Si j'étais le chroniqueur un tant soit peu sérieux pour lequel j'essaye de me faire passer depuis mon arrivée sur Thrashocore, j'aurais chroniqué cet album en 2020, année marquée d'une pierre blanche par mes respectables collègues, qui a vu les artistes de metal faire contre mauvaise fortune bon cœur en déversant un nombre incroyable de sorties abouties. Mais voilà, il m'est quasiment impossible d'émettre un avis sans m'armer de beaucoup de recul face à un album récent de
Pain of Salvation. Ce groupe originaire d'Eskilstuna en Suède et formé en 1991 a toujours eu le don de faire des albums complexes, certes accomplis et nourrissants pour qui goûte au metal progressif raffiné, mais impossibles à cerner en quelques jours, quelques mois, voire quelques années pour les plus tortueux : la triplette
Remedy Lane (2002),
BE (2004) et
Scarsick (2007) est particulièrement difficile d'accès et m'a demandé un temps considérable pour percer ses secrets. Certes, l'opus précédent,
In The Passing Light Of Day (2017), revêtait des atours plus aguicheurs et présentait un concept autobiographique suffisamment puissant pour bousculer n'importe quel quidam dès ses premières écoutes. Trop facile ? Non, certainement pas, mais plus accessible que certains sommets de la carrière des Suédois. Compliqué par l'émergence du virus, l'enregistrement de son successeur et onzième full-length a forcé le fondateur et leader incontesté du groupe Daniel Gildenlöw à travailler quasiment seul. C'est lui qui en assure les voix et l'intégralité de la composition, bien sûr, mais aussi les parties guitare – partagées sur le morceau final avec Johan Hallgren – ainsi que les lignes de basse et de clavier. Il ajoute sur certains passages quelques effluves de violoncelle et de banjo. S'il joue de la batterie sur « UNFUTURE », c'est bien Léo Margarit, son batteur depuis
Road Salt One (2010), qui met une nouvelle fois sa technique millimétrée au service de ce disque qui a beaucoup à dire et à offrir.
« How does it feel to be you ?
She once asked me
I said, I feel like a panther...
Trapped in a dog's world. »
Évidemment, comme tout bon album de metal progressif qui se respecte,
PANTHER est un album concept. Son scénariste y bâtit un monde majoritairement peuplé de chiens qui compte en son sein quelques panthères. Il reprend et métaphorise ainsi un thème qui lui est cher : celui du statut de paria dans notre société. Notre homme sait de quoi il parle, lui qui souffre d'un TDAH depuis sa prime jeunesse ayant dû lui mettre quelques bâtons dans les roues. Ses personnages d'inadaptés sociaux explorés dans
The Perfect Element, Part. I en 2000 et sa deuxième partie
Scarsick sept ans plus tard en témoignent. En se servant de son vécu, le vocaliste parvient à illustrer des situations de la vie quotidienne qui sonnent particulièrement vraies :
« I know what you're thinking
I must be the problem here
I think too fast, talk too loud
I barely touch the ground
Yes, I must be the problem here. »
Parmi d'autres thématiques récurrentes, il se montre aussi particulièrement critique vis-à-vis d'un système social destructeur, qui tend à l'uniformisation des masses au détriment des gens différents, de ces « panthères » auxquelles il tient tant et s'identifie donc pleinement. La métaphore est d'ailleurs très intelligemment poussée dans le somptueux visuel de l'album signé André Meister et probablement inspiré de la BD
Blacksad. Dans l'aspect promotionnel des clips, le leader se mettait bien en avant en revêtant élégamment un masque de félin au milieu de ses collègues canins. Les costards cravates pour l'uniformité, les masques pour la différenciation... bien vu! Forcément, ce qu'il dénonçait avec cynisme il y a dix ans n'est pas allé en s'améliorant : on retrouve donc pêle-mêle dans ce nouvel opus un aspect très personnel ainsi qu'une critique acerbe et quelque-peu alarmiste de notre œkoumène. Mais cette réécriture animalisée et poétique évite à la fois au combo l'erreur de faire un deuxième
In The Passing Light Of Day (2017) ou même la redite de ce qu'il défendait déjà bec et ongle auparavant.
En effet, voilà encore un album de
Pain of Salvation qui ne ressemble à aucun autre album de
Pain of Salvation. Alors bien sûr, on retrouve ce qui fait le sel du groupe à plusieurs reprises, comme dans le morceau-titre qui voit Daniel Gildenlöw déverser de nouvelles phases hip-hop avec un flow ciselé et agressif qui lui réussit bien mieux en 2020 qu'auparavant. Cette vieille marotte pourrait bien être l'une des signatures du groupe, tout comme les changements brutaux de ton et de tempo. L'exceptionnel « RESTLESS BOY », qui évoque le dessein et la perception d'un enfant hyperactif, alterne entre une vibe électro très réussie qui voit le vocaliste s'essayer à l'auto-tune dans un registre très moderne, avant de littéralement décoller dans un passage brutal doté d'un contretemps révolutionnaire dans lequel Léo Margarit gagne chèrement sa tunique de MVP, sculptant un pattern totalement virtuose. Le mix tentaculaire, volontairement confus et brut, presque brouillon, en fait un morceau aussi intriguant qu'accrocheur. Le groupe fait clairement l'effort de lifter et de renouveler son metal progressif et de l'ouvrir aux tendances actuelles, sans le dévoyer le moins du monde.
Pain of Salvation a toujours été très aventureux, de toutes façons : le morceau d'ouverture, « ACCELERATOR » et ses notes de clavier futuristes, dévoilait déjà cette ambition de moderniser sa manière de composer. Fort bien accompagné là encore par un batteur au sommet de son art, extrêmement rigoureux dans l'excellence et la précision millimétrée de sa frappe de sniper sur des peaux acoustiques ou des pads électroniques, Daniel Gildenlöw s'en donne à cœur joie en variant son registre comme à l'accoutumée : tantôt grommelant, tantôt aérien, l'homme balaie une nouvelle fois le spectre des émotions avec une inventivité toujours démultipliée.
Il ne part pas de rien non plus, en incorporant à sa manière de composer ces diverses influences qu'il a toujours su digérer et s'approprier avec une grande finesse. Ce feeling Ennio Morricone qui vient hanter « UNFUTURE » et ralentir la cavalcade dans ses premiers instants avant de rebondir sur une rythmique lourde et profonde typique des Suédois en est un bon exemple. Le floydien « ICON », abondant morceau final saupoudré d'une délicieuse ligne de basse, reste lui aussi résolument marqué du sceau d'Eskilstuna avec la mélancolie profonde qu'exprime ce grain de voix posé sur ce piano d'une belle pureté, parfaitement restitué par une production pour le coup ultra limpide. Les effluves hispanisantes qui viennent habiller celui de « WAIT » offrent un supplément de mélodie et de mélancolie à l'ensemble. Cette magnifique gradation qui vient ouvrir « KEEN TO A FAULT » et hisser le groupe vers les cieux vient lui aussi flirter avec un beat électro qui côtoie dans la plus belle harmonie une guitare acoustique aérienne à en crever avant de le faire retomber sur ses pieds dans un refrain typique
Pain of Salvation, dont la hargne s'exprime autant avec les « palm mutes » rageurs du multi-instrumentiste qu'avec la cymbale crash du discipliné batteur. Seuls l'interlude un peu anecdotique « FUR » et le morceau « SPECIES » s'étiolent un peu sans jamais vraiment décoller.
Alors, ai-je acquis suffisamment de recul pour pouvoir commenter dignement ce onzième album ? Certainement pas. Désolé, Thrashocore, je suis toujours incapable de trancher, d'affirmer avec confiance qu'il s'imposera comme un classique intemporel du groupe ou se limitera à une noble – et réussie – tentative de renouvellement de créneau. Mais
PANTHER affirme crânement ce postulat :
Pain of Salvation excelle tellement dans l'art de se réinventer qu'il ne risque pas de s'essouffler. Il semblerait même que cet album inaugure une nouvelle ère pour le groupe, comme le laissent supposer la promesse de fin de livret qui dévoile un mystérieux « To be continued... ». Il y a clairement matière à se réjouir : si les Suédois embrassent cette nouvelle aventure avec la même honnêteté et la même créativité, ils auront clairement les moyens de peser lourd au milieu de la foule de sorties moins courageuses. D'autant plus que, près de deux ans après sa sortie, ils vont enfin avoir l'opportunité de la défendre de l'autre côté de l'Atlantique...
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