Alors que Daniel Gildenlöw enchaîne les posts à caractère écologique sur ses réseaux sociaux, voilà qu'est venu le temps de s'attaquer à l'une des œuvres les plus politiques de « son » bébé qu'il pouponne soigneusement depuis 1991. Quelle gageure de résumer la carrière de ce massif nourrisson, tant ces locaux d'Eskilstuna se sont toujours fait un point d'honneur à ne jamais faire deux fois le même album! Oui,
Pain of Salvation fait partie de ces têtes d'affiche du metal progressif pour qui le suffixe a encore un sens, leur permettant de faire exploser les barrières musicales et d'explorer, à la faveur de nombreux albums emblématiques tels que
Entropia (1996),
One Hour By The Concrete Lake (1997) ou encore
Remedy Lane (2002), un très grand nombre de styles musicaux. L'étrange
BE (2004) allait quant à lui grappiller ses influences dans le style médiéval et offrait à un auditoire à la fois médusé et impressionné un opus des plus intriguant. Il faut dire que le quatuor resserré autour du maître à penser qui chante et s'occupe de la guitare, de la basse et du banjo a les qualités techniques pour se permettre à peu près n'importe quelle fantaisie : que ce soit Johan Hallgren (guitare, choeurs), Fredrik Hermansson (claviers) ou encore Johan Langell (batterie, choeurs), le combo atteint depuis ses débuts un niveau d'inventivité dont peu peuvent se targuer. Pourtant,
Scarsick (2007) est une suite. Et pas n'importe laquelle : celle de
The Perfect Element, Part. I (2000), album culte parmi les albums cultes célébré comme il se doit par votre serviteur sur votre webzine préféré. Celui-ci nous racontait l'histoire de deux personnages mentalement instables, « He » and « She », dont la rencontre explosive faisait bien des étincelles.
Tout comme son illustre aîné,
Scarsick est aussi l'occasion pour Daniel Gildenlöw d'explorer des thématiques qui lui sont chères et perlent sur bon nombre des albums de
Pain of Salvation, notamment le sort des parias de la société dont il s'efforce, avec toute l'empathie dont il est capable, de saisir les racines du mal-être. Elles émergent bien souvent dès l'enfance, comme le révèlent ces paroles pleines d'acuité issue de l'excellent morceau « Spitfall » :
« There’s nothing like a broken childhood
There’s nothing like a broken home
There’s nothing like a tale from your hood
There’s nothing like a record of restriction orders
Outspoken borderline disorders
A violent long way to the top
The longer that you fought yourself up
The longer the spitfall... »
Celle de « He », bourlingué entre les maltraitances diverses, nous avait déjà été racontée sans filtre dans
The Perfect Element, Part. I. Cette deuxième partie voit son personnage emblématique faire son retour dans une somptueuse pochette et servir de réceptacle au talentueux parolier pour exprimer des idées au vitriol sur la société capitaliste dont il se fait le dénonciateur. Que ce soit contre l'impérialisme américain (« America ») et le rêve de s'enrichir à toute force qui en découle, la société de consommation qui dégueule à tous les étages de la société (« Disco Queen »), de la vente de musique à celle de drogues, l'aveuglement des masses face au dérèglement climatique (« Idiocracy » - un texte déjà bien en avance sur son temps) au profit de l'idolâtrie excessive pour des stars éphémères... tous ces éléments conduisent le protagoniste à se retirer définitivement de la société dans un dernier morceau anthologique, « Enter Rain », une lente gradation vers son issue inéluctable. Vous l'avez compris, comme c'est bien souvent le cas avec les œuvres de
Pain of Salvation,
Scarsick fourmille.
À l'image des nombreuses idées qui en fusent, cette fournée de 2007 est aussi un véritable maelstrom de genres musicaux. C'est autant son point fort que son point faible : les transitions entre les morceaux ont parfois quelque-chose de capillotracté, jusqu'à flirter avec l'incohérence. Tout comme le côté aride et dérangeant qui germe de certains morceaux, rendant l'écoute et l'analyse aussi difficiles l'une que l'autre : j'ai mis un certain nombre d'années avant de saisir la substantifique moelle de cet album que je saigne pourtant quasiment depuis sa sortie. L'inverse m'aurait déçu, tant c'est également ce qui fait le charme de
Pain of Salvation depuis 1991 : le fait de pouvoir sortir des sentiers battus en quelques secondes. Comme ce riff lumineux qui sort du sombre « Spitfall » sans prévenir, vers 4'22'', après une nouvelle tentative – plutôt réussie – de Daniel Gildenlöw dans le registre hip-hop. Après avoir pris le temps de déverser un flow qui manque de variété (mais pas de maîtrise) dans l'intention, cette mélodie luminescente vient rafraîchir l'ensemble et couler dans les oreilles comme le nectar sucré des dieux. Il faut dire que
Scarsick ne manque pas de ces moments d'exception qui viennent à la fois relancer la machine et offrir un charme fou à la musique des Suédois, à l'image de ce piano enchanteur sur lequel viennent retentir de jolis babillages dans « Cribcaged ». Le tube plus classique « Flame To The Moth » ne manquera pas, quant à lui, de venir donner aux puristes du metal progressif ce qu'ils sont venus chercher dans cet album : avec sa partie batterie déconstruite, sa basse possédée, ses « palm mutes » ciselés et son refrain hurlé, ce morceau montre que le groupe est également capable d'être clinique quand c'est nécessaire. Les guitares graves et massives qui battent la course funéraire de l'excellent dernier morceau « Enter Rain » pour ensuite s'envoler vers un break mid-tempo qui évoque totalement
Pink Floyd ne manquent pas d'en témoigner.
En puis, comme c'est souvent le cas avec
Pain of Salvation, les émotions sont poussées à leur paroxysme. Au côté cynique et grinçant de certaines de ses paroles (« America », « Disco Queen ») qui se traduisent par des moments légers et envolés, presque « troll », répondent des passages d'une mélancolie vertigineuse (« Kingdom Of Loss », référence directe à
The Perfect Element, Part. I), parfois même au sein d'un même morceau. C'est bel et bien le vocaliste qui se charge d'impulser ces sentiments si contradictoires à ce sixième full-length avec son organe aussi cohérent que polyvalent, aussi instable que maîtrisé. Systématiquement dans l'exagération, poussant sa voix au maximum de ses capacités, vociférant, tremblant, chouinant, adressant des clins d'oeil complices à son auditoire, Daniel Gildenlöw est une nouvelle fois partout, illuminant de sa maîtrise infinie ces hymnes bariolés. Certes, ses tentatives hip-hop paraissent aujourd'hui un peu datées et certaines de ses manières, notamment la gestion des aigus et des graves, pourront agacer. Mais c'est bien lui qui fait qu'on pourra apprécier, ou non, un album de son groupe. Et s'il faudra beaucoup de temps pour en percer la carapace,
Scarsick ne fait pas exception : apprécier ses idées plus ou moins saugrenues, savourer ses passages démentiels ou rejeter ses tentatives indigestes demandera un effort aussi rare que précieux dans notre époque peu propice à ce genre de dégustation sur le long terme. Croyez-moi sur parole, cette suée vaut clairement le coup!
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