Difficile pour un groupe quel qu'il soit d'accoucher un successeur à un album qui a fait l'unanimité parmi ses fans et même au-delà. Beaucoup s'y sont cassé les dents. C'est pourtant bien la situation dans laquelle se retrouve Suicidal Tendencies en ce début des années 90 qui verra la sortie de nombreux classiques du metal : Metallica sort son « black album », Megadeth « Countdown To Extinction », Pantera « Vulgar Display Of Power », Anthrax « Sound Of White Noise », Sepultura enchaine « Arise » et « Chaos A.D. »... Bref pour faire clair il vallait mieux ne pas se rater! Et pour ça on pouvait bien faire confiance à nos quatre véniciens préférés, car Cyco Miko et sa bande n'étaient pas prêts à laisser leurs skates se dérouter du droit chemin des sommets. Et c'est donc tous biscotos, bandanas et bermudas dehors que nos bad boys californiens reviennent en cette année 1992 avec ce qui sera pour moi le sommet de leur carrière. Biscotos, bandanas et bermudas, alors on prend les mêmes et on recommence?
« Lights... Camera... Revolution! » part 2? Bien évidemment et heureusement non. Loin de se reposer sur leurs lauriers, nos suicidaires préférés ont donné un nouveau coup de semelle pour emmener leurs roues vers des contrées encore inexplorées, plus mélodiques et moins « skatecoresques » mais leur permettant ainsi d'aller tutoyer les cimes d'un style dont ils n'ont jamais vraiment respecté les règles.
Suicidal Tendencies nous avait habitué à des entrées en matière tonitruantes et sans concession qui laissaient de suite une grosse marque de gomme sur le bitume (« Suicide's an alternative », « Suicidal Maniac », « Trip at the brain », « You can't bring me down ») et c'est donc un brin d'étonnement et de circonspection (non rien avoir avec le prépuce) qui accompagne la découverte des premières notes de « Can't stop »: une douce mélodie en arpège sur laquelle Mike vient poser une ligne de chant de sa voix si particulière et pour le coup beaucoup plus réellement « chantée ». Un début d'album donc un peu déroutant pour les habitués jusqu'à ces fameux mots
« And then you make open my eyes » et l'apparition de la saturation où Cyco Miko reprend alors ses désormais célèbres speeches qui jalonnent la chanson. Et quand arrive enfin le refrain plus aucun doute n'est permis Muir a décidé de chanter! Sa voix si singulière qui en rebutait déjà certains risque ici d'en surprendre encore plus d'un et de ne pas plaire à tout le monde. Ce qui fut effectivement le cas. Le bougre n'hésite à aucun moment à monter dans les aigus de sa petite voix fluette en contraste total avec les biceps du bonhomme. Bref dès le premier titre il évident que « The Art Of Rebellion » risque de trancher avec les albums précédents. Pour le meilleur heureusement.
Une des choses que j'admire le plus dans cet album c'est sa parfaite homogénéité. Du début à la fin tous les titres s'enchaînent avec une fluidité remarquable. Aucun temps mort n'est à déplorer et je pourrais même presque dire que chacun d'entre eux est un temps fort de l'album tellement le travail de composition ne souffre d'aucune faille. Et même si globalement le style a quelque peu évolué la qualité des riffs et des soli est toujours intacte. Rien à mettre de côté, aucun remplissage, pas de superflu, tout y est parfaitement équilibré et calibré. La paire George / Clark nous sert une fois de plus une section rythmique impeccable avec son lot de riffs imparables (« Accept my sacrifice », la tuerie « We call this mutha revenge » et ses riffs les plus thrash totalement jouissifs; le tube « Gotta kill captain stupid »; « It's going down » et ses gimmicks de guitare sur le refrain). Pas de crainte donc, on retrouve quand même sur ce cinquième album une bonne dose de riffs musclés au palm mute acéré. A côté de ça il est vrai que bon nombre de titres montrent une facette beaucoup plus mélodique qu'à l' accoutumée: la superbe « Nobody hears » et sa montée en puissance pré-chorus magnifique à vous remonter les boules aux amygdales, « I'll hate you better » et son bijou de solo final, « Where's the truth ». Mais au delà des mélodies « The Art Of Rebellion » est avant tout un album fort en émotions, chaque chanson en véhiculant son lot, en lien avec les paroles très sombres de Muir. On plonge ici tête la première dans les doutes, peurs et luttes intérieures du bonhomme qui montre à travers ses lyrics une sensibilité à fleur de peau (« Can't stop », « Nobody hears », « It's going down », « Monopoly on sorrow »). La tonalité générale de l'album est également très imprégnée des vocaux de Cyco Miko qui n'hésite pas à se lancer dans de vrais refrains à la « How will I laugh tomorrow » : « Can't stop », « Accept my sacrifice », « Nobody hears », « Which way to free? », « It's going down », « Where's the truth », dont certains peuvent c'est vrai être un peu agaçants à la longue (en particulier « Accept my sacrifice » et « Gotta kill captain stupid »).
Et au dessus de tout ça planent deux O.V.N.I.s, deux chansons un peu à part : je veux bien sûr parler de « Monopoly on sorrow », son riff acoustique, ces trois accords qui resteront imprimés à vie dans votre cerveau et surtout son accélération finale bandante sur le même thème; et puis « I wasn't meant to feel this/Asleep at the wheel » avec un de ces speeches dont Mike a le secret pour faire monter la sauce et puis ce riff à la fois si simple et tellement entêtant, cette mélodie, le solo de George et bien évidemment la basse espiègle de Roberto qui s'invite au festin... jouissif!
Mais même si Muir nous livre une prestation différente et intéressante, et sans rien enlever au talent du binome Mike Clark - Rocky George dont les nombreux leads illuminent cet album, je crois que l'homme qui fait la différence et qui par son génie fait de « The Art Of Rebellion » un incontournable c'est bien le désormais fourth horseman Roberto Trujillo. De la première à la dernière minute cet opus est son terrain de jeu. Il n'est pas une seule chanson où sa basse bondissante ne vienne pas introduire un riff, l'accompagner, le devancer ou l'éclipser. Sa patte tantôt funky, tantôt plus en finesse, est la valeur ajoutée qui contribue à faire de cet album une référence. S'il s'est beaucoup amusé avec Infectious Grooves notamment en exacerbant ce côté funky, il atteint ici son apogée en ce qui concerne son travail au sein de Suicidal Tendencies. Tout simplement génial.
On appréciera aussi tous les petits arrangements qui mouchettent l'album (discrètes nappes de synthé, de violoncelle) et sa prod impeccable signée Paul Northfield; le son des guitares et de la basse l'étant vraiment tout autant. Il serait ingrat de ne pas saluer également la performance de Josh Freese derrière les fûts (la place du mort chez Suicidal) qui remplit son CDD avec maestria, sobrement et efficacement.
A bien des égards « The Art Of Rebellion » et sa pochette mythique est un album à part dans la discographie de Suicidal Tendencies et dans mon coeur de métal également. Différent certes mais quasi parfait de bout en bout. Comme disait l'autre, après avoir entendu ça on peut mourir tranquille, enfin le plus tard possible évidemment.
7 COMMENTAIRE(S)
22/04/2020 00:54
Difficile d"aller outre l'aspect madeleine de Proust (été 92, JO de Barcelone et le Dream Team, il fait beau, ciel bleu, reebok pump etc), néanmoins, je trouve que le jeu de Josh FREESE à la batterie apporte une souplesse aux mouvements dans les compositions sur cet album. Une force de frappe toute en délicatesse que l'on retrouvera notamment dans A Perfect Circle (les deux premiers, il me semble...)
Belle chronique pour un album très abouti.
29/08/2011 15:10
28/01/2010 05:43
Bonne description du disque. Ce groupe est trop fort, une base hardcore métissé de tous les styles (pour ne pas dire les races) on entend tout les Sex pistols, Pink floyd, funkadelic etc.
En tournée bientôt :
http://www.suicidaltendencies.com/
Cyco pour toujours.
14/04/2009 14:22
08/04/2009 19:50
08/04/2009 08:26
08/04/2009 06:34