Sleep Token - Take Me Back To Eden
Chronique
Sleep Token Take Me Back To Eden
Voay, t'es un vendu. Je suis bien d'accord mon bon ami, mais il y a des sorties à côté desquelles il est impossible de passer, surtout quand on s'intéresse d'un peu trop près au metal progressif. Ce genre est en constante expansion, à l'image de ses multiples excroissances de modernité qui ont poussé sur de solides racines ancrées dans les seventies. Une vraie tendance émerge, depuis quelques temps : il s'agit de mélanger des mécaniques complexes typiques du metal moderne (rythmiques saccadées en « palm mutes », contretemps, breakdowns) avec des ingrédients faciles issues de la pop (refrains sucrés, toplines accrocheuses). Leprous, VOLA ou encore Voyager font ça très bien, comme en attestent quelques-unes de mes récentes bafouilles sur Thrashocore. Mais en terme de succès, Sleep Token a littéralement tout explosé en 2023. À tel point qu'il est devenu professionnellement inconfortable de passer ce groupe sous silence sur votre webzine préféré. Nul doute que les promoteurs n'hésiteront pas à le qualifier de « phénomène » lorsqu'ils tenteront de nous extorquer un rein d'ici quelques semaines. Tout de même, quelques chiffres donnent le vertige : 10 000 billets vendus en 10 minutes pour leur concert à la OVO Wembley Arena de Londres, de 200 000 à plus de 2 millions d'auditeurs sur Spotify... la hype est immense. On peut même arguer que Sleep Token a réussi avec leur troisième full-length Take Me Back To Eden un véritable braquage « à la Ghost », tant il est parvenu à se sortir des ornières du metal pour intéresser une large partie de la population mondiale puisque sa tournée outre-Atlantique a été couronnée de succès. La comparaison ne s'arrête pas là puisque les Britanniques utilisent un peu les mêmes modes opératoires : un groupe intégralement masqué et anonyme puisque seul le leader et vocaliste du groupe, Vessel, est doté d'une identité identifiable, une direction artistique aux petits oignons et une communication sur les réseaux sociaux millimétrée et ritualiste. C'est un fait indéniable, Sleep Token maîtrise parfaitement le langage du succès. Mais le succès, c'est suspect, dit-on... est-ce que ces énergumènes emplumés le méritent ?
Oui. Loin de moi l'idée d'ôter à Sleep Token une once de mérite. La qualité intrinsèque de Take Me Back To Eden est toute aussi indéniable, malgré quelques réserves de rigueur. Sa formule parfaitement huilée fonctionne totalement. Dès « Chokehold », exceptionnel titre d'ouverture, l'auditeur est immédiatement happé dans un univers qui ne cesse jamais d'être séduisant. Sleep Token a cette faculté à être universel, à parler à tout le monde : qu'on soit un jeune pousse qui connaîtra ses premiers émois metal avec cet album, un vieux briscard qui a poncé les classiques des seventies ou un Jean-Claude Van Damme en grand écart entre deux camions. C'est sans doute pour cette raison que le groupe a tant de succès, d'ailleurs. Mais qu'est-ce qui les différencie des autres formations citées plus haut, qu'est-ce qui remplit autant les salles de spectables ? La communication, le mystère, sans doute. Ça excite. Tout comme le côté « sucré/salé » du groupe : ces patterns hip hop et RnB bien mielleux que le groupe superpose – sans que ça choque le moins du monde – à son metal progressif. Je persiste et signe, Sleep Token est capable à tout moment de provoquer le frisson et de saisir les oreilles. Outre les singles accrocheurs – comme le morceau éponyme ou encore « The Summoning » – un « The Apparition » est une démonstration éclatante de la palette si séduisante des Britanniques, avec ces toplines bazardées tantôt sur un beat hip hop bien carré dans l'axe, tantôt sur de puissantes guitares aériennes :
« Why are you never real?
The shifting states you follow me through
Unrevealed
Just let me go or take me with you
So let's make trouble in the dream world
Hijack heaven with another memory now
I make the most of the turning tide
It just split what's left of the burning silence
Don't wait 'cause this could be the last time
You turn up in the reveries of my mind
I wake up to a suicide frenzy
Loaded dreams still leave me empty »
Et bien sûr, il y a la voix de Vessel. Même si Thrashocore me hurle de tenter un jeu de mot pourrave avec ce patronyme, force est de reconnaître que le bonhomme est autant à la l'aise avec les refrains bonbons qu'avec les hurlements déchirants. Il se dégage de sa tessiture des nuances impressionantes, des fragilités millimétrées. Ses accents très pop fonctionnent parfaitement et créent des lignes de chant extrêmement bien senties, notamment quand le frontman vient chasser dans les terres du blues (le pont de « The Summoning », vers 5', impressionant de maîtrise), comme le ferait un Zeal & Ardor (avec moins de paillettes). C'est le moment de balancer ma théorie (dont je suis loin d'avoir la primeure) : ces petits zigotos encagoulés dont personne ne connaît l'identité viennent tout droit de la pop commerciale internationale pour s'encanailler dans la sphère metal. Comme si Hozier avait décidé du jour au lendemain de se lancer dans le metal. En tout cas, leur recette fonctionne totalement et a le potentiel et le charisme pour emporter les foules, que ce soit avec leurs hymnes metal moderne (« Chokehold », « Vore ») et leurs touches radio-friendly hypnotisantes (« Granite », « Aqua Regia », « Rain »), calibrées pour que les casus les chantent avec dévotion dans les stades d'ici quelques années. Pour peu que vous goûtiez également le hip hop moderne, avec usage délicat d'autotune et beats racés, le début d'« Ascensionism » est une masterclass d'atmosphères contrastées qui vient échouer sur un riff aérien ciselé qui diffuse à son tour la touche Sleep Token.
Mais alors toi aussi t'as succombé à la hype, Voay ? Tu as donc trahi l'intégrité légendaire de notre webzine préféré ? Pas tout à fait, les petits loups. Certes, si j'avais écrit cette chronique quinze jours après la sortie de ce Take Me Back To Eden, au moment où le monde entier se pignolait sur cet album, où les runes mystiques qui l'ornent fleurissaient partout sur les internets, nul doute que je me serais un peu plus enflammé. Mais j'ai pris du recul. Oui, Sleep Token a tout compris et a peut-être même inventé à lui tout seul une nouvelle ramification au metal progressif, en y incorporant avec une maîtrise assez unique des éléments hip hop et RnB à ses guitares acérées. Cet album, du fait de son succès aussi intense qu'immédiat comme de sa qualité intrinsèque, fera certainement date. Pourtant, il y a encore quelque-chose qui me dérange à son écoute : l'impression que Sleep Token est en constante recherche d'efficacité clinique, que ce soit dans ses plans radio-friendly ou dans ses assauts plus offensifs. La platine se voit inondée de douze tubes immédiatement séduisants, au détriment de l'expérimentation et à l'aventure musicale. Ce n'est pas exactement ce que je recherche dans la musique. Finalement, Sleep Token est le pur produit de son époque : il offre un plaisir immédiat, éphémère, avec des morceaux interchangeables qui peuvent tous se comprendre et se consommer en 30 secondes avant de passer à autre chose. Tant et si bien qu'on a l'impression d'avoir été charmé sans même s'en rendre compte. Il faut le faire, pour provoquer un tel effet. Au point de succomber totalement à la tentation ? Je vais tâcher de rester retranché dans mon bastion de scepticisme pour observer la suite avec la distance critique nécessaire. Comptez sur moi.
| Voay 24 Septembre 2023 - 1273 lectures |
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