« Love is the way... love is the only way out... »
Tel est le mantra qu'a voulu appliquer
Devin Townsend à son nouvel album. Si l'on connaissait déjà quelques-uns de ses démons, bien documentés sur votre webzine préféré qui a accusé réception de ses sorties violentes et torturées de début de carrière (
Strapping Young Lad notamment), l'hyperactif Canadien semble s'en être sorti. Pourtant, la période de pandémie mondiale et la privation d'activités qu'elle a engendré a probablement contribué à en faire ressortir quelques-uns du placard dans lequel il les avait enfermé des années auparavant. Pas question de tourner en rond. La création du film
The Puzzle (2021) et de sa bande son totalement expérimentale a aidé le Canadien à les exorciser. Composé et bricolé avec moult cerveaux, il était l'occasion pour notre créatif invétéré de coucher les troubles développés durant cette période sur une partition extrêmement complexe et – disons-le clairement – difficilement lisible pour le premier quidam venu. Repli sur soi, pensées intrusives, insomnies chroniques et négativité permanente composent la bande-son de cette catharsis intime qui s'est imposée comme une pièce totalement à part dans sa discographie. Mais
Devin Townsend a l'habitude d'être sur tous les fronts. En parallèle de cette aventure très particulière, témoignage de la période « pendant » la pandémie, il s'est employé à composer l'album de « l'après ». Là où
The Puzzle (2021) avait des allures de sortie confidentielle, réservée aux initiés,
Lightwork se veut plus « mainstream », facile d'accès, ouvert à toutes et à tous. L'un est le tunnel, l'autre la lumière. Toujours soucieux de se challenger, le Canadien a fait appel à un compatriote et ami, Garth « GGGarth » Richardson pour produire ses nouvelles créations et mieux cadrer son propos. Force est de reconnaître que le dernier « vrai » full-length, l'excellent
Empath (2019), partait un peu dans tous les sens (pour mon plus grand bonheur). Pour la première fois de sa carrière,
Devin Townsend se risquait à travailler avec un producteur... si attaché à son indépendance, voilà qu'il change tout. Entouré de beaucoup de musiciens de session, il a reconnu à plusieurs reprises que cette aventure n'avait pas été de tout repos. Est-ce que ça valait le coup ?
En partie.
Lightwork est totalement cohérent avec ses intentions : c'est une petite douceur inspirante et sucrée qui se déguste jusque dans son artwork minimaliste signé Travis Smith. C'est un album éminemment « chill », qui incarne le calme après la tempête et surfe sur des thématiques résolument positives. Parvenir à incarner la joie en musique est un processus extrêmement difficile. Votre webzine préféré est là pour en témoigner : la noirceur semble bien plus inspirante pour les artistes de metal que la lumière et la gaité.
Lightwork relève ce défi avec brio, semblant suivre avec candeur le mouvement d'un ascenseur émotionnel qui gravit plusieurs étages d'un coup. Il faut dire que
Devin Townsend excelle dans les montées d'adrénaline épiques qu'il sait encore impulser à ses morceaux. « Lightworker » encercle l'auditeur avec sa production généreuse, lorsque le vocaliste toujours au sommet de son art fait décoller cette magnifique ode à l'amour, la paix et la fraternité...
« Tell me there’s another
Lead me to the mother
We are all of us
Tell me there’s another
Lean into it brother,
We are all of us »
… on se sent immédiatement lové dans les bras du Canadien. Difficile de rester de marbre face à certaines mélodies enchanteresses qui travaillent avec beaucoup de finesse le registre pop, avec des phases qui évoquent parfois
Tears For Fears. Le lumineux « Call Of The Void » et son leitmotiv obsédant (« freak out ! ») ou encore le super sucré « Vacation » qui se retient instantanément... voilà bien un morceau d'apparence anecdotique qui a le potentiel pour devenir un tube à la « Hyperdrive ».
Devin Townsend ne se renie pas pour autant, incorporant quelques gimmicks habituels à cette nouvelle orientation. « Celestial Signals » retrouve l'emphase caractéristique de son metal progressif, avec ses refrains gravitationnels emblématiques. Malgré son apparence solaire, « Heartbreaker » instaure une complexité bienvenue, avec une juxtaposition de mélodies que viennent transcender les chœurs féminins, comme sur « Heavy Burden », où ils cohabitent avec des « palm mutes » ciselés. Au milieu de ces créations moelleuses, l'énergique « Dimensions » et son côté martial sur lequel le frontman laisse s'exprimer sa voix criée ferait presque figure d'intrus dans cette atmosphère apaisée, toute à la célébration de pensées positives. Le grandiose « Children Of God » en forme d'anthologie conclut cet ensemble avec beaucoup de solennité. Pas de doute,
Lightwork compile et expose avec habileté les qualités de
Devin Townsend, en mettant ses mélodies séduisantes au service d'un registre facile d'accès et « radio-friendly ». Cet album au processus si difficile, maintes fois retouché et réarrangé, jusqu'à retarder sa sortie de six mois, est donc une réussite...
Partielle. Si
Lightwork retrouve des sonorités pop que le Canadien avait exploré à l'aide du
Devin Townsend Project dans
Addicted (2009), il a parfois – tout comme ce précédent projet – un côté anecdotique et limité. Dès les premières écoutes, un goût d'inachevé a tendance à rester en bouche et à persister dans le temps. Outre plusieurs redites qui placent les auditeurs en terrain connu, voire même déjà entendu (« Moonpeople ») et d'autres morceaux relativement random, il manque à cet opus précisément ce que
Devin Townsend a voulu lui enlever : le mur de guitares ou encore le côté surprenant et déjanté du Canadien ont été tous deux évacués, sans doute aidé par moult coups de balais de Garth Richardson. « Stop it ! », se dit-il sèchement dans « Moonpeople », comme pour se censurer lui-même et empêcher certaines « dérives » de sortir. Reste qu'écrire un album aussi positif et bienveillant est une démarche admirable qui honore son maître à penser. Elle implique toutefois des limites qui le cantonneront à une place spécifique dans sa pléthorique discographie. « Mes fans les plus jusqu'au-boutistes vont le tolérer » affirmait-il, lucide, en interview. C'est exactement ça,
Lightwork est un album tolérable, voire même agréable dans certains contextes. Une porte d'entrée idéale pour les néophytes ? Assurément. On pourra aussi en prescrire une dose en cas de petit coup de blues pour aider à remonter la pente. Mais s'il y a besoin de quelque-chose de plus fort, il faudra aller chercher ailleurs. Heureusement, l'armoire à pharmacie du docteur
Devin Townsend est extrêmement bien fournie.
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