Orakle - Eclats
Chronique
Orakle Eclats
Je ne connaissais Orakle ni d’Eve ni d’Adam. Le groupe m’était en tout point inconnu et j’aurais parfaitement pu poursuivre ma vie de mélomane sans que mes oreilles ne croisent cet « Eclats ». Les murmures des copains d’Apathia Records puis la découverte de la pochette feront germer en moi un désir acéré de me procurer l’album : j’avais une sorte de fascination étrange pour cet objet à l’œuvre d’art énigmatique, me renvoyant des années en arrière lorsque je visitais « le champs des divinités païennes » du sculpteur Robert Le Lagadec. Ce fut également non sans un certain plaisir que je redécouvrais le plaisir d’acheter un CD sans en imaginer le contenu…
Donner une image à sa musique, ce n’est jamais gratuit. Et le geste de réaliser une pochette d’album ne devrait jamais être sous estimé puisque définitivement, celle-ci reste le reflet de l’œuvre. D’un point de vue marketing d’abord, mais également dans ce qu’elle dit du contenu. Dans le cas d’Eclats, rarement j’aurais pu constater une telle intimité entre une œuvre musicale et son illustration. Il y a une sorte d’évidence inouïe dans la représentation : une justesse parfaite entre le choix de ces sculptures grotesques, leur mise en scène aquarellée et la musique. Analogie remarquable qui renvoie à ces temps où les artistes étaient en quête de l’œuvre d’art totale.
Il ne m’a fallu que très peu d’écoutes pour m’accrocher à cet album. A moins bien sur, que ce soit lui qui m’ait mit le grappin : en témoigne la façon dont les mélodies s’enracinèrent dans ma tête, allant parfois jusqu’à m’empêcher de dormir (véridique). Le travail du métal – décharné et fiévreux – de Le Lagadec se transpose à la musique. Les carcasses sont écorchées, violemment assemblées entre elles et finissent par composer un ensemble qui sans être structuré, dessine un paysage. Un paysage de corps humanoïdes vulgaires. Dans ce sens, il m’apparaît inutile et vain de décortiquer chaque chanson dans le sens où il faudrait en isoler les instruments (il serait dérisoire de désosser les colosses d’acier pour retrouver la destination primaire et honteuse de chaque pièce). C’est l’ensemble qui est important. C’est le geste artistique qui consiste à faire jaillir la beauté de la laideur. De la juxtaposition des agrégats d’instruments et de rythmiques bâtardes – semblant parfois jetées sans transitions à nos oreilles – ressort d’ailleurs une continuité inattendue. Car la musique est intrinsèquement irrégulière et accidentée, pleine de convulsions et de saccades. Les sonorités et les ambiances très diverses se côtoient pour former un ensemble complexe sans jamais se fausser dans le compliqué. Et malgré le trouble que peut provoquer la première écoute, le tout prend corps pour former une œuvre musicale complète de huit chansons surréalistes.
Mais l’œuvre est-elle pessimiste ? Oui, probablement.
Eclats est une narration. Un essai littéraire tentant de décrire en quelques lignes, quelques chansons, un enfer terrestre d’humains burlesques et pathétiques : la misère d’individus résolus à évoluer dans un monde qui n’a fondamentalement aucun sens. Ce n’est globalement pas très joyeux, mais l’album suinte d’une étrange fraicheur. La musique accompagne le texte, le texte accompagne la musique : d’un côté clameur rugueuse, de l’autre mélodie lancinante. De la même manière que pour les instrumentations, la voix devient un fragment – qui certes mixé en avant – participe à la confection du tout. Après cela, certains reprocheront l’écriture un tant soit peu emphatique d’Eclats, portée par des textes très « écrits». Dans le même sens, le français en rebutera plus d’un. De mon côté, je préfère y retrouver l’expression de cette complexité, de débris jetés ensemble et qui, une fois accumulés, font apparaître une beauté inespérée. Sur la longueur, le texte prendra d’ailleurs une allure de texture, jalonnée de métaphores et d’images que chacun s’appropriera intimement. L’utilisation du français permet d’ailleurs cette promiscuité : elle n’en est donc que plus salutaire.
Eclats se révèle au fil des écoutes. Il se creuse pour constamment surprendre, nous invitant petit à petit à contempler son paysage intérieur. Et à l’image des sculptures de Robert Le Lagadec, probablement que l’album conservera une part de mystère indéchiffrable. Une aura que seuls les grands albums entretiennent au fil du temps. Je vous le dis, tout cela est exquis.
| Rapha3l 7 Juin 2015 - 2319 lectures |
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