Le souvenir le plus prégnant que j'ai de cet album, avant même d'en entamer les écoutes successives pour en rédiger la chronique que voici, est son « making of » disponible sur la version collector achetée « day one » par votre serviteur, le jour de sa sortie le 4 juin 2007. Réalisé par Mike Portnoy (batteur), qui a plus que jamais pris le pouvoir sur ses comparses John Petrucci (guitare), John Myung (basse), Jordan Rudess (claviers) et James LaBrie (voix), il montre en 1h30 comment est composé un album de
Dream Theater à l'époque. Ce reportage donne à voir les brainstormings irréels auxquels se livrent le groupe, qui n'a de cesse, dans un perfectionnisme presque effrayant, de calculer quel tempo, quelle mesure adopter pour quel riff ou même morceau de riff. Je revois encore les schémas de leurs morceaux dessinés avec une extrême minutie sur un tableau blanc, presque comme le ferait une réunion organisée dans une multinationale. J'ai souvenir d'une scène où Mike Portnoy et John Petrucci coachent à fond James LaBrie pour qu'il donne exactement la ligne de chant que le tyrannique batteur a en tête. Cette plongée dans l'intimité du groupe – où bienveillance et bonne humeur règnent encore en maître, on est pas dans « Some Kind of Monster » non plus – m'avait rendu extrêmement enthousiaste à l'époque mais ne cachait pourtant pas les défauts que
Systematic Chaos allait avoir à mes yeux, avec le recul des années.
En premier lieu, ce travail titanesque mené par le groupe pour se renouveler accouche ici de riffs ciselés, calculés pour faire mouche, à tel point qu'ils en deviennent trop cliniques et échouent pour la plupart dans leur recherche d'efficacité. « Forsaken », vaine tentative de tube consensuel marqué par un motif de piano céleste habile par ailleurs, en démontre toutes les failles : ce refrain mielleux porté par un James LaBrie pourtant en forme a tendance à totalement tomber à plat. Il est aussi enfermé dans un paradoxe propre à
Dream Theater, celui d'avoir composé des morceaux récents qui ont plus vieillis que leurs anciens... j'ai tendance à penser que « Forsaken » était déjà vieux en 2007... alors imaginez aujourd'hui! « Constant Motion », comme l'avait été
Train of Thought (2003) en son temps, n'est pas libéré du sceau de
Metallica. Pourtant, cette belle cavalcade de « power chords » avait tout pour faire mouche, notamment grâce aux choeurs martiaux enregistrés par une poignée de fans, mais peine dramatiquement à décoller, au contraire du légendaire album en noir.
« The Dark Eternal Night », au riffing résolument heavy (il est teasé comme un morceau révolutionnaire et extrême dans le reportage), engage par un « semi-blast beat » et les voix de Mike Portnoy et John Petrucci presque growlées (mais trop maladroites et noyées dans la reverb pour être efficaces) le groupe sur le terrain du metal extrême. J'y vois surtout, dès son ouverture, la tentative un peu naïve d'un groupe de « gentils » de vouloir sonner « méchant ». Rien que le titre est presque grotesque... et je ne peux m'empêcher de penser au running gag du Joueur de Grenier sur « le méchant, le méchant » à l'écoute de ce morceau pourtant réussi par ailleurs, notamment lorsqu'il évolue en motif prog barré du meilleur effet. On a l'impression de retrouver, l'espace de quelques riffs, un
Dream Theater naturel, créatif, comme il sait si bien l'être par ailleurs. Lorsque se déchaînent ces motifs thrash metal, alternant d-beat et riffs dynamiques qui évoquent les envolées de
Megadeth, les New-Yorkais montrent qu'ils savent encore taper où il faut. En live, ce morceau prend une nouvelle dimension et s'impose comme un monolithe de violence jouissive :
Images, Words and Beyond : Live in Japan (2017), très récemment paru sous forme de streaming, l'utilisait d'ailleurs de manière fort pertinente en ouverture. Mais
Systematic Chaos disperse encore le talent de
Dream Theater dans un nouvel hommage appuyé à
Muse sur « Prophets of War ». Si le morceau fonctionne dans son efficacité intrinsèque, il pêche par la maladresse presque touchante avec laquelle le groupe s'embourbe dans l' « inspiration corner », à l'époque. Ce processus de composition ne connaît presque plus de limites : Mike Portnoy imite les patterns à la charleston et à la ride de Dominic Howard et James LaBrie va jusqu'à singer Matthew Bellamy dans certains passages. À la sortie, on a la désagréable impression d'un tube « bonbon » bien trop sucré pour être correctement savouré.
Cependant,
Systematic Chaos compte tout de même quelques pièces de choix qui ont le mérite de relever à elles seules cet album un peu terne. « Ministry of Lost Souls », évidemment, transcende l'ensemble par ses mélodies ravageuses et notamment les sublimes soli que John Petrucci assène avec rage, comme pour nous rappeler qu'il sait encore faire hurler de plaisir sa guitare : le grand final le prouve aisément. Son ouverture orchestrale emphatique suivie de ces arpèges perçants montrait déjà cette science des mélodies ultimes, teintée d'une mélancolie décapante que
Dream Theater raffine depuis longtemps. L'envolée épique soutenu par la mitraille de « power chords » que ce morceau propose redresse clairement l'encéphalogramme.
« Hello, mirror, so glad to see you my friend
It's been a while... »
Ah shit, here we go again. Ça fait pas si longtemps, en fait. Ces paroles qui font directement écho à « This Dying Soul » (2003) introduisent « Repentance », l'antépénultième effort de la gargantuesque « Twelve-Step Suite », qui laissait à l'époque un bon paquet de fans sur le bord de la route, excédés par cette réminiscence de riffs déjà connu. Il renouvelle pourtant avec pertinence ces motifs devenus historiques en invitant, lors d'une ballade intimiste et maîtrisée (bien qu'un peu longue), plusieurs guest stars prestigieuses (Corey Taylor, Joe Satriani, Mikael Åkerfeldt, Daniel Gildenlöw, Neal Morse...) à habiter de leur voix ce morceau au feeling floydien. Mike Portnoy, engagé dans les étapes VIII et IX de sa rédemption, établit la liste des personnes qu'il a blessé dans un touchant témoignage porté par ces voix étrangères. La doublette « In the Presence of Enemies » voit le groupe retrouver avec bonheur une inspiration progressive, où la virtuosité vertigineuse côtoie un feeling débridé. Ces deux morceaux ont le mérite de faire illusion, d'encadrer avec panache et intensité un album qui en vient même à globalement souffrir de la comparaison avec son introduction et sa conclusion.
Une question demeure, donc : qui écoute encore
Systematic Chaos aujourd'hui ? À part votre serviteur, bien sûr, pour le tancer avec une relative sévérité, je ne vois pas qui pourrait trouver dans cet album autre chose qu'un ensemble un peu réchauffé et dispensable à l'échelle de la discographie du groupe. Autrement, il reste une honnête offrande de metal progressif que d'autres chroniqueurs plus impitoyables que moi pourront qualifier, dans un excès de mauvaise foi, de générique.
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