Ma chère et tendre, jamais avare en punchlines bien senties sur la musique que je lui fait écouter dans nos trajets en voiture, m'a résumé cet album de la sorte : « c'est pas mal mais c'est de la musique de vieux ». Elle a parfaitement raison. Ma chronique de cette dernière offrande de
Dream Theater pourrait d'ailleurs s'arrêter là. Mais ce ne serait pas très professionnel de ne pas rajouter que
Distance over Time, sorti en février 2019 et acheté « day one » par votre serviteur, a le mérite de prendre totalement à contrepied un
The Astonishing à la réception clairement contrastée : apprécié par certains, détesté par beaucoup. Je fais partie, comme mon collègue Rapha3l qui l'a admirablement chroniqué sur Thrashocore à sa sortie, de la première catégorie. Il m'a fallu du temps, mais j'ai totalement adhéré au concept gargantuesque de l'album ainsi qu'à son côté opéra rock totalement improbable et désarçonnant. Ces 34 morceaux qui alternaient les atmosphères ultra poignantes et les cartouches épiques ont su me séduire à l'usure, comportant des perles inattendues (« The Path That Divides » et son envolée classieuse, « Heaven's Cove » et ses petites notes obsédantes, le martial et fulgurant « Moment of Betrayal »...). L'histoire qu'ils présentaient était d'ailleurs d'ailleurs suffisamment profonde pour qu'elle donne lieu à la publication d'un roman en mars 2019, écrit par Peter Orullian à partir des paroles de John Petrucci. Bien qu'il soit nécessaire de poser un congé sans solde pour l'écouter et le digérer complètement, je persiste à penser que ce projet demeure une grande réussite du groupe, trop récente pour être historique toutefois. Plusieurs divisions au-dessus de l'album éponyme raté de 2013, en tout cas.
Dream Theater continue sa remontada sur
Distance over Time. Gargantuesques, les barbecues organisés par John Petrucci (guitares) à l'occasion de la composition et de l'enregistrement de ce nouveau disque dans son studio de Monticello à New York le furent tout autant. En effet, le groupe, composé de John Myung (basse), son ami d'enfance et frère d'arme de toujours, Jordan Rudess (claviers), James LaBrie (voix) et Mike Mangini (batterie) s'est resserré autour de lui, nouveau leader incontesté de
Dream Theater depuis le départ de Mike Portnoy en 2010. Avec Jordan Rudess, ils ont la mainmise sur les compositions du groupe depuis
A Dramatic Turn of Events (2011). Leur postulat sur ce nouveau disque est simple : ne pas trop réfléchir, se laisser porter par l'inspiration, revenir à des compositions plus spontanées après l'extraordinaire travail abattu sur le précédent disque. Force est de constater que ça fonctionne bien, dès « Untethered Angel » qui affirme avec force le retour à des motifs plus percutants, plus « simples » (attention, il faut savoir raison garder, on parle de
Dream Theater). Des riffs somme toute assez classiques, agressifs, qui s'acquittent avec honnêteté de ce que chaque fan est venu chercher en posant ses oreilles sur ce
Distance over Time. « Paralyzed » le fait aussi, dans une démarche ultra efficace, avec ses guitares saccadées du meilleur effet et cette petite mélodie insidieuse créée par le piano de Jordan Rudess. Certes, comme le dit si justement ma dulcinée, tous ces riffs proviennent certainement d'un autre temps. Mais que c'est plaisant de voir le groupe revenir à ses fondamentaux, dans un feeling qui fait de
Distance over Time un album organique, écrit et mis en boîte dans une sorte d'urgence nostalgique qui évoque de la même façon le passé. En effet, le groupe a passé un mois ensemble en studio pour composer et enregistrer ce disque. Une expérience visiblement salutaire. Le clip de « Untethered Angel » ne dit pas autre chose, alors qu'il met en scène avec une sobriété extrême ces cinq musiciens de génie en train d'enregistrer le morceau. Il en va de même pour « Fall into the Light », piste très accrocheuse qui contribue à lancer cet album avec dynamisme.
« Barstool Warrior », adresse quant à lui un beau check du coude aux idoles éternelles du groupe,
Rush. Je pourrais relever à longueur de chroniques ce que ce quintet de New-York doit à ce power trio canadien, qui a perdu son batteur Neil Part en 2020 (R.I.P., champion) mais je m'abstiendrai, préférant célébrer la flamme qui s'est rallumée dans mon cœur à l'écoute de « At Wit's End », d'assez loin le meilleur morceau de cet opus. Il voit
Dream Theater revenir à des affaires progressives plus ambitieuses, avec un riff majestueux tout en harmonies délicieuses de John Petrucci, rythmé par une basse claquante qui assène ses coups avec une régularité martiale. John Myung a pris quelques cheveux blancs, n'a pas dit un mot depuis 2010 mais reste encore et toujours ce pilier indéboulonnable du groupe et ce bassiste de génie. À ces accords ravageurs, succèdent un superbe pont au piano mené par Jordan Rudess, qui salue de loin les assauts mélancoliques de Kevin Moore dans les années 90. James LaBrie aussi marque le morceau de sa présence et le hante de ses envolées lyriques aux airs d'éternelle « drama queen » :
« Don't leave me now, don't leave me now.
I know that it's tearing you apart! »
T'inquiètes paupiette, je suis toujours là, moi, à chroniquer vos disques sur Thrashocore. Cette gradation qu'il accompagne de ses lignes de chant racées dirige le morceau vers son apogée, avec la mélopée aussi efficace que limpide de la guitare de John Petrucci, bientôt confondue avec le piano de Jordan Rudess. Terriblement efficace, ce « At Wit's End », parmi les meilleurs morceaux récents du groupe, à n'en pas douter. Force est de reconnaître, avec des mots d'une banalité confondante, que James LaBrie a eu plus de mal à porter cet hymne en live, notamment dans le concert enregistré à l'Apollo Theatre et paru en novembre 2020,
Distant Memories – Live in London qui a servi à promouvoir cet album ainsi qu'à célébrer le vingtième anniversaire de
Metropolis, Pt. 2 – Scenes from a Memory. Qu'importe, sans lui,
Dream Theater n'aurait certainement pas fait la brillante carrière qu'on lui connaît. Pourtant, ce
Distance over Time n'échappe pas au mal qui ronge des milliers d'album de metal : le syndrome du ventre mou. « S2N » et « Room 137 » demeurent deux morceaux dispensables, tout comme « Out of Reach », énième ballade random qui malgré ses belles promesses au piano ne décolle jamais vraiment.
« Pale Blue Dot » finit de consacrer, s'il fallait encore le faire, Mike Mangini comme un batteur exceptionnel, incroyablement technique et ambitieux. Le pattern avec lequel il introduit, seul, ce morceau, est d'une densité incroyable, alors qu'il est rejoint par John Petrucci dans une rythmique martiale ravageuse. Ce morceau qui évoque avec distance notre planète comme un petit point bleu et pâle dans l'univers nous démontre avec fougue que ce batteur a su conquérir la place qui était la sienne dans
Dream Theater. Ses contre-temps effroyables de justesse et de précision ainsi que le passage expérimental totalement barré dont se targuent les quatre musiciens au milieu du morceau montrent qu'ils ont encore bien des idées saugrenues dans le ciboulot. Un mot pour l'ultime bafouille de ce disque, le morceau « Viper King », qui voit les New-Yorkais révérer l'une de leurs influences majeures,
Deep Purple, dans un feeling totalement rock 'n roll et débridé. Une manière supplémentaire d'affirmer que ce
Distance over Time, en se la jouant blouson de cuir et cheveux au vent, a tout compris. Malgré ses temps morts, il demeure un dernier effort réussi et prometteur pour la suite, un solide bâton de vieillesse sur lequel le combo pourra s'appuyer pour proposer de nouveaux contenus plus ambitieux à l'avenir. Je ne sais pas vous, mais moi j'ai hâte!
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