« Bon sang Voay, t'as pas assez à faire avec les albums studios de
Dream Theater ? Déjà que tu nous casses les bonbons avec ton prog de fragile et ta madeleine de Proust à la con, il faut en plus que tu chroniques un EP ? » Voici comment j'ai été cueilli à froid par Chri$, Mitch, Keyser, Thomas Johansson et les autres pendant notre réunion hebdomadaire sur Zoom, lorsque je leur ai annoncé que je comptais chroniquer
A Change of Seasons (1995) en plus du reste. Pour information, le thème de notre réunion était « Avancée et perspectives de Thrashocore dans la domination du metal français et international ». Alors que Jean-Clint, cigare à la main, s'en bat les couilles avec un os de sèche et préfère vanter les mérites du prochain groupe de death metal à la mode, Caïn Marchenoir (qu'on distingue à peine, noyé dans des effluves de substances interdites), hoche la tête et approuve de loin cette invective, en citant des paroles incendiaires de
Cathedral comme un pasteur cite la Bible, pour l'appuyer. Chri$, occupé à compter les sous récoltés grâce aux publicités de groupes obscurs qui font leur promo sur notre webzine, attend la prochaine nuit de pleine lune pour enfin rédiger sa chronique de
Coming Home de
Pain, sorti en 2016 pour rappel. Mitch, lui, entre deux calls discrètement menées avec le banquier responsable de ses comptes offshores au Liechtenstein, attend le prochain
Aborym, désespéré de voir ce que l'un de ses groupes fétiches est devenu (spoiler : de la merde). Il attend surtout de pouvoir se barrer avec la caisse, oui! Des années qu'il est là et il n'a jamais eu l'occasion de toucher sa part du gâteau. Raziel, tout tartiné de corpse paints pour l'occasion et Sakrifiss, coiffé de sa traditionnelle cagoule en jean, devisent sur le prochain groupe de black metal underground qui aura leurs faveurs, moyennant quelques tremolo pickings bien sentis et des voix haineuses à souhait. Ce dernier a d'ailleurs 58 chroniques d'avance mais nous annonce, dans le plus grand des calmes, qu'il reste un peu déçu de son rendement actuel. Il justifie tant bien que mal cette relative baisse de régime par son implication dans l'excellent projet de black metal atmosphérique
Enterré Vivant.
Pourtant, je n'avais qu'opportunément profité de l'un de ces temps morts pour déclarer, fier comme Artaban, que j'avançais bien dans ma rétrospective du groupe. « En plus, tout le monde s'en fout, ajouta Keyser, implacable, personne ne lit tes chroniques. Je déteste ce groupe de gros fragiles qui n'a rien à faire sur Thrashocore, webzine metal à tendances brutales. Ces connards ont tout pompé sur
Metallica. ». Ikea, trop occupé à se toucher sur
Touché Amoré, ne réagit même pas, lui qui est d'habitude si prompt à voler au secours de la veuve et de l'orphelin. Même Sagamore, mon ami de toujours, se fend d'un « tu abuses un peu Voay, même moi, je n'ai jamais oser chroniquer l'intégralité des démos de
Leviathan, pourtant ce n'est pas l'envie qui m'en manque, crois-moi bien! » Encore un qui aurait vendu du beurre aux Allemands pendant la guerre, tiens! Astraldeath, quant à lui, est trop pris par sa quête – un poil ambitieuse – de lecture de l'intégralité des ouvrages d'Yann Le Bohec sur l'histoire militaire romaine pour même daigner répondre. De toutes façons, comme personne ne lui a vraiment pardonné le 10/10 accordé au
Genesis XIX de
Sodom, il a décidé de s'en tamponner prodigieusement le coquillard lui aussi. Niktareum, comme son pseudo l'indique, est trop impliqué dans sa principale activité annexe, qui consiste essentiellement à déflorer des daronnes en chaleur par paquets de douze. En plus, ça fait plusieurs mois qu'il doit soigner une tendinite étrange qui l'empêche de... bref, il n'est pas là. Thomas Johansson méprise totalement ce groupe de metal progressif né dans les années 80 grâce à la Berklee School of Music de Boston. Lui, à l'époque, il se saignait déjà les classiques du metal extrême : « quand tu écoutais
Henri Dès, moi j'écoutais
Napalm Death ». Sympa, l'ambiance. ERZEWYN, à qui les concerts manquent beaucoup trop, est occupée à organiser un live sauvage de death metal dans sa cave et ne peut donc montrer sa trogne à cette réunion. De toutes façons, elle a du couper le wifi pour que les groupes qu'elle a invitée puissent jouer dans des conditions acceptables. Charon del Hadès et Relapsobananas font le guet devant chez elle pour éviter que la maréchaussée se pointe à l'improviste et fasse tout capoter. « Ça serait con de prendre une amende pour trois groupes de death metal », nous confessent-ils, un peu flippés. Seul Anken tente de glisser un « mais attendez, c'est pas un peu dur ? » amical (merci vieux), mais personne ne l'écoute. De toutes façons, comme il ne s'occupe que d'interviewer et de chroniquer des groupes splittés, il n'a pas encore tout à fait voay au chapitre.
Ma famille du metal, retrouvée récemment, en a donc déjà marre de moi. Le bonheur aura été de courte durée... Je tente un vain : « m'enfin, « A Change of Seasons » est mon morceau préféré du groupe ! ». Tous, même Dysthymie, « shapeless mouligasse » de l'extrême, complètement emportée par sa 72ème réécoute de la discographie d'
Urfaust, me hurlent dessus en m'indiquant, majeur levé haut vers le ciel, qu'ils « me pissent à la raie » (sic). À deux doigts de m'auto-diagnostiquer un burnout, je me sens, comme dirait l'autre, comme les quatre saisons de Vivaldi après un compte donné très fort et en allemand, « ein, zwei, drei, vier ».
C'est donc au bout du rouleau que je tente de leur expliquer qu'« A Change of Seasons » est tout simplement le meilleur morceau jamais écrit par
Dream Theater. Que tout ce que j'aime dans ce groupe est là. Une pièce progressive de 23 putain de minutes sur le temps qui passe, la nostalgie du passé, qui incite à profiter à fond des instants de bonheur que la vie nous réserve (« carpe diem »). Une thématique admirablement bien portée par des paroles absolument magnifiques de Mike Portnoy, écrites en l'honneur de sa mère décédée, qui me butent totalement. Chantées par un James LaBrie qui donne tout ce qu'il a (et il a peu à l'époque, pour des raisons que je vous expliquerai plus tard puisqu'un hostile « tu nous gonfles avec tes crevettes ! » m'est propulsé au visage par Dantefever), le vocaliste se distingue tout de même par des percées astrales qui font respirer le morceau et me trouent littéralement le cœur, comme s'il cherchait à relever un auditeur exécuté par ce mélange douceâtre entre joie et mélancolie :
« "Seize the Day!" I heard him say.
Life will not always be this way.
Look around, hear the sounds.
Cherish your life while you're still around. »
« T'as fini de citer des paroles dans toutes tes chroniques oui ? Ça fait chier à la fin! », m'interrompt brutalement AxGxB, bientôt lancé dans un circle pit virtuel respectueux des distanciations sociales dans son salon, sur fond de
Bolt Thrower. Quelle idée de se passer
… for Victory en pleine réunion d'équipe Thrashocore ? Personne ne pourra l'arrêter, il en a pour toute la soirée, à agiter les bras dans le vide. Bilan : une table basse et deux mugs (notamment son préféré, celui avec les sabres lasers qui s'allument) ne passeront pas la nuit. Les autres le regardent avec un mélange d'amusement et d'incompréhension. Caïn Marchenoir tente un proverbe doomesque, mais s'endort sur son clavier, emporté par les vapeurs du THC.
Je profite encore de cette situation qu'on pourra qualifier de gênante pour leur préciser qu'on sent quand même qu'il en chie un peu, le père LaBrie, ce qui le rend tellement attendrissant... En tout cas, le groupe transcende ces superbes paroles d'un morceau progressif tellement grandiose qu'il confine à la pornographie. Divisé en 7 pièces : « I. The Crimson Sunrise », « II. Innocence », « III. Carpe Diem », « IV. The Darkest of Winters », « V. Another World », « VI. The Inevitable Summer » et « VII. The Crimson Sunset », ce morceau alterne les atmosphères d'une variété exemplaire, mais toujours cohérentes. John Petrucci explose le mur du son avec des soli extraordinaires : tous touchent leur cible sans coup férir. Ce morceau sait être à la fois diablement efficace, en proposant des riffs burnés et racés, mais aussi terriblement intimiste... ces quelques notes de piano habilement distillées par un Derek Sherinian fraîchement débauché de l'école de Berklee pour remplacer Kevin Moore sur le grand final « VII. The Crimson Sunset » sont terrifiantes de justesse et de beauté. John Myung est quant à lui plus discret mais son doigté magique agite les contreforts d'une production impeccable, rythmée par un Mike Portnoy qui déborde de patterns extraordinairement fins (contretemps, breaks ultra subtils).
« Bon, admettons qu'« A Change of Seasons » vaille le coup d'être chroniqué, me concède Sagamore. Qu'en est-il de la suite de l'EP ? C'est clairement dispensable, ces reprises à la con, non ? » Qu'est-ce qu'il m'agace, celui-ci, avec ses lunettes carrées et son béret bougnat! La tête haute mais le cœur bas, je contre avec beaucoup d'amertume : « de toutes façons, dès que ça dépasse trois notes en tremoli cosmiques et deux plans et demi de boîte à rythme comme dans tous les
Darkspace, t'es à la masse ! »
Avant que Thomas Johansson n'en profite pour m'envoyer un revers digne d'Andre Agassi, je saisis l'opportunité qui m'est laissée en racontant que
Dream Theater a toujours cultivé cette tradition de la reprise, sous forme d'hommage à leurs groupes préférés. Bien que ce soit probablement un des meilleurs groupes du circuit sur le plan de la technique (j'ai tout de suite rajouté la fin de l'expression, car j'ai vu Chri$ lever les yeux de sa mer de billets pour me foudroyer du regard), le fait qu'ils fassent très régulièrement et même enregistrent des reprises m'a toujours fasciné. « Vous imaginez, leur lance-je, votre groupe préféré qui reprend un de vos groupes cultes ? Y a de quoi se toucher la nouille cinq minutes, non ? » Ikea relève brièvement la tête mais repart derechef à ses mystérieuses activités. Un jour, il le sait, il se lancera dans une rétrospective ambitieuse de l'intégrale de
Joy Division sur Thrashocore. C'est sa destinée. Tentant d'amadouer Keyser, je prends l'exemple du live
Master of Puppets qu'ils ont réalisé à Barcelone en 2002 et sorti en « bootleg officiel » quelques années plus tard. « Ce n'est pas une franche réussite, mais ça vaut tout de même le coup d'être écouté », me répond-t-il, presque amadoué (forcément, dès qu'on parle de
Metallica, ce petit saligaud a le palpitant qui chavire...). Un peu à l'image des reprises qui figurent sur cet EP. C'est un peu comme un gigantesque bonus offert à un ensemble qui est déjà parfait. Et
Dream Theater sait se montrer généreux : des reprises correctes d'
Elton John et de
Deep Purple (« Perfect Strangers »), une « metallisation » magistrale du début de « In The Flesh ? » de
Pink Floyd dans le medley final... j'apprécie également beaucoup le « Led Zeppelin Medley », moi qui ait toujours eu un faible pour le quatuor anglais. Le morceau « Achilles Last Stand » compte d'ailleurs parmi mes préférés. Le voir honoré de la sorte par un
Dream Theater en forme, avec un John Myung qui s'envoie la ligne de basse de John Paul Jones avec dévotion, un James LaBrie qui ne démérite clairement pas (vu à quel point la marche était haute), un batteur légendaire qui reprend les patterns d'un autre batteur légendaire... tout ceci me fait l'effet d'un crossover ultime, une sorte d'
Infinity War de la musique. En tout cas, les New-Yorkais ont le double mérite de s'amuser et de nous le faire entendre, comme lorsqu'ils reprennent le passage emblématique de « Bohemian Rhapsody » de
Queen.
Alors que j'achève ma dithyrambe, toute la famille Thrasho me regarde avec cet air un peu dédaigneux...
… puis me hurle : « bon allez, accouche, on a pas toute la nuit ! ». La soirée clandestine d'ERZEWYN a commencé (et personne n'en parle sur BFMTV), AxGxB est en train de pogoter contre le dressing, Thomas Johansson a ressorti
Impact is Imminent d'
Exodus (ce soir, il se met bien), Jean-Clint a décidé de se mater pépouze un petit Audiard des familles (ce sera
Comment réussir quand on est con et pleurnichard, pour la 135e fois) et Astraldeath a entrepris sur un coup de tête une thèse universitaire sur les
Avxiliatis de l'empereur Dioclétien. Anken, quant à lui, a décidé d'attaquer une chronique de
Momentum. Ils ont splitté depuis huit ans, ça va, c'est large. La communication avec Caïn Marchenoir et Ikea a été perdue depuis 1h au bas mot. Tous vaquent à leurs occupations respectives. Et moi, je reste coi, tenant fermement
A Change of Seasons contre mon cœur, comme un petit chiot que je viens de sauver d'un incendie.
Par gulo gulo
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