La musique a-t-elle une limite ? Certains vous répondraient sans hésitation que non. Certains nuanceraient : elle n'a comme limite que l'imagination de son compositeur. Bien. Et si celui-ci ne semble pas en avoir ? Nous y voilà. C'est le genre de question que Devin Townsend a semblé nous poser un peu tout au long de sa carrière, et après plus de deux décennies et une trentaine d'albums à son actif par le truchement de divers projets, cette question a rarement été autant d'actualité avec ce
Empath.
La décennie passée avec le Devin Townsend Project aura été en demi-teinte pour les fans les plus exigeants et connaisseurs du personnage, il faut bien le reconnaître, nonobstant le succès. Devin l’aura admis lui-même après avoir mis le projet en veille, il se sentait un peu enfermé dans un carcan. Nous n’irons pas le contredire, la plupart de ces albums finissant par proposer toujours le même metal progressif popisant sympathique, mais finalement assez peu intéressant quand on connait les capacités du Canadien. Après une petite pause bien méritée, Devin décide réactiver sa carrière solo en changeant les habitudes prises ses dernières années. Le résultat ? Une production folle et pharaonique, grâce à une liste d’invité donnant le tournis : « l’omni-guest » Anneke van Giersbergen bien sûr, pas un, pas deux, mais trois batteurs, un orchestre, une chorale féminine, et pléthore de musiciens de renom (170k$ de budget tout de même !). Tous cela, Devin le met en œuvre avec un album qui revient à quelque chose de plus profond et ambitieux, comme si l’abandon du Project avait été salvateur pour retrouver l’audace des albums ayant tant marqué sa carrière solo. Ici, le terme « progressif » reprend totalement ses droits. Au-delà d’un travail de production titanesque, les chœurs et les harmonies vocales en particulier prenant une dimension épique fabuleuse, c’est la liberté prise par Devin de se laisser aller à toutes ses envies musicales sans aucune bride qui rend
Empath fascinant. Le grandiose et le brassage stylistique ici atteint fait écho à l’excellent
Infinity, pierre angulaire dans le parcours du musicien. Le nombre de genres musicaux ici inclus souvent au sein même d’un seul morceau n’a rien de conventionnel et relève d’un anticonformisme sans appel (« Empath », contraction de « empathy » et « path », soit emprunter le chemin que l’on comprend et auquel on s’identifie). Heureusement chaque composition comporte un point d’accroche fort, comme un refrain massif ou une mélodie vite assimilable, et on sent que le travail de Devin pour que chaque partie s’imbrique avec la suivante n’est pas étranger dans la curieuse cohérence de ce chaos organisé.
Malgré cela il faut se rendre à l’évidence :
Empath est ce genre d’album dont tenter d’établir l’inventaire complet serait aussi difficile que long et bien vain. Ce qui ressort surtout de cette masse musicale d’une heure et quart dans un premier temps, ce sont ses hauts et ses bas. La dinguerie « Genesis » pourrait presque suffire à résumer le disque dans son intégralité tant la multitude d’éléments hétéroclites qu’elle contient pourrait servir de carrière à plusieurs dizaines de groupes. Dans un genre un peu, mais juste un peu plus accessible, le tube spatial « Evermore » et son groove irrésistible, ou encore le délicat labyrinthe vocal « Sprite » peuvent convaincre sans grand effort les amateurs de metal progressif bariolé. Tout cela est encore assez gentil jusqu’à ce que détone « Hear Me », assurément la piste la plus violente du lot, avec sa frénésie débridée rappelant aux bons souvenirs d’un Strapping Young Lad bien énervé, sans négliger des envolées vocales bien puissantes de la part d’un Devin toujours aussi impliqué. A côté de cela, les deux seuls véritables morceaux qui déçoivent sont sans doute les « Why ? », promenade symphonique naïve et enfantine, ainsi que « Spirits Will Come », gros single rock/metal à chorale bien trop proche des précédentes sorties du Canadien. On ne s’attardera pas trop sur les longueurs de « Borderlands » et son riff un peu balourd, sauf jusqu’à ce très joli passage ambiant où la charmante Ché Aimee Dorval (entendue sur Casualties of Cool) nous invite à effleurer sa peau, maintenant… doucement… encore… tout doucement… Ahem. On s’égare. A noter que cet ensemble très varié parvient à être cimenté par l’ambiance assez cinématographique donnée par l’orchestre (le séduisant interlude « Requiem »), qui apporte un niveau de détail et une dynamique très appréciable. Mais le sommet de ce menu très riche s’avère être un copieux dessert, avec les vingt-trois minutes de la pièce montée « Singularity », divisée en six parties alignant une bonne partie de ce que Devin a pu proposer dans sa carrière, rien de moins. Le grand final conjuguant saccade rythmique moderne et chœurs radieux nous laisse extatique, rassasié après un voyage ahurissant, mais aussi étrangement désireux de reprendre la route d’un disque à la durée de vie quasi-infinie.
Alors que l’on ne l’attendait plus vraiment, Devin Townsend parvient à sortir, plus de deux décennies après ses débuts et un parcours récent décevant, un album qui renoue avec sa gloire et rappelle pourquoi il reste un génie. Une réussite qui malgré deux morceaux en-dessous du reste et quelques passages un peu hasardeux, s’impose comme une œuvre à la musicalité universelle certes complexe, mais donnant l’impression rare dans le metal de célébrer la vie avec ses malheurs et surtout, ses bonheurs.
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