Après un premier album fulgurant et
un deuxième qui a su trouver son public, notamment en dévoilant une patte plus atmosphérique et électro par moments,
ANIMALS AS LEADERS a fait son chemin et, par des tournées, a su gonfler sa notoriété alors grandissante. En effet, alors que jusque fin 2011 le groupe avait accompagné d’autres formations, en 2012, ça s’accélère pas mal : désormais, c’est le trio conduit par Abasi qui est en tête d’affiche ! Mais celle-ci s’est faite sans le batteur Navene Koperweis, présent depuis Weightless, qui a quitté un des papas du Djent au début du printemps.
En quoi est-ce important ? Parce qu’il a été remplacé par celui qui, sans aucun doute, a apporté un véritable plus à ANIMALS AS LEADERS : le désormais incontournable Matt Garstka. Avec lui et son fidèle acolyte gratteux Javier Reyes, Abasi entame l’écriture de nouveaux morceaux et, deux ans plus tard, paraît l’album de la consécration.
Nous sommes en mars 2014, et on pose les oreilles contre les baffles pour The Joy of Motion.
Déçu que je fus avec Weightless, j’ai mis environ deux ans à oser franchir le pas. Mais, en 2016 et passée la hype de la sortie ressentie par la communauté, j’ai dû l’admettre : cette troisième production marque une nouvelle étape dans la progression et le parcours du groupe. Ceci apparaît dès le premier morceau « Ka$cade » : on se sent en plein dans les sonorités Djent avec cette gratte typique d'Abasi, mais le jeu de batterie de Gartska ajoute quelque chose de nouveau. Ça tabasse, ça fracasse, mais ça le fait façon Jazz. Il m'en a fallu des écoutes pour comprendre que ce qu'il joue, non seulement c'est impressionnant, mais en plus ça joue avec nos oreilles, ce qui donne tout de suite un style particulier. Ce jeu tout en « ghost notes » s'allie parfaitement au style à la fois chargé mais très précieux que cherche Abasi.
Ainsi, « Ka$cade » alterne entre plusieurs moments, que ce soit le matraquage djenty, les riffs lourds qui créent des instants mémorables ou bien ces solos envolés... C'est toujours avec des intentions qui font mouche. Ça démarre fort, mais c'est pas pour s'arrêter en si bon chemin.
The Joy of Motion approfondit le style employé dans les précédentes sorties du projet. L'électro se fait une place dans plusieurs titres, par des incursions pertinentes qui créent véritablement un espace particulier, comme dans « Ka$cade » ou « Lippincott » (qui se paie le luxe de mettre aussi en avant un bon son de basse qui était plutôt discret sur le premier disque, à 2:40 en reprise, c'est délicieux !). Ouvrez bien les oreilles, car à chaque fois ça ajoute vraiment quelque chose, là où j'avais pu sentir dans Weightless que l'électro venait de manière timide sans être vraiment à sa place.
Le Djent n'est pas en reste, et on trouve ainsi des morceaux qui n'auraient pas volé leur place dans le premier skeud : « Tooth and Claw », par sa lourdeur et des riffs syncopés est tout à fait digne de CAFO par exemple. Et à partir de là, ça n'arrête plus : « Crescent » impose du massif en veux-tu, en voilà, dans une dynamique qui ne faiblit jamais, « The Woven Web » fout une fessée magistrale en terme d'écriture et de mastering dans un morceau où chacun semble en état de grâce (sérieux, la façon dont vient cette mélodie qui se répète en fin de phrase instrumentale, c'en est limite érotique) et arrive alors « Mind-Spun », qui est bien là pour te rappeler que les gusses qui ont produit ça ne sont pas des rigolos. Ouais, à 2:26, même après tout ce temps, ces slaps de basse, je les trouve toujours aussi cinglés et terriblement justes - ça tombe là où il faut !
Heureusement qu'au milieu de tout ça, on a eu affaire à des morceaux plus calmes tels que « The Future That Awaited Me » et « Para Mexer » (cette guitare sèche, tellement reposante...), et que ça termine sur « Nephele », des morceaux qui sont là pour arrondir une musique qui, après une intro à la bien, met les bouchées doubles pour proposer un Djent de haute volée !
Vous le sentez, cet album contient, à côté de ces morceaux qui s'enchaînent à partir de « Tooth and Claw », un aspect plus populaire sur les cinq premiers titres. Que ce soient les rythmiques bondissantes de « Lippincott » (surtout dans les transitions) ou de « Another Year », laquelle flaire bon la détente sur la terrasse avec ces claviers lounge ainsi que les notes légères aux guitares, ou bien le mix d'une douceur incomparable notamment sur « Air Chrysalis » avec des ponctuations mélodiques tellement sucrées que j'en boufferai par quinzaines (qui conduit cependant à du bon gros son à la fin, qui use de la même mélodie douce mais variée en mode puissante, quels fourbes chez Animals !), on sent qu'Abasi a voulu ouvrir son horizon pour attirer plus de monde. Peut-être le fruit de son expérience de la scène ?
Le sommet du côté accessible est bien entendu atteint avec « Physical Education », véritable tube de l'album que tout le monde connaît par cœur, avec cette mélodie d'une efficacité qu'on connaissait peu chez ANIMALS AS LEADERS. C'est simple, en live, c'est sur ça que j'ai vu le public se déchaîner à sauter sur place et à chanter l'air à tue-tête. Comment en vouloir au groupe de faire ce genre de musique quand c'est aussi bien fait ?! Ouais, c'est efficace, mais c'est tellement bon !
Globalement, le groupe a pris une autre direction que le Djent des débuts 2010, pour se diriger bien plus vers du Prog Fusion : outre l'aspect Metal prog évident par l'absence de voix qui pousse chaque musicien à approfondir au maximum les phases afin de créer un tout complet, le Fusion se sent dans les éléments Jazz tels que ce jeu de batterie nerveux, précis, exigeant et qui pourtant a l'air d'aller de soi, ces échanges de guitares expressifs ainsi que ce jeu de basse smooth ou agressif.
Bien que, dès le départ, ANIMALS AS LEADERS présentait un son qui alliait douceur des nappes mélodiques au Djent direct, on aurait pu craindre un nivellement vers le bas, étant donné les touches bien plus accessibles de certains morceaux. Mais c'est ignorer que même les parties plus « faciles à écouter » conduisent systématiquement vers autre chose, et un morceau comme « Physical Education » ne me fera pas dire le contraire ! Certains rétorqueraient que ce procédé devient un gimmick, car présent dans tout l'ensemble. Mais c'est là que se trouve, à mon sens, la grandeur de composition que je n'avais pas sur Weightless : tout est dans la nuance, dans le jeu, dans les variations – comme les ghost notes de Gartska, tout est dans ce qui n'apparaît pas au premier abord. Et le groupe a eu suffisamment d'intelligence pour utiliser avec élégance chaque élément significatif de sa musique.
Avec The Joy of Motion, le trio a frappé fort : cet album, qui a connu le succès et est désormais culte, fait montre d'une grande maîtrise de leur art et de leur style, équilibré entre les intentions Metal et les inspirations Jazz Fusion. Pas un seul moment ne tombe à plat, si bien que l'album peut aussi bien être apprécié de manière détendue ou par une écoute ultra-attentive.
Tu viens pour les mélodies, tu restes pour la composition et leur musique.
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