. De manière générale, ces passages percutants viennent toujours relancer la dynamique de morceaux qui allient à la perfection instabilité chronique et cohérence d'orfèvre.
Parrhesia est bien la « parole du maître » en matière de metal progressif. Il permet à
Animals As Leaders d'y exprimer une nouvelle fois une virtuosité éclatante qui imprègne toute son aura, de sa musique à sa direction artistique. Avec neufs nouveaux morceaux qui rivalisent d'inventivité et de créativité débordantes, le trio renouvelle avec grandeur sa nature morte, riche de nombreuses pistes d'interprétation, comme le ferait une peinture abstraite. Bien que son filet soit un peu plus léger cette fois-ci, avec une durée qu'on pourra trouver trop expéditive et des morceaux peut-être moins marquants que certains classiques d'un passé pas si lointain, la source
Animals As Leaders n'est pas près de se tarir.
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