Dans le monde du metal progressif, Haken s'est rapidement imposé comme étant la référence du genre de cette décennie. Depuis sa formation en 2007, le groupe est passé par tout un tas d'expérimentations - matérialisées sous la forme d'albums divers - qui a forgé le nom du groupe. Depuis ses débuts avec "Aquarius", le Dream Theater-like
"Visions", l'expérimental
"The Mountain" et le plus abouti et mature "Affinity", le groupe semble s'être dessiné un style propre en quatre albums seulement. C'est avec ce dernier album que j'ai découvert le groupe, sur les bonnes recommandations d'un ami passionné (coucou Alex), avant de me plonger dans les travaux les plus anciens de Haken, sans que "Affinity" ne parvienne à être détrôné, pas même par
"The Mountain" et ses titres devenus cultes - et parfois sources de memes pour les frappés des fans - tels "Cockroach King" ou "Falling Back to Earth". Et pourtant, cette place de roi semble bien être remise en question aujourd'hui avec "Vector", le cinquième album des londoniens, qui condense en moins de trois quart d'heures toutes les facettes progressives qu'ont exploité le groupe durant sa décennie d'activité.
Car ce n'est pas un hasard si Haken s'est vu rapidement propulsé sur les devants de la scène: ce sont certainement ceux qui sont les plus aptes à définir le mot "progressif" et "Vector" en contient à lui tout seul toutes les clefs. C'est pourquoi il serait compliqué, voir déroutant, de s'initier au genre avec ce groupe: on ne sait tout bonnement pas où les placer. Prog classique? Prog moderne? Les deux, mon capitaine. C'est sur cette dualité que "Vector" s'est forgé son identité, dans la continuité logique d'"Affinity" sorti seulement deux ans plus tôt - et le groupe a eu le temps de sortir un live-album absolument grandiose entre-temps!
Passons en revue, paragraphe par paragraphe, toutes les déclinaisons du mot "progressif" que l'on trouve dans cet album - et peut être que cela aidera les plus réticents du genre à mieux le comprendre. Dans un premier temps, "Vector" s'apparente à du prog classique, et cette notion gravite autour de trois axes: la production, les riffs et le chant. L'album est mixé de telle manière que les guitares et la batterie ont un son particulièrement doux, ce qui fait que quand les parties instrumentales s'arrêtent pour laisser place à quelque chose de plus atmosphérique, de plus posé (comme dans "Veil" ou dans "Puzzle Box"), la transition n'est pas brutale pour autant. Il n'y a pas cette sensation de manque, de calme dérangeant presque plus agressif que le bruit, mais plus une idée de continuité logique: comme si le groupe, conscient qu'il allait mettre un certain nombre de passages acoustiques - et il y en a beaucoup -, avait fait le choix délibéré d'atténuer le son des guitares, comme pour nous laisser entendre qu'il y aura un bon nombre de ruptures dans l'album. Ensuite, les riffs: dans un album de prog comme celui-ci, il est compliqué voire réducteur d'affirmer qu'ils sont l'essence même du groupe. On l'a vu: il n'y en a pas une mais plusieurs. Plusieurs aspects dont les riffs font partie. Je n'en parlerai pas dans son entièreté pour ne pas empiéter sur le paragraphe suivant, mais il est rare au final de trouver une mélodie fixe qui reste dans la tête et qu'on pourrait associer à un morceau en particulier (surtout dans le long "Veil" ou dans l'instrumentale "Nil by Mouth"). Il y a tant dans chaque morceau qu'au final les mélodies en deviennent presque secondaires: les rares parties associées au prog classique se trouveraient dans "Puzzle Box", où une ligne de guitare en tremolo s'ajoute lors du deuxième couplet et forme une mélodie plus traditionnelle, où dans certains passages de "The Good Doctor" où les synthés viennent se mélanger au ballet de notes. Enfin, l'aspect le plus marquant dans ce côté "prog" classique est le timbre exceptionnellement doux de Ross Jennings, constituant le coeur mélodique de Vector. Pour le coup, les exemples sont légions, le meilleur se trouvant dans "A Cell Divides" - dont parfois les choeurs me rappellent la montée particulièrement épique et majestueuse au milieu de "1985" sur l'album précédent - ou dans le refrain de "Puzzle Box" qui est particulièrement bien amené.
Cet album serait nettement moins intéressant s'il ne balançait pas continuellement entre le prog classique - dont on vient d'en voir les traits - et le prog moderne. On entend ici la définition du genre au sens large: tout ce qui se rapproche donc aux genres extrêmes. Cet notion gravite autour de deux aspects, cette fois-ci: les riffs (une autre partie) et les éléments programmés. J'ai déjà parlé des guitares dans le paragraphe précédent mais je me suis retreint à ne parler que de mélodies ou de lignes plus techniques: voyons ici que certains riffs, que l'on trouve assez fréquemment, apporte une touche presque djent: que ce soit dans "The Good Doctor" et ses couplets qui rappellent Animal as Leaders, "Puzzle Box" et son break djent, le riffing très lourd et monolithique de "Veil" et du mastondonte "Nil by Mouth" ou le dynamisme de "A Cell Divides", contrastant fortement avec le presque acoustique "Host", juste avant, l'album est contrasté à bien des moments par une branche plus moderne de la musique progressive. On pourra également lier à cela la transition jazz au milieu de "Veil", toujours dans cette idée de jouer parfois un prog plus orienté djent (qui est l'évolution directe du jazz dans le metal). Quant aux éléments programmés, difficile de se réduire à un seul paragraphe pour en parler. "Vector" est un véritable festival: bidouillages électroniques par ci, pads ambiants par là... Du passage au dungeon synth dans "A Cell Divides" à en couper le souffle aux bruitages de "Puzzle Box" en passant aux solos de synthés discrets de "Veil", qui font limite power parfois, il n'y a pas un seul morceau qui ne compte pas d'éléments rajoutés par logiciel, ce qui densifie l'album et complexifie son écoute. On trouve même des trompettes dans "The Good Doctor"!
Après moult écoutes, on comprend un peu mieux pourquoi Haken en est venu à choisir "Vector" comme titre de son cinquième album: il est le vecteur entre une époque d'essais, maintenant soldée avec son dernier album, mais aussi vecteur entre une époque progressive old-school de par la voix extrêmement douce de Ross Jennings et de la production générale et entre une époque plus moderne de par les morceaux très intenses et les retouches électroniques... C'est certain: il faut plus que plusieurs écoutes pour tout comprendre de cet album. Il faut également se plonger dans les travaux plus anciens du groupe. Ce faisant, on trouvera des clins d'oeils très discrets tels une reprise du thème de "Cockroach King" au début de "Nil by Mouth" ainsi que de "Cystallized" un peu plus loin, ou bien "Puzzle Box" qui reprend le pattern rythmique de "The Architect" sur le précédent disque. Concernant les renvois de morceaux au sein-même de l'album, "Host" renvoie à "Clear" vers 1:30, la ligne de paroles "save me, teach me, hold me" est le début de chaque vers de "Veil" et le passage à 5 minutes renvoie au début de la deuxième partie de "Veil", le côté djent et agressif de "Nil by Mouth" renvoie fortement aux couplets de "The Good Doctor"... Cet album est également vecteur de différentes parties, que ce soit au sein d'un même album ou, plus généralement, du reste de la discographie du groupe. "Vector", en somme, est le reflet de la carrière du groupe: courte, intense, complexe, liée par un même esprit ou fil conducteur et mêlant le prog traditionnel qui a constitué les racines du groupe au prog moderne dans lequel ce dernier baigne. C'est donc toute cette richesse qui fait l'identité de cet album et qui en démontre la solitidé, ainsi que le talent irréprochable de tous les musiciens, qui brillent tous quel que soit leur instrument. Un incontournable du prog, à impérativement écouter plus d'une fois, à intervalles réguliers, après s'être déjà forgé une opinion grâce aux précédentes sorties.
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