Souvenez-vous d'une époque... Une époque où le mot « Djent » n'était pas utilisé. Une époque où
MESHUGGAH était encore confidentiel dans la sphère "grand public" du Metal mais commençait à doucement se faire une place comme « la sensation montante » grâce à un
ObZen magistral. Une époque où le Prog revient en force, à grand renforts de mélange des genres : nous sommes en 2010, et l'explosion de Youtube fait que, rapidement, toute une culture émerge des flots du passé, et par les vagues qu'elle déchaîne, crée un véritable raz-de-marée.
Cette époque voit naître un nombre furieux de projets qui peuvent être accessibles via des plate-formes qui se multiplient. C'est dans cet amalgame, ce big bang de la sphère Metal qui implose, brûle et se métamorphose qu'émerge un groupe alors considéré pour les « metal nerdz ».
Vous savez, on a tous ce/cette pote qui connaît des groupes absolument inconnus. À une période, cette personne parlait de
CYNIC et WATCHTOWER alors qu'il n'y avait que le Big 4 sur les lèvres. C'est celui qui écoutait du Pagan et du Folk tandis que d'autres s'engageaient dans ce Nu Metal populaire. Ou, encore, c'est le ou la gusse qui va dire que le Death brutal façon
CANNIBAL CORPSE, qui refait parler de lui en 2000, c'est tellement ridicule face à du
ORIGIN ou
THE FACELESS.
Eh bien ce metal nerd, en 2010, il avait un nom qu'il défendait, parce que c'était une formation inconnue au bataillon, avec un guitariste qui allait se faire un nom :
ANIMALS AS LEADERS, projet porté par Tosin Abasi.
Pour raconter Abasi, il faut revenir en 2007 : à la séparation de son groupe de Metalcore
REFLUX, il se voit proposer un album studio par un label qui a remarqué que le bougre avait un petit don. Pas chaud de prime abord, il s'est laissé un temps de repos puis, mine de rien, alors que REFLUX précisait bel et bien que c'était désormais de l'histoire ancienne, le huit cordiste s'est dit que, bon, travailler, c'est bien aussi. Il a pris son matos et enregistré les pistes de guitare et de basse, le reste étant pris en charge par un ingénieur du son, Misha Mansoor (également guitariste de PERIPHERY, et qui a largement contribué à l'essor du Djent).
Il avait estimé en premier lieu qu'un album solo serait une démarche égoïste ; finalement, il a quasiment produit ça tout seul. Car ANIMALS AS LEADERS, c'est avant tout ce cher Tosin et ses muscles (avouons-le, c'est une belle bête).
Imaginez-vous : MESHUGGAH, encore une fois, n'est pas dans vos habitudes, des groupes comme
VEIL OF MAYA ou
CEPHALIC CARNAGE ne sont pas présents sur les vêtements des metalheads. Quid de SCALE THE SUMMIT ? Enfin, le Djent n'existe pas comme il a été défini en 2011-2012. Vous ignorez qui est Chimp Spanner et son album Imperium Vorago, qui pourtant pose les bases de ce son si typique qui deviendra, plus tard, une nouvelle mode. C'est là que vous posez vos oreilles sur « Inamorata ».
Je l'ai dit, et je le répète : ANIMALS AS LEADERS, c'est un auteur, et Abasi, il joue de la 8 cordes. Ceci influence grandement son jeu car, sans arrêt, son album va brouiller les pistes : est-ce de la basse ou de la guitare ? Que suis-je en train d'écouter ou, plutôt, what the fuck am I listening ?! Car c'est bien sur ce tableau que cet album a frappé fort : ce son si particulier du Djent, jouant sur des graves, est tout donné à celui qui manie ainsi la guitare. Il suffit de voir cette vidéo live qui a fait forte impression.
Eh oui, à 2:50, sur la simple pression d'une pédale, ses quatre premières cordes deviennent basse. Et ainsi naquit la figure du Djentleman : ce Djazzman qui te balance un Metal de porc Heavy à souhait, mais d'un Heavy dont tu n'avais pas encore idée.
Une bombe A dans ton océan, et qui ferait des remous des années durant.
Le premier méfait d'Abasi est une pierre angulaire de la création de cette mode. Très vite, il a commencé à être sur toutes les lèvres : « T'as entendu CAFO ? T'as seulement déjà senti un truc aussi massif, avec cette montée jusqu'à 1 minute où tu te prends ce tapping dans la gueule ultra posé, t'arrives jusqu'à un solo aérien à 4,24 , puis, bam la claque ?
- Niveau claque, t'as entendu « Behaving Badly » avec les tonalités ? On dirait presque de l'électro, c'est à se demander si c'est vraiment de la gratte !
- Mais « Soraya », attends, l'intro progressive, cette douceur dans les pistes, ces motifs sensibles : il a pas oublié l'émotion dans sa musique ! Une émotion qui prend de l'ampleur, qui monte avec justesse !
- Comment parler d'émotion sans évoquer « The Price of Everything, the Value of Nothing » ? La gestion des pistes, merde !, c'est comme de la minimal : on ajoute pièce par pièce les éléments jusqu'à ce que le morceau se dévoile à la fin ! »
Vous le comprenez assez vite : si cet album éponyme d'ANIMALS AS LEADERS est devenu culte, c'est parce qu'il a posé les jalons de tout un style encore balbutiant. Il a été le prisme qui a permis d'élargir ce faisceau qui ne demandait qu'à être perçu. Ce mélange entre gros riffs ultra massifs, écriture progressive très jazzy, ces incursions électro, le tout avec ces changements rythmiques implacables, c'est plus que la marque de fabrique d'Abasi, c'est un manifeste, et chaque morceau fonctionne comme une partie de cet argumentaire en faveur d'une musique qui s'exprime et s'impose.
« Tempting Time » ne prend pas le temps, et impose ce Djent passées les 20 secondes. Il ne cessera de varier ses motifs pour nous conduire dans des espaces mentaux particuliers. « On Impulse » sera ce morceau à la fois posé et technique, avec ces phases à la guitare où tu ne sais si tu dois être impressionné par l'écriture ou le jeu d'Abasi. Les deux, je dirais, car il a su très bien allier technique et dosage, pour être à la fois époustouflant et accessible, jamais pompeux ou chiant – si bien que même un morceau comme « Song of Salomon », que j'écoute peu, n'en reste pas moins une réussite. Également, si je suis moins convaincu par les morceau brefs, certains, tels que « Point to Point » ou « Modern Meat », fonctionnent super bien et annoncent déjà ce qui sera fait par la suite, grâce à l'utilisation de la guitare sèche.
Vous le comprenez, ce n'est pas pour rien que cet album a rendu ANIMALS AS LEADERS culte. La bonne musique au bon moment, une alchimie idéale pour un disque qui fêtera bientôt ses dix ans et qui, je trouve, met toujours autant la patate à plusieurs sorties qui sont venues après. Car c'est dosé, réfléchi, fait avec goût et avec authenticité.
Et c'est à partir de ce travail formidable qu'Abasi est devenu une référence. Ce qui a constitué un énorme enjeu, risqué et dangereux, lorsque s'est posée la question d'un deuxième album.
Mais cela est une autre histoire qui sera contée une autre fois.
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