« La haine est aveugle, la colère étourdie, et celui qui se verse la vengeance risque de boire un breuvage amer. »
Quel est donc cet astéroïde qui font silencieusement sur votre webzine préféré ? Il s'agit de
Christ Φ, cinquième full-length des Allemands de
Vanden Plas, quatre ans après un
Beyond Daylight réussi. Les résidents de Kaiserslautern et notamment son hyperactif frontman amateur de théâtre, Andy Kuntz, n'ont pas chômé durant ce laps de temps. Ce dernier vient de sortir un gigantesque « opera metal » avec son side-project
Abydos,
The Little Boy's Heavy Mental Shadow Opera About the Inhabitants of His Diary, one-shot décapant paru en 2004 et triomphalement porté sur scène dans plusieurs théâtres outre-Rhin. Lorsqu'il retrouve ses quatre frères d'armes de toujours, Andreas Lill (batterie), lui aussi passé par
Abydos, Stephan Lill (guitare), Torsten Reichert (basse) et Günter Werno (claviers), leur créativité s'en voit décuplée. Tout comme leurs ambitions : ils décident alors, indiquant une fois encore leur attachement pour l'hexagone, de façonner à leur tour un concept album inspiré du roman d'Alexandre Dumas,
Le comte de Monte-Cristo, paru à partir de 1844. C'est donc l'histoire d'une vengeance que
Vanden Plas entend mettre en scène dans son disque de 2006, comme l'indique la phrase d'accroche de cette chronique.
Mais ils ne se contentent pas d'adapter l'oeuvre originale ; c'eût été trop facile. Ils créent leur propre personnage, nommé Christ Φ et inspiré par le personnage d'Edmond Dantès. Enfermé pendant quatorze ans dans la prison du château d'If avant que son karma ne tourne, ce dernier parvient à s'en évader et trouve un trésor sur l'île de Montecristo qui le rend riche et puissant. Il adopte ensuite différents avatars, dont celui qui a donné son titre au roman, pour se venger méthodiquement de ceux qui ont comploté contre lui pour l'envoyer au bagne. Ce roman est une grande réflexion sur la balance entre la justice terrestre et la justice divine : son personnage principal, en faisant subir de nombreux châtiments à ses ennemis, fait bien souvent l'amalgame entre les deux, ce qui lui vaut bien des doutes et des tourments. Christ Φ, quant à lui, est retenu captif dans la coque d'un vieux paquebot marqué de la lettre Phi. Cet album-concept est une plongée vertigineuse dans l'esprit d'un « serial killer » qui veut punir méthodiquement les personnes qui l'ont trahi et séquestré et lui ont enlevé sa bien-aimée. C'est de cette perception torturée que part le brillant parolier Andy Kuntz pour accoucher d'un autre chef-d'oeuvre bardé d'une pochette très classe, avec ce mousquet fumant dans la main de leur personnage grimé en clown triste. Christ Φ fera face à une « nemesis » qui tentera au cours de ces dix morceaux d'arrêter sa folie meurtrière : l'Inspecteur X, missionné par Interpol, lui aussi représenté dans le livret. C'est avec cette sortie, à la faveur d'un sampler et d'une interview dans le magazine
Rock Hard n°55 que j'avais découvert le groupe. Voilà qu'arrive l'heure de lui rendre, quinze ans plus tard, les honneurs qui lui sont dûs sur Thrashocore.
Si
Beyond Daylight (2002) franchissait déjà un cap dans la limpidité de la production,
Christ Φ est grandiose dans ce domaine. Enregistrer cet album avec la chorale du Pfalztheater Kaiserslautern était une sacrée bonne idée, qui lui offre un supplément d'hybris incroyable et colle extrêmement bien à l'ego du personnage que les Allemands veulent mettre en musique. La pureté des mélodies qui lui sont dédiées offre à cet opus un écrin de soie magnifique : l'aura liturgique qui descend des cieux la fin de « Postcard to God » en devient un extase sensoriel. Vingt ans que
Vanden Plas brevetait sa science des riffs qui tuent, capables de flatter l'oreille dès la première écoute! Dotées de cette production très soignée, les qualités du quintet prennent une nouvelle dimension : dès « Christ Φ », elles explosent, lorsque retentit la partition de piano fulgurante à 3'02'' et les « palm mute » ravageurs qui lui sont associés. Lorsque cette ouverture évolue vers un solo gargantuesque de Stephan Lill, d'abord très coloré et mélodique, puis virtuose et fulgurant avec un shred dévastateur, elle plante déjà le décor d'un album virevoltant, dans lequel chaque riff est d'une noblesse éclatante, en écho à celle, perdue puis reconquise à la faveur de ses aventures, du comte de Montecristo. Les lignes de guitare, sombres et agressives pour la plupart, chantent elles l'ombre vengeresse de Christ Φ, agrippant l'auditeur par le col et tirant en permanence sur lui des cartouches dignes de celle qui a l'air de sortir de la pochette de cet album. Son premier refrain, tout en montée/descente inspirée, illustre cette efficacité ultime :
« You are the reason why, my day of living
I gave my soul away... to the unforgiven »
Une fois encore,
Vanden Plas fusille notre inconscient de ses riffs outrageusement accrocheurs : en un morceau, c'est plié. Le morceau suivant, « Postcard to God », sublime invective à Dieu dans laquelle le héros affirme avec amertume que ses prières n'ont jamais été entendues, cartonne le palpitant à l'aide de ses « palm mutes » saccadés qui rythment les couplets. La basse de Torsten Reichert, dotée d'un son rond et chaud, porte le refrain majestueux sur ses épaules avec une agilité incroyable et se love parfaitement dans les entrailles de la cymbale crash déchaînée du batteur Andreas Lill. Mais c'est la présence de Günter Werno qui change tout. Le génial « keyboard hero » tartine cet album de sublimes volutes symphoniques, en faisant l'un de ceux où le clavier est le plus présent, mais aussi le mieux dosé chez
Vanden Plas. Ses violons célestes, ses petits accords de piano délicatement déposés sur les guitares agressives de Stephan Lill, ses soli de synthétiseur démentiels aux sonorités « wave » créent une aura magique terrifiante qui offre au personnage principal un côté totalement mystique.
Christ Φ est l'album de tous les possibles : la supra-ballade « Fireroses Dance » l'illustre parfaitement. D'apparence calme avec ses accents floydiens impulsés par la basse de Torsten Reichert, elle se métamorphose comme Edmond Dantès pour évoluer en brûlot terriblement épique, dans lequel planent de sublimes choeurs liturgiques sur un riff heavy qui tire cet ensemble vers les sommets de la grandiloquence.
Certes, c'est une gageure de passer outre la manière très ancestrale avec laquelle les Caseloutrins forgent cet opus : ces mélodies exagérées et mielleuses sont d'une arrogance infinie. Il ne faudrait pourtant pas passer à côté du groove dément que les Allemands sont capables d'impulser à plusieurs morceaux de cet opus : « Wish You Where Here », qui voit Andreas Lill dépasser les limites de sa créativité, avec ses rythmiques sautillantes à la cymbale charleston, cartonne la tronche tant par son introduction enlevée que par ses soli ultimes de guitare et de clavier, aux mélodies emblématiques. De toutes façons, tout ce que tentent les Allemands sur
Christ Φ marche formidablement bien, même le petit filtre rétro qu'ils donnent au son de la batterie sur certains passages. Même ce pont classique qui interrompt le morceau – avec solo de piano avec petits violons staccato – fait de « Wish You Where Here » un morceau diablement épique, tout à fait réussi. Le claviériste y brille encore de mille feux, que ce soit par ses avoinées d'orgue hammond ou ses envolées de synthétiseur. Günter Werno et Stephan Lill figurent encore au tableau d'honneur sur « Somewhere In The Dark » : le premier pour le riff de clavier instantanément accrocheur qui ouvre le morceau, le second pour la cavalcade thrash metal qu'il lui ajoute avec un brio triomphant. Le solo à 3'22'', emblématique puis virevoltant, qu'il étale de tout son génie sur la basse tentaculaire de Torsten Reichert, propulse le morceau vers les étoiles. Les Allemands atteignent à plusieurs reprises le parfait équilibre entre une technique bien dosée et un feeling explosif.
Mais c'est encore, comme c'est si souvent le cas, la voix habitée d'Andy Kuntz qui emporte tout sur son passage. Sa tessiture chaude, immédiatement reconnaissable, offre toujours aux albums de
Vanden Plas une aura unique, un petit supplément d'âme qui fait toute la différence. Il ajoute ici une touche de magie et de poésie évidentes. Le frontman nous sort toute sa palette : il est capable de camper un sinistre message de haine avec une voix grave, presque éraillée, de chuchoter des prières touchantes ou encore d'envoyer une envolée lyrique carabinée avec moult tremoli. Celui qu'il place sur la ligne « when I pray then I may... » sur « Postcard to God » me file systématiquement des frissons d'allégresse. L'homme de lettres émérite pose systématiquement son drapeau conquérant sur ces hymnes épiques. Il ne se contente pas de conter son avatar, il l'incarne parfaitement, avec le « je » omniprésent dans ses paroles. Les mélodies qu'il crée avec sa tessiture théâtrale subliment toujours les morceaux. Alors d'accord, il cabotine à mort, comme dans le morceau fleuve « January Sun », hommage fugace à
Marillion avec ses notes de piano sautillantes, mais il atteint toujours une beauté incroyable dans ses lignes de chant, touchant systématiquement du doigt la perfection. Il faut dire qu'il y met toute son énergie: il n'y a qu'à voir l'armada de tonalités qu'il utilise sur « Silently », chef-d'oeuvre massif de cet opus. Après quelques accords de piano, le morceau démarre sur une rythmique martiale qui fonctionne du feu de Dieu, tout comme le pattern salement efficace qui la supplante, associé aux « palm mute » en contretemps avec laquelle les frères Lill, tout en simplicité virtuose, assassinent ma conscience professionnelle. Alors qu'Andy Kuntz susurre presque le mot qui donne son nom au morceau, il explose littéralement sur le refrain, qu'il gratine d'une grâce éclatante. Cette mélopée récurrente, quand elle n'est soutenue que par quelques subtils violons, est d'une grandeur infinie :
« Silently, deeply creep, in my heart and soul
Silently, deeply creep, all my love has gone »
Quand elle explose sous les coups de double pédale d'Andreas Lill, ajoutant quelques vers d'une poésie instantanée :
« Say why minutes take one life, but years run out of hands
Here I play « capture time », try to understand »
… l'album atteint les sommets de l'épique. J'en tremble de tout mon être! La tessiture ultra polyvalente mais toujours très cohérente de son frontman illustre à merveille l'instabilité chronique du héros qu'il met en mots. Lorsqu'elle s'emporte dans un passage à la guitare acoustique avec ses rythmes hispanisants, le morceau ne fait qu'accentuer la virtuosité des Caseloutrins, tout comme dans le fulgurant « Shadom I Am » et ses passages progressifs virtuoses qui mangent sans complexe à la table de
Dream Theater. Les Allemands ont hérité de leur inspiration une faculté à créer des morceaux imprévisibles, évolutifs, qui ne reposent jamais sur leurs lauriers : ils auront toujours un riff, une idée pour nous foudroyer la caboche au moment où on s'y attendra le moins. Même les deux mid-tempi qui dégoulinent de violons et de piano, « Lost in Silence » et son motif médiéval, auquel succède « Gethsemane », morceau bonus avec ses oeillades chaleureuses et ses claviers sublimes parviennent à conclure l'album en restant dans cette incandescence classieuse.
Malgré ce côté objectivement daté qui habite avec réussite leurs idées de composition,
Christ Φ est bien à ranger dans le rayon des chefs-d'oeuvre de
Vanden Plas et du metal progressif. En se servant du roman d'Alexandre Dumas pour livrer une œuvre personnelle et cohérente, ils sont irréprochables dans leurs intentions. Force est de constater que tout y fonctionne à merveille et ne souffre d'aucune longueur qui serait préjudiciable à cette immense cartouche épique. Pour couronner le tout, ils écrivent les chiffres qui indiquent la durée des morceaux en toutes lettres dans l'arrière de leur pochette, comme Caïn Marchenoir dans ses chroniques. Que voulez-vous de plus, franchement ?
Par gulo gulo
Par AxGxB
Par Jean-Clint
Par Raziel
Par Sosthène
Par Keyser
Par Keyser
Par Lestat
Par Lestat
Par Sosthène
Par Sosthène
Par MoM
Par Jean-Clint
Par Sosthène
Par AxGxB
Par Deathrash
Par Sikoo