Septembre 2010. Un séisme secoue
Dream Theater et même la planète metal entière. Mike Portnoy, batteur historique et fondateur du groupe avec John Petrucci (guitariste) et John Myung (bassiste) rencontrés dans les années 1980 à la Berklee School of Music, annonce à ses petits camarades, éreinté par le rythme stakhanoviste des full-lengths/tournées/album live/phase de composition qu'il souhaite que le groupe fasse une pause de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Les deux musiciens sus-cités, rejoints par James LaBrie (voix) et Jordan Rudess (claviers) lui adressent une fin de non recevoir. Le rythme actuel et l'inspiration de
Dream Theater leur conviennent très bien, après un
Black Clouds & Silver Linings réussi, occasionnant d'ailleurs une tournée célébrant les 25 ans d'existence du groupe de la meilleure des manières. Les discussions ont du tellement s'enflammer que Mike Portnoy finit par quitter le groupe par la petite porte, tout en se fendant d'un post assassin sur Facebook. Le divorce est consommé, cet épisode troue le cœur des fans de la première heure et reste tout à fait traumatisant pour une bonne partie d'entre eux aujourd'hui, à l'image des nombreux posts qui regrettent encore ce départ tragique et conspuent avec beaucoup de mauvaise foi le successeur de la légende à la barbe bleue.
« The Spirit Carries On », rockumentaire resté pour moi absolument anthologique puisque j'en regardais fiévreusement chaque épisode à sa sortie sur Youtube, raconte en les filmant les auditions organisées par
Dream Theater pour remplacer l'irremplaçable. De grands noms aux CV clinquants viennent gentiment se casser les baguettes dans un moment irréel, hors du temps, filmé comme un épisode de télé-réalité soigneusement manipulé par les managers du groupe pour donner le beau rôle aux quatre membres restants. Même si vous n'appréciez pas autant le groupe que moi, passer à côté de ce « Some Kind of Monster » aussi propret que théâtral est encore aujourd'hui reconnu comme un crime contre l'humanité par la Convention de Genève. En effet, Derek Roddy (
Hate Eternal,
Nile,
Malevolent Creation... ah, ça y est, les brutasses de Thrashocore qui dormaient au fond de la salle ont levé les sourcils, n'est-ce-pas ?), Virgil Donati (
Steve Vai,
Planet X), Mike Mangini (
Annihilator,
James LaBrie), Thomas Lang le mercenaire du metal, Aquiles Priester (ex-
Angra), Marco Minnemann (
The Aristocrats,
The Mute Gods aussi brièvement passé chez
Necrophagist et
Kreator comme batteur session... ça y est, nos brutasses sont réveillées) et Peter Wildoer (
Darkane,
James LaBrie) viennent tour à tour se mettre en danger. Pour finir de convaincre mes brutasses préférées, voir Derek Roddy claquer un gravity blast (même enregistré avec un son de merde) sur « A Nightmare to Remember » justifie à lui seul le visionnage de ce documentaire mythique par bien des points : Aquiles Priester se vautre magistralement sur « The Dance of Eternity », Virgil Donati, dans un move quasi autistique, en refait la fin, convaincu qu'il peut faire mieux, comme un élève de cinquième qui voudrait fayoter à fond. Peter Wildoer passe quant à lui son audition sans sourciller, mais aussi sans génie, tout comme Thomas Lang, plus prompt à faire 10 000 masterclass par an qu'à trouver un groupe. Derek Roddy semble totalement paumé sur les improvisations. Marco Minnemann déchire tellement tout qu'il convainc, je pense, totalement Jordan Rudess. À tel point qu'ils fonderont ensemble quelques années plus tard avec Tony Levin le projet
Levin-Minemann-Rudess et que le « Keyboard Wizard » l'embauchera à plusieurs reprises sur ses albums solos, sans doute pour retrouver cette magie des auditions. Mais c'est Mike Mangini, qui en chie sa race sur les trois morceaux utilisés (« The Spirit Carries On », « A Nightmare to Remember », « The Dance of Eternity ») comme tout être humain normalement constitué... mais toujours avec le sourire, qui remporte la mise. Il impressionne le groupe non seulement par son enthousiasme, mais aussi par sa créativité lors des improvisations. Ce sympathique professeur démissionnaire de la Berklee School of Music de Boston devient donc le nouveau batteur de
Dream Theater.
Après les deux précédents, c'est un nouveau cycle qui s'ouvre, de fait. Mais il n'y a rien à faire, même avec tout cet apparat, les « die hards » jurent leurs grands dieux qu'ils ne poseront pas l'oreille sur
A Dramatic Turn of Events. C'est bien dommage, car ce nouvel opus sorti en 2011 démarre sur les chapeaux de roue, avec deux morceaux foutrement efficaces, parmi les meilleurs du
Dream Theater post-2010. En effet, les New-Yorkais renouent, comme ils le faisaient dans leur précédent opus, avec des morceaux racés, burnés, qui comptent parmi les meilleurs morceaux récents du groupe à mon goût. Quelle meilleure ouverture pour un album post-trauma que « On the Back of Angels » ? Excellente manière de remettre l'église au centre du village avec une introduction résolument progressive, qui évolue vers un motif en « palm mute » des plus efficace et un refrain énergique où Jordan Rudess se taille la part du lion puisque c'est lui qui guide la mélodie avec sa pluie de notes déchaînées. John Myung, qu'on avait moins entendu sur les albums précédents, assure les transitions avec ses doigts enchantés. « Build Me Up, Break Me Down » pue le tube efficace à plein nez, fusionnant les plans metal accrocheurs dans lesquels se dessinent des inspirations indus et symphoniques chiadées ainsi que des motifs progressifs foutrement bien branlés. Le solo mené à deux par Rudess et Petrucci est un petit bijou. Les New-Yorkais sont en ordre de bataille.
La reconquête est en marche. Ils avaient intérêt, avec la pression immense qu'ils ont sur les épaules. « Bridges in the Sky » tartine la tronche de riffs agressifs, fulgurants et badass à ras-bord comme John Petrucci, devenu seul maître à bord, sait parfaitement les fignoler. Son intro qui évoque la civilisation indienne, aux voix graves d'outre-tombe qui laissent place à des choeurs liturgiques descendues des cieux, parviendra toujours à me faire frissonner, avant que ne surgisse ce riff qui casse des bouches comme rarement chez le combo, qui propose par la suite des motifs tantôt orientalisant, tantôt délicieusement inspirés. Le solo en shred de John Petrucci rappelle l'immense guitariste qu'il demeure, après toutes ces années de service. Son règne dans
Dream Theater ne fait que commencer. Quant à James LaBrie, il semble libéré d'un poids lorsqu'il interpelle son auditeur avec fougue :
« Whisperer of truth,
I trust in you
To make me whole. »
Certes, il n'est plus le vocaliste hors pair qu'il était jadis, mais ses lignes de chants restent percutantes et entêtantes. Il sait aussi se faire plus intimiste sur des ballades qui, si elles ont un côté séduisant indéniable (« Beneath the Surface », « Far From Heaven »), ont tout de même tendance à me laisser de marbre. Oui, tout ne pouvait pas être parfait sur cet album...
A Dramatic Turn of Events, malgré toutes ses qualités, reste un disque inégal, avec ses temps morts, notamment quelques morceaux qui demeurent plus anecdotiques dans cet ensemble que j'entends réhabiliter aujourd'hui... Jordan Rudess, certainement dépité que le groupe n'ait pas retenu Marco Minemann, déclenche parfois l' « alerte mauvais goût », notamment sur « Beneath the Surface » sur lequel son solo fatiguera même les cages à miel les plus tolérantes. « Outcry », doté d'expérimentations qui lorgnent vers l'électro, plutôt réussies par ailleurs (bien que datées), souffre de quelques longueurs, malgré un côté accrocheur indéniable, que ce soient dans les refrains comme dans les longs patterns prog qui montrent un groupe retrouver avec bonheur ce style sans complexe. Les soli de basse de John Myung y sont totalement resplendissants.
« Breaking All Illusions » est probablement, aux côtés de « Bridges in the Sky », le chef-d'oeuvre absolu de ce disque. Ses motifs qui évoquent
Iron Maiden pour ensuite se déchaîner dans un duel technique entre John Petrucci et Jordan Rudess, en font un morceau magnifiquement évolutif, terriblement maîtrisé. Comme si les New-Yorkais lâchaient totalement la bride fertile de leur créativité. Son grand final tout en emphase et en démonstration hyperbolique à base de claviers terriblement mielleux, tellement
Dream Theater, est à tomber par terre. Le pont prog complètement loufoque sur « Lost Not Forgotten » confirme aussi à quel point le groupe se fait plaisir. Je trouve tout de même assez dommage de finir cet album sur une ballade un peu random, après la pièce de choix incroyable qu'est « Breaking All Illusions ».
Tout dans
A Dramatic Turn of Events crie à la face du monde : non, le groupe ne s'est pas fourvoyé en laissant partir Mike Portnoy. Si le nouveau batteur se fait discret (il n'a a priori qu'enregistré des parties batterie préalablement composées par John Petrucci), il fait admirablement bien le job. Moins fin et moins groovy que son prédécesseur, il apporte et apportera une percussion indéniable et des plans tellement techniques aux morceaux des New-Yorkais que les plus grands mathématiciens du monde s'y sont cassés les dents. La légende raconte même que Cédric Villani a complètement loupé sa campagne pour la mairie de Paris car il était trop occupé à déchiffrer certains patterns de batterie de Mike Mangini, qui a la gentillesse de proposer des « tutoriels » pour quelques morceaux du combo sur sa chaîne Youtube par ailleurs (turbolol). En tout cas, si elle en aura laissé quelques-uns sur le carreau, l'opération reconquête de
Dream Theater est donc une franche réussite. Si les évènements ont bien sûr été dramatiques pour la plupart de leurs fans, cette très convaincante offrande de 2011 contribuait, à son époque, à en atténuer la portée à court terme.
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