Treize ans. C’est donc le temps qu’il aura fallu à Tool pour donner une suite à son quatrième album sorti en 2006. A l’époque, j’étais encore étudiant, j’habitais chez mes parents, je devais avoir un téléphone à clapet dont l’écran devait faire la moitié d’un ticket de métro et j’écoutais
10,000 Days dans ma Fiat Punto 55s première génération. Ah, et surtout j’avais encore des cheveux... Si on a souvent l’habitude de dire que le temps passe vite, je vous assure que les fans de Tool ont eu tout le loisir de relativiser ce genre d’assertions. Devenue au fil des ans une véritable arlésienne, l’attente aura finalement pris fin cet été après que le groupe a déroulé un plan de communication parfaitement orchestré :
- Quelques dates de concerts aux Etats-Unis et en Europe lors desquelles seront interprétés deux/trois nouveaux morceaux alors inédits ;
- Captations puis diffusions de ces titres inédits sur les pages officielles de Tool (YouTube, Facebook...).
- Création début juin d’un compte Instagram avec à la clef une courte vidéo dévoilant la date énigmatique du 30 août sans aucune autre information.
- Tracklisting, précommande et premier extrait dévoilés le 7 août ;
- Sortie officielle quelques semaines plus tard.
Certes, le groupe a été absent pendant treize ans mais il n’est pas resté étranger aux nouvelles méthodes de promotions et de communications. Et pour tout dire, il semble même être passé expert en la matière (quitte à laisser perplexe les millénials fans de Taylor Swift qui n’avaient jamais entendu parler de Tool), se permettant ainsi de ne dévoiler quasiment aucune information quant à ce qui pouvait justifier le prix pourtant extrêmement dissuasif - allant d’une cinquantaine d’euros à presque quatre-vingt-dix selon le site choisi - de ce nouvel album...
Parlons-en justement de cet objet. Si celui-ci ne s’inscrit pas dans une démarche écologique forte, il n’en reste pas moins un objet particulièrement soigné et même plutôt audacieux. Deux mois après sa sortie, je n’apprends surement plus rien à personne mais celui-ci se présente sous les dimensions d’un digibook A5 plutôt épais. En effet, on trouve à l’intérieur (et c’est là le génie de Tool en matière de packaging) un écran rechargeable HD de 4" avec un câble et deux haut-parleurs de 2 watts. Sur cet écran peuvent être visionnés plusieurs séquences vidéo exclusives dont certaines reprennent les artworks créés pour l’occasion par différents artistes (dont Alex Grey bien entendu) que l’on trouve également dans un livret de 36 pages sensible à la lumière noire. On trouve également un code permettant de télécharger la version numérique de l’album avec, en guise de bonus, trois interludes ("Litanie Contre La Peur", "Legion Inoculant" et "Mockingbeat") ayant été volontairement retirés de l’album afin de faire tenir le tout sur un seul et même CD. Enfin, sachez qu’il existe au moins trois versions de l’album avec notamment des nuances dans les formes géométriques présentées sur la face arrière ainsi que dans l’usage qui est fait de certains vernis sélectifs. D'ailleurs, certaines de ces versions semblent plus rares que d’autres...
Mais au-delà de l’objet, c’est au sujet de la musique que Tool était très attendu. Le contexte est souvent important dans la genèse d’une œuvre, et en l’occurrence nous l’avons vu, celui-ci est bien spécial. La dimension humaine est sans doute prépondérante sur ce
Fear Inoculum, voire déterminante. Treize ans plus tard, les musiciens ne sont plus les mêmes personnes, ils sont comme nous, ils changent avec le temps. Pour ce cinquième album, le groupe s’est probablement mis à composer de nouveau ensemble pour la première fois depuis une décennie. A son écoute, on pourrait croire que les quatre musiciens y retrouvent surtout leurs sensations, leurs habitudes, et qu’ils s’y réapproprient leur musicalité. En résulte un album sans véritable surprise pour l’auditeur habitué au son de Tool, à la direction musicale plus posée, comme si ses membres s’étaient assagi, mais aussi intimidés par leur propre retour.
Fear Inoculum a un aspect moins audacieux dans le sens progressif du terme. Les compositions ont beau être longues et riches, il s’agit plutôt ici d’infuser une atmosphère plus accueillante, au point même que cet opus s’affirme comme le plus accessible du quatuor au sein d’une discographie parfois exigeante. A l’heure où son influence est devenu presque commune et que son dernier effort est sorti il y’a treize ans, Tool serait-il devenu un groupe de metal progressif obsolète ? Chacun en jugera à l’écoute de ce disque. En tous cas ce qu’il nous présente aujourd'hui, c’est un ensemble toujours très centré sur le groove (chose assez rare pour le genre il faut le signaler), des progressions générales assez similaires au sein des différents morceaux, et surtout des prestations individuelles contrastées. Le chant de Maynard s’est énormément affiné sur le plan technique, certaines de ses lignes sont très prenantes, mais peuvent parfois aussi sembler erratiques, la faute à une orientation où la mélodie prend toute la place, quitte à mettre les cris de côté. Dans la même veine, les riffs et les soli d’Adam Jones sont devenus plus classieux et mélodiques, mais encore une fois, la dynamique manque un peu. Dynamique qui manque également à une production certes aérée et précise, mais qui pourrait paraître terne en comparaison de celle d’un
10,000 Days qui risque de rester référentiel à ce niveau pour longtemps. C’est indéniablement la section rythmique qui brille sur
Fear Inoculum, entre un Justin Chancellor très pertinent et qui porte le groove des morceaux presque à lui seul, et un Danny Carey très actif qui s’affirme d’autant plus dans les moments les plus flottants du disque. Rassurez-vous, si ce premier constat global semble très mitigé, les écoutes successives ne manquent pas de mettre en lumière les nombreuses qualités de cet album.
Définitivement plus posée, la musique de Tool n’en conserve effectivement pas moins une certaine force ici portée par un ensemble d’éléments bien connus de tous les amateurs du groupe. En cela, ce premier titre qu’est "Fear Inoculum" fait presque figure de vitrine (plutôt rassurante) à l’adresse de son auditoire tant tout ce qui a fait le charme et l’identité des Californiens jusque-là y est dispensée en l’espace d’une dizaine de minutes. De ces sons étranges (ceux proposés en guise d’introduction) à ces percussions tribales (notamment à 0:53) en passant par cette basse aux rondeurs exquises (1:37), ce chant reconnaissable entre mille fait, entre autre, de susurrements diffus (3:12) ou de lignes impeccables et quasi-divines à vous hérisser le poil (3:57), ces riffs lourds et pourtant extrêmement incisifs (3:54), ces roulements implacables de basse et de batterie conjugués (8:59)... Bref, autant d’évidences que rien n’a vraiment changé du côté de Tool et que le groupe a su conserver son aura, son élégance et sa stature malgré toutes ces années passées. Alors effectivement, il y a quelque chose de terriblement frustrant dans cette longue progression dont l’issue n’est pas cette explosion plus ou moins tonitruante que tout le monde ou presque attendait mais en même temps cette espèce de retenue, qui caractérise d’ailleurs tout l’album (de "Pneuma" à "Descending" en passant par "Invincible" ou "7empest", la construction demeure à peu de chose près similaire), a quelque chose de terriblement délicieux, laissant l’auditeur dans une situation mêlant à la fois frustration et extase. Cette retenue vaut également pour Maynard James Keenan qui se trouve ici à l’économie, dispensant ses lignes de chant avec davantage de parcimonie que par le passé. Bien souvent présent après les premières secondes servant généralement d’introduction, il tend après quelques minutes à s’effacer au profit des trois autres musiciens sur qui vont alors reposer le développement de toute la dynamique et l’atmosphère de chaque composition. Un choix intimement lié, comme nous le disions un peu plus haut, au fait que ces dits musiciens ont inévitablement changé/mûri/évolué en l’espace de treize ans et que ce qui était vrai à une époque ne l’est plus nécessairement aujourd'hui. En abordant à travers ces sept compositions (si l’on ne tient pas compte de ces interludes qui, soit dit en passant, n'apportent pas grand chose, et de ce titre instrumental qu’est "Chocolate Chip Trip") des thèmes axés principalement autour de cette idée de progression, d’évolution et de changement, Maynard prend ainsi ouvertement position, laissant par là même entendre qu’il n’en sera pas (et probablement plus) autrement désormais.
Soyons honnêtes, Tool n’atteint pas totalement ses standards qualitatifs sur ce très attendu
Fear Inoculum. Peut-être que justement cette interminable attente d’une communauté massive de fans passionnés aura inhibé le groupe dans son processus créatif, au point de le rendre presque timoré quand on met en perspective ce nouvel album avec les anciens brillants essais du quatuor. Mais il est cependant certains que les qualités de
Fear Inoculum, intrinsèquement liées à la nature de ses talentueux géniteurs, prouvent aujourd'hui que Tool est un groupe qui s’est certes assagi, mais dont l’inspiration ne s’est pas tarie.
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