« The beginning of the end
Just a turning point to restart again
Let me dream - with you, Ivy
'Til your sleeping pulse wakes me up on Sunday »
Vanden Plas aurait-il sorti son meilleur album sur le gong de l'année 2020, avec
The Ghost Xperiment - Illumination ? Lors de cette année de tous les possibles, amplement célébrée par mes estimés collègues du point de vue musical sur votre webzine préféré, les Allemands revenaient, toujours soutenus par le label Frontiers Music, donner la suite attendue à
The Ghost Xperiment - Awakening, paru un an plus tôt. Ce préquelle était déjà prometteur, puisque le quintet renouait avec cette efficacité fulgurante, maîtrisée sur le bout des doigts, après l'emphatique et ambitieux diptyque
Chronicles of the Immortals qui mettait davantage en avant leurs aspirations symphoniques. En tout cas, nos résidents de Kaiserslautern se sont distingués par la stabilité exemplaire de leur line-up. Après leur naissance en 1986 et leur formation définitive en 1990, ces cinq-là ont éclairé la scène metal progressif de leur touche particulière et ont su, à coup d'albums devenus cultes, se faire une place à la table des locomotives du genre. Les frères Lill, Andreas (batterie) et Stephan (guitare) ainsi que Torsten Reichert (basse) et Günter Werno (claviers) ont eu tout le temps de développer leur technique et d'affiner leur approche du metal progressif, puisqu'ils jouent ensemble depuis plus de trente ans! Andy Kuntz, quant à lui, est autant un auteur de grand talent qu'un chanteur exceptionnel. Il poursuit le concept façonné par l'album précédent, « origin story » très prenante du personnage de Gideon Grace, en lutte contre d'effrayants fantômes après sa tentative échouée de résurrection de sa bien-aimée Ivy à l'aide de dangereuses formules nécromanciennes. Le frontman s'était inspiré de la « Philip experiment » de 1972 pour construire son histoire de fantôme à lui, quelque-part entre Stephen King, Shakespeare, Oscar Wilde et Anatole Le Braz : en effet, le personnage principal de ce double album concept est originaire de Saint-Malo et trimballe sa carcasse maudite dans notre douce France pour faire face aux opposants ectoplasmiques qu'il rencontre lors de brûlots épiques mémorables.
Quelle suite, mes aïeux! Les sensations qui résonnent à l'écoute de ce
The Ghost Xperiment - Illumination sont tout bonnement explosives. C'est simple, j'ai l'impression jouissive d'être propulsé au milieu de la décennie de ma tendre enfance, lorsque
Dream Theater sortait avec un panache qui n'avait d'égal que leur insouciance l'historique
Images and Words (1992). Alors que je babillais dans mon parc à jouets en bois, ces hommes révolutionnaient le style musical que j'étais irrémédiablement condamné à écouter et à aimer des décennies plus tard. C'est animé de cette même insouciance nostalgique que
Vanden Plas livre en 2020 cette nouvelle fournée d'hymnes emblématiques. Tout fonctionne à merveille sur ce nouvel opus : ces sons de clavier qui évoquent le prog des seventies avec un aplomb et une gouaille incroyables, ces riffs de guitare irrémédiablement accrocheurs qui subliment une atmosphère sombre et mélancolique, ces lignes de chant totalement iconiques qui tirent tous ses morceaux vers la perfection... même la ballade finale, « The Ghost Engineers », au piano et à la guitare acoustique, est d'une puissance émotionnelle digne de « Wait for Sleep ». Mais trêve de comparaison, c'est bien
Vanden Plas qui est responsable de ce qui ressemble trait pour trait à un classique instantané, un album qui laissera une trace durable dans la longue histoire du metal progressif. Dès « When the World is Falling Down », magnifié par un sublime clip, les Caseloutrins annonçaient la couleur : ils livrent une offrande inépuisable, au tempo changeant et aux structures immédiatement reconnaissables. Cette frappe lourde d'Andreas Lill transcende avec un tempo martial et dynamique la salvatrice cavalcade qui ouvre ce nouveau bal. Le refrain pose déjà son empreinte dans notre inconscient :
« Wake me - on Sunday
when the world is falling down
Wake me - Sunday
when the world is burning »
La mixture secrète avec laquelle
Vanden Plas mijote ces motifs ultra accrocheurs depuis des années bouillonne déjà. La température ne redescendra pas, durant la grosse heure pendant laquelle
The Ghost Xperiment - Illumination nous imprime ses classiques en puissance dans l'inconscient, ses riffs obsédants impossibles à oublier. « Under the Horizon » continue de réciter cette incroyable aventure avec un sens de l'épique électrisant. Ces quatre accords ravageurs qui le lancent et battent ensuite la mesure en contre-temps, bientôt transformés en « palm mute » par un Stephan Lill terriblement inspiré, façonnent un morceau immédiatement séduisant, un tube en puissance. Le clavier de Günter Werno s'y fait discret, insidieux, comme les fantômes qui hantent Gideon Grace. Le solo emblématique qui perce sa couche d'ozone relance bien la machine, avant que les chuchotements de damnés de Andy Kuntz ne l'achève d'une envolée lyrique gracieuse. La reprise final de ces quatre accords surpuissants et le pont prog barré qui le fait mourir avec grâce place la barre très haut. Exceptionnelle entrée en scène, déjà... mais c'est « The Lonely Psychogon » et sa ligne de basse démentielle qui fait éclater mon cœur en mille morceaux avec son refrain d'un autre monde :
«
SAVE ME!
I'm lost along the way
My gods invite me for my dying day...
SAVE ME!
I'm lost along the way
I'll be there, I'll be there... on my dying day. »
Oui,
Vanden Plas me sauve de tout. Ce « save me » propulsé avec une grâce qui confine au divin par un Andy Kuntz au charisme démentiel balaye toutes mes angoisses et me plonge dans un état de transe rare, parvenant en un instant à me retourner les entrailles. Cette composition de Günter Werno, signée de ce petit air envoûtant et hypnotique qui parsème le morceau, m'a irrémédiablement séduit : son orgue hammond qui toise de son promontoire aérien les riffs de guitare saccadés de Stephan Lill me file des frissons historiques. Le corps parle, ensorcelé par ce fantôme solitaire qui appelle au secours. Le solo que le six-cordiste balance sur ce morceau pour le faire échouer sur de mélodieux accords de piano finissent de le consacrer comme un gigantesque coup de cœur. Mais un chef-d'oeuvre doit aussi trouver son équilibre, réserver à ses auditeurs des pauses salvatrices : il le fait avec brio grâce à la superbe ballade « Black Death Waltz » qui entretient son souffle macabre avec des orchestrations symphoniques grandiloquentes qui façonnent une pièce virtuose et emphatique permettant au groupe de propulser leurs mélodies majestueuses à la face du monde. Mieux encore, cette sublime pièce intimiste enregistré avec une chorale au Pfalztheater de Kaiserslautern permet à l'auditeur de reprendre son souffle, de s'arrêter quelques instants pour contempler ces moments de beauté incandescents, comme le solo de synthétiseur anthologique que Günther Werno offre au terme de cette sublime valse. Cet équilibre trouvé par les Allemands est plus solide que jamais, notamment grâce au concept passionnant construit sur
The Ghost Xperiment - Awakening (2019), qui tisse entre ces chapitres un fil d'Arianne incassable. « Fatal Arcadia » revient sur la sordide expérience de nécromancie perpétrée par Gideon Grace, qui a ouvert la porte de notre monde à de terrifiants fantômes et apporte à
The Ghost Xperiment - Illumination un supplément d'agressivité et de percussion. Son refrain torrentiel, avec sa ligne de chant aérienne, emporte tout sur son passage :
« There is another day... there in another time
I'm ready to refine my creation
I build another world there on the other side
A perfect universe, Ivy angel »
Andy Kuntz l'habite de l'une de ses envolées habitées. Ce morceau pugnace au tempo enlevé dégaine des cartouches de guitare en « palm mute » dévastatrices et lance le groupe sur de nouveaux rails, farfouillant en surface les landes du metal extrême avec les « growls » death metal inattendus qui retentissent sur la fin. Même si
Vanden Plas ne change guère ses habitudes, le groupe se permet d'explorer subrepticement de nouveaux territoires. L'apogée de leur état de grâce éclate avec « The Ouroboros ». Ce morceau a tout d'abord le mérite d'apporter quelques explications au concept: la vie de Gideon Grace est devenue une impasse, un serpent qui se mord la queue... pour retrouver son âme sœur Ivy, il n'a pas d'autre choix que de s'évaporer dans le monde des spectres, par le passage en forme d'Ouroboros – représenté sur la pochette des deux disques – qu'il a ouvert à cause de ses expériences interdites. Sa fin tragique est contée à l'aide d'une pièce progressive anthologique qui voit le groupe explorer avec une virtuosité et une maîtrise effarantes des motifs d'une variété exemplaire, pour accoucher d'un morceau fleuve au feeling iridescent. Un nouveau tour de force pour un album qui en est déjà blindé à ras-bord. Son ouverture intimiste, partagée entre le piano de Günter Werno et la guitare acoustique de Stephan Lill est d'une beauté confondante, d'autant plus qu'Andy Kuntz la pare d'une ligne de chant céleste et habitée. Lorsqu'explose ce refrain démentiel, préparé par un break tentaculaire d'Andreas Lill :
« I see the light, see the dawning
A million light years from the turning
I need to die, to transform me
On my way... into the light! »
… l'auditeur voit Gideon Grace expirer dans ses bras, avec toute l'emphase et l'hybris que
Vanden Plas sait mettre dans ces moments d'une intensité spectaculaire. On reconnaît bien le tragédien à l'ouvrage. « The Ouroboros » s'interrompt ensuite pour mieux revenir sur la pointe des pieds, avec un motif de musique classique orchestré par Günter Werno et ses violons staccato, pour mieux défoncer la porte avec un riff thrash metal qui casse des bouches avec une force inébranlable. Ce formidable « ghost-opera » se permet même le luxe de faire s'affronter le claviériste et Stephan Lill dans un duel de soli anthologique. Balancé entre cette cavalcade fulgurante et ses plans plus intimistes, toujours portés par le divin organe d'Andy Kuntz, il achève le héros de ce concept multidimensionnel avec une fin digne de ce nom. « The Ghost Engineers » viendra juste planter un ultime coup de poignard aux cœurs sensibles qui n'en demandaient pas tant : cette conclusion céleste, toute en délicatesse et en mélancolie, termine parfaitement son douloureux voyage.
Il y a des albums, comme ça, qui fonctionnent à la perfection : on a l'impression que tout ce que
Vanden Plas tente est réussi, il ne peut rien leur arriver. Même la reprise de
Saltatio Mortis, « Krieg Kennt Keine Sieger », morceau bonus en dehors du concept, ne perturbe pas l'équilibre exemplaire de ce nouvel album et se déguste comme une cerise sur un gâteau aux moulures impeccables. Les Caseloutrins se sont déjà targués d'une discographie quasi irréprochable, avec des monuments comme
Far Off Grace (1999) ou
Christ Φ (2006). Mais ces faits d'armes héroïques ne les inhibent pas puisqu'ils frappent un grand coup avec ce
The Ghost Xperiment - Illumination. Un coup de maître, même. Ces sonorités un brin vieillottes n'auront probablement pas le même retentissement dans cette nouvelle décennie que lors des précédentes et les auditeurs en recherche de modernité et d'innovation n'y trouveront certainement pas autant leur compte que moi. Mais putain de bon dieu de bordel de merde, qu'est-ce que c'est plaisant d'entendre un metal progressif joué de cette manière aujourd'hui! J'ai bon espoir qu'on reparle de cette « illumination » dans vingt ans, dans trente ans, en se rappelant à quel point cette sortie, qui s'est tardivement imposée chez moi comme le meilleur album de cette année particulière, était intégralement accomplie. Je souhaite à cet album, plus qu'à aucun autre, de devenir culte à son tour : il le mérite tellement. Pour l'heure, je m'incline bien bas.
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