Il n'y a probablement que
Dream Theater qui pouvait être capable de louper son album éponyme avec autant d'allégresse. Ce groupe âgé de presque trente ans en 2013 avait pourtant annoncé ce nouvel opus en grande pompe : pochette intégralement noire et astrale, sobrement bardé du logo original du groupe, lorsqu'ils s'appelaient encore
Majesty dans les années 80 et n'étaient encore qu'une bande de nerds vêtus de cuirs qui effrayaient les vieilles dames. S'ils n'effraient plus grand monde aujourd'hui (ils sont beaucoup trop gentils et sympathiques pour ça), ils sont en tout cas devenus les héros de toute une génération de fans qui est restée durablement traumatisée par le départ de leur batteur emblématique en 2010. C'est donc autour de John Petrucci (guitare), fier capitaine de ce clinquant navire chromé, que le quintet, composé des légendaires John Myung (basse), James LaBrie (voix), Jordan Rudess (clavier) et Mike Mangini (batteur), revient avec des ambitions dévorantes. Un groupe légendaire qui sort enfin son album éponyme, ça ne pouvait que bien se passer, non ?
Non. Il y a quelque-chose de presque impalpable qui ne fonctionne pas dans ce
Dream Theater. Ses intentions étaient pourtant bonnes : revenir à un metal progressif alambiqué et finement travaillé, avec des ponts aussi désarçonnants qu'improbables. Le recul le termine comme l'un de leurs albums les plus faibles, irrémédiablement destiné à prendre la poussière auprès du fadasse
Falling into Infinity (1997) dans mes étagères. Pourtant, je lui en ai donné, des chances... mais il n'y a pas beaucoup de morceaux ou même de riffs à sauver dans ce qui s'apparente à un naufrage. « Surrender to Reason » et son riff en contretemps hargneux propose quelques moments intéressants, qui ont su éveiller mon intérêt, presque jusqu'aux frissons, malgré un côté somme toute assez poussif. La basse agressive de John Myung qui mène la danse à un moment me rappelle qu'il reste, tapi dans l'ombre, une légende absolue de son instrument. Il faut aussi chercher du côté d'« Enigma Machine », belle tentative instrumentale de renouer avec des riffs prog nerveux d'antan, des qualités indéniables. Pourtant, ce morceau ne décolle guère et s'avère finalement tristement random. Le break floydien de « The Looking Glass » est clairement séduisant, avec une basse qui attrape Roger Waters par le col pour un instant, aux côtés de la guitare de John Petrucci qui convoque David Gilmour avec dévotion. Quant à « Illumation Theory », gargantuesque morceau final qui vient faire tressaillir l'encéphalogramme, il réveille durant 22 minutes la créativité débridée du quintet de New-York : des riffs metal percutants, des mélodies heavy accrocheuses et surtout des lignes de chants ultimes. Les partitions de basse de John Myung, agressives et aériennes, cartonnent la tronche. Tout comme les passages prog barrés en contretemps la maltraitent sévèrement, nous laissant tout pantois et défigurés. C'est évidemment le meilleur morceau de cet album, et de loin. Il n'échappe toutefois pas à quelques longueurs : le passage atmosphérique où les violons pleurent une mélodie emphatique à la Disney l'empêchera de figurer au panthéon des morceaux fleuves de
Dream Theater : décidément, rien ne pouvait se passer comme prévu.
J'ai tout de même l'impression que tous les défauts que ses détracteurs s'accordent à relever chez le groupe sont poussés à leur paroxysme. L'ensemble me fait l'effet d'un gloubi-boulga certes très finassé, derrière lequel j'imagine moult brainstormings et schémas griffonnés sur tableau blanc, mais terriblement banal. Sans âme ? Non, le groupe n'arrivera jamais à cette extrémité. Cependant, son génie en prend en coup, d'autant plus que James LaBrie, qui commence à prendre de l'âge, force le trait. Sa voix n'a plus l'éclat d'avant, c'est évident, mais il a tendance à saborder le navire avec des manières d'un autre temps qui ne passent plus vraiment. Je n'ai jamais été irrité par sa tessiture (à part peut-être dans certains albums live), bien au contraire, mais certains passages de cet album font ressortir certains de ses défauts : ce qui pouvait être des lignes de chant géniales jadis deviennent ici un peu surannées. Son envolée dans le refrain de « The Looking Glass » :
« You live without shame, you're digging up a gold mine.
Standing on the sidelines, watching through a looking glass »
… me laisse de marbre, alors qu'elle avait tout sur le papier pour me plaire. Qui d'autre pourrait pourtant porter ce groupe, comme il l'a fait avec dévouement pendant des années, au péril de sa santé ? Personne, c'est évident. Mais marquée de son sceau, « The Bigger Picture » est d'une niaiserie confondante, que ce soit dans les paroles...
« Shed your light on me, be my eyes when I can't see.
Shed your light on me, be my guide so I can see the bigger picture. »
… ou dans la mélodie, qui dégueule de guimauve à tous les étages. Il y avait quelques riffs intéressants, pourtant, notamment le motif polyrythmique du début de morceau qui partait plutôt bien. « Behind The Veil », après une introduction interminable, entre dans un feeling old school prétendument badass. Alors qu'il prétendait nous rentrer dans le lard, ce morceau est tout juste bon à couper du jambon blanc lyophilisé. Le tube « The Enemy Inside » a des qualités, comme son premier riff sautillant, mais pêche encore par un excès de facilité et finalement assez peu d'inventivité dans ses riffs. Si, si, vous savez, le petit truc qui fait qu'on aura envie d'y revenir. Alors bien sûr, le refrain reste dans la tête : les New-Yorkais savent encore nous flatter les oreilles avec une certaine réussite, qui émerge notamment dans la pluie de notes de claviers dont Jordan Rudess s'est fait une spécialité. Mais celle-ci ne fait illusion qu'un temps, se heurtant de plein fouet aux longueurs intrinsèques du morceau, dont on fera finalement assez rapidement le tour après de multiples écoutes. Un peu à l'image de l'album, en somme... la ballade « Along for the Ride » vient finir d'exécuter sa crédibilité : cette énième ballade random, dans lequel le groupe étire exagérément des motifs éculés et clairement dépassés, confine à l'insupportable. C'est le moment de recycler, moi aussi, une analyse que je faisais précédemment: ces morceaux un peu empathiques, pourtant récents, ont déjà terriblement vieilli. Pourtant,
Dream Theater ne se dévoie pas vraiment ici, il nous sert juste une recette un peu éventée.
En tout cas, Mike Mangini, certainement doté de l'un de ses kits éléphantesques, défouraille à tout va, ses patterns atteignent un niveau incroyable de technique et de percussion. Il dégouline de breaks dantesques et de travail minutieux sur les cymbales pour montrer toute l'étendue de son talent évident. Il n'y a qu'à entendre son subtil jeu sur la ride au début de « The Bigger Picture ». Je ne peux m'empêcher de ressentir une profonde empathie pour lui et de comprendre totalement ce petit complexe d'infériorité qui doit quand même, au fond de lui, le pousser à en faire des caisses. Soyons clairs, je ne m'abaisserai pas à rentrer dans l'un de ces débats stériles qui tranchera entre les deux Mike à l'aide d'un avis pseudo-éclairé. Son attaque de caisse claire est robotique ? Il est trop clinique dans son jeu ? Forcément, ce n'est pas Mike Portnoy mais il a des qualités indéniables, apportant notamment une percussion très metal au combo, notamment en live. En tout cas, je ne fais partie ni des des défenseurs de l'un, ni de l'autre. Et je n'irai certainement pas, comme tous ces connards des Internets, appeler compulsivement au départ de l'un pour retrouver l'autre à chaque annonce du groupe. Mais si les New-Yorkais ont admirablement montré dans
A Dramatic Turn of Events (2011) qu'ils ont survécu au départ de leur légende à la barbe bleue, force est de constater qu'ici, leur maître à penser leur manque un peu. Qu'importe, John Petrucci et Jordan Rudess charbonnaient déjà sur le successeur de cet album raté ; à trop vouloir en faire,
Dream Theater s'est perdu dans
Dream Theater mais saura se retrouver.
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