La zone de confort existe-t-elle en musique ? Quand on connait Meshuggah et ses récentes sorties discographiques, on est tenté de répondre par l’affirmative. En effet, après un
obZen qui présentait déjà une brillante synthèse de leur œuvre, les Suédois semblaient faire du sur-place avec son successeur, un
Koloss plutôt efficace mais fade en comparaison des précédents exploits du groupe. La parenthèse expérimentale de l’EP
I et de
Catch 33 a-t-elle permis aux Suédois d’assouvir leurs ambitions créatrices les plus folles ? Peut-être. Le nouvel album, intitulé The Violent Sleep of Reason, vient pourtant bousculer un peu leur organisation habituelle, car c’est le premier voyant le bassiste Dick Lovgren apporter sa contribution à la composition. Sa participation n’est de plus clairement pas minime, le tandem qu’il forme avec son compère Tomas Haake signant six morceaux sur les dix du disque ! L’autre nouveauté est l’enregistrement du tout par des prises live, une volonté du groupe, en réaction à ses précédents essais, d’aller vers un son plus naturel, gagnant en espace et en dynamique. Sur les thématiques abordées, pas de grand changement à l’horizon, Tomas Haake est toujours inspiré par les religions organisées et leur nuisance, notamment les actes terroristes qui ont malheureusement marqué notre actualité récente. Le nom de ce nouvel opus provient à ce titre du tableau de Francisco Goya, «
The Sleep Of Reason Brings Forth Monsters ». Et pourtant, si le sommeil de la raison engendre bel et bien des monstres, Meshuggah est un monstre qui n’est pas près de s’endormir.
Preuve en est faite avec la confrontation au premier titre de l’album, l’atomique « Clockworks ». Car oui, ce morceau est un numéro d’équilibriste phénoménal sur plus de sept minutes que l’on ne voit pas passer. D’emblée, une batterie sidérante de technique, les riffs serrés et écrasants typiques des fous d’Umeá commencent un effrayant travail de sape, alors que les ambiances futuristes et oppressantes de Fredrik Thordendal ferment les issues, avant que ne survienne enfin un refrain enlevé porté par une trame mélodique pleine d’emphase. Proposer un tout aussi ambitieux et rester terriblement percutant est un tour de force que bien peu de groupes de la scène metal pourraient réussir. Assurément l’une des meilleures tueries du groupe. Seulement, après une telle claque, on redescend sur terre. Car en dépit de la qualité générale de l’ensemble, aucune chanson ne viendra par la suite recoller au niveau de cette première composition. On comprend vite que, a contrario de ce contact initial, l’orientation du disque est assez directe et tend encore une fois globalement vers le groove. La vilaine impression d’avoir à faire à un «
Koloss amélioré » gagne du terrain, surtout quand le chant de Jens Kidman confirme l’inquiétant souvenir qu’il avait laissé. A cinquante ans, le hurleur confirmé semble avoir les cordes vocales usées et ayant perdues leur tranchant, tout juste si sa prestation gagne en relief ce qu’elle perd trois fois en puissance. Mais cela n’empêche pas ses collègues de dérouler leur science du riff polyrythmique et terrassant avec facilité, en témoigne un « Born in Dissonance » qui confirme un gain d’efficacité non négligeable. Et c’est encore plus le cas sur le très groovy « MonstroCity », sans doute le plus entrainant du lot. La poursuite de l’écoute d’une traite dévoile une très bonne dynamique d’ensemble (chose importante aux yeux du groupe), les morceaux s’enchainent avec une certaine fluidité. Une fluidité que l’on retrouve sans encombres du côté des soli, ces derniers se révélant souvent être assez convenus pour Thordendal, même s’ils donnent toujours la sensation d’être l’œuvre d’un extraterrestre (ceux de « Nostrum » ou « MonstroCity », supersoniques). On regrettera quelques compositions un peu dispensables, un « By the Ton » qui traîne trop en longueur malgré des sonorités intéressantes et son accordage au ras du sol, ou encore « Our Rage Won’t Die » dont l’entame très thrash ne suffira pas à sauver totalement. Evidemment, tout cela donne le sentiment d’être face à une sortie bien banale pour Meshuggah, surtout quand les compositions les plus classiques se concentrent essentiellement sur le début de l’album.
Et pourtant quelques surprises viennent réveiller notre attention…
The Violent Sleep of Reason marque un certain retour à des ambiances paradoxalement plus présentes. Le groupe maintient alors un dosage fragile et souvent inégal il est vrai, entre efficacité et atmosphère, comme sur les très convaincant « Ivory Tower », imperturbable même avec ses lead quasi-tragiques, et « Stifled », qui comporte une superbe outro incroyablement planante, épurée et apaisante, assurant une transition parfaite avec la track suivante. C’est dans ces rares moments que Meshuggah, cette machine à tuer surpuissante et sur-intelligente, parvient à nous émouvoir. Le pont mélodique sur fond d’ultra-grave de « MonstroCity » est d’ailleurs l’un des plus beaux passages du disque, « beau » dans le sens premier du terme. Le titre éponyme, avec ses rythmiques étouffantes s’acharnant froidement sur l’auditeur (
Chaosphere n’est pas bien loin ici), se paye même le luxe de présenter les ambiances les plus angoissantes et dérangeantes du groupe depuis une décennie. Si l’interprétation de chaque musicien, même en condition live, semble sans faille, celle d’un Tomas Haake tout particulièrement actif en fera baver plus d’un. Sa prestation, bien mise en valeur par la production de Tue Madsen, est juste hallucinante, multipliant les patterns d’une complexité furieuse, comme sur le très progressif « Nostrum », où sa pauvre caisse claire doit se demander ce qui lui arrive. Ou comment donner une leçon de virtuosité et apporter une dimension supplémentaire aux compostions. Le jeu se calmera drastiquement sur un « Into Decay » concluant le parcours sur une note des plus pesante et pessimiste.
Supérieur à son prédécesseur,
The Violent Sleep of Reason souffre comme
Koloss d’un certain manque de profondeur et d’originalité quand on met en perspective ce nouvel essai avec l’impressionnant passif de Meshuggah. L’expérience que propose le groupe est intellectuellement moins stimulante et excitante que celle proposée par les opus des deux décennies antérieures. Le choix d’un son plus organique est à saluer, même si bien sûr les amateurs de la facette froide et chirurgicale propre aux Suédois risquent d’être déçus, pendant que les autres apprécieront d’autant plus cet effort pour sonner plus humain. Si l’album est assez varié, ressemble à une collection de chansons, il montre une chose : Meshuggah n’est jamais meilleur que lorsqu’il se tient à un concept musical fort et original sur l’intégralité d’une œuvre.
The Violent Sleep of Reason n’en est pas moins dans l’absolu un très bon album de metal progressif, moderne mais racé, et Meshuggah ne semble pas près de voir son règne arriver à son terme.
8 COMMENTAIRE(S)
14/03/2017 08:33
13/03/2017 22:16
12/11/2016 21:01
26/10/2016 08:55
Si "Obzen" était une tuerie plus immédiate et accessible que leurs précédentes sorties, celle-ci demandera plus de temps d'adaptation mais sera du même tonneau !
25/10/2016 22:54
Entendons-nous bien je ne boude pas mon plaisir sur le début surtout avec Monstro, mais ça reste à mes oreilles du Meshuggah classique donc du très bon qui devient un peu routinier. Et puis Stifled arrive, et j'ai l'impression de me retrouver à l'époque où Nothing ou I est sorti ! Incroyable...
Bravo Meshuggah !
25/10/2016 21:26
25/10/2016 21:02
En revanche, le truc avec Meshuggah c'est que c'est tellement complexe que, pour ma part, ça va jusqu'à plusieurs années pour les digérer. Il n'y a pas que le nombre d'écoute qui joue, il y a aussi le temps de digestion et la prise de recul. J'ai finis par beaucoup aimé Koloss avec le temps et je vous invite vraiment à y revenir.
J'ai le même effet sur ce disque, pour l'instant je n'ai d'oreilles que pour Clockwork, je ne suis pas très près pour la suite encore.
Enfin, je voudrais terminer en disant que je trouve très injuste les critique envers Meshuggah par rapport à leur supposé stagnation artistique.
Meshuggah est un groupe absolu.
C'est un monolithe noir hermétique pour qui n'aura pas su les apprivoiser.
Réduire ce groupe à l'effet de surprise dont ils ont bénéficié en apportant la révolution dont ils sont les géniteurs serait mal les écouter.
Je crois que Meshuggah fait partis de ses groupes qui demandent autant d'exigence à l'auditeur que ses musiciens semblent s'en donner pour composer et jouer.
25/10/2016 19:31
Je suis assez friand des sons développés par Thordendal sur MonstroCity par exemple : ambiant, angoissant et tout juste posés sur une rythmique schyzo.
Après, je te rejoins. C'est bien, mais pas la révolution. Le fait d'avoir enregistré live n'est pour moi qu'un gadget car... on ne sent pas la différence.
Et puis le chanteur gueule toujours pareil.
Je réécoutais Catch 33 récemment et je me suis rendu compte qu'ils avaient perdu quelque chose. Ce truc en plus, ce petit plus qui fait la différence, l'originalité. j'ai l'impression qu'ils ne cherchent plus, mais qu'ils ressassent.
Mais bon ça reste un bon album ;p
Ta chro est top en tt cas camarade !