Il nous avait déjà fait le coup de l'album solo dédié à la mer avec «
Biomech », de l'ode à Gaïa sur «
Terria » ou encore de la symphonie sylvestre sur «
Synchestra » … Bref, Devin nous avait habitué à placer ses albums solo sous le signe de thématiques plus ou moins élaborées, plus ou moins explicites. Et pour son grand retour après un long (
selon des critères Townsendiens) hiatus reposatoire (
oui bah ça aurait très bien pu se dire hein …), il remet le couvert sur « Ki », premier volet d'une tétralogie qui devrait mettre 2 ans à sortir dans son intégralité.
« Et tu n'aurais pas oublié de préciser la fameuse thématique de ce nouvel album bougre de rigolo? »
Eh bien, au risque de ne pas du tout être en phase avec la vision du maestro, voire même au risque que vous voyiez de la raillerie dans l'allégation qui ne va pas tarder à émerger de cette phrase à rallonge, la thématique de « Ki » est clairement le voyage au royaume de Morphée, la perte de conscience revigorante, bref le monde merveilleux du roupillon. De l'introductif « A Monday » - qui n'est autre qu'un réveil tranquille, brumeux mais serein - à « Demon League » - dans lequel Devin nous parle d'une voix dont l'écho cotonneux atteste qu'elle est perçue à travers l'épais brouillard d'un sommeil naissant mais déjà bien installé, « Ki » nous transporte par delà les couettes et traversins, de douces somnolences en cauchemars rampants, de rêves heureux en siestes paisibles.
Un album calme donc qui, quelque part (
et je parle là à titre personnel, Cyril n'épousant pas forcément mon point de vue là dessus), est exactement celui que j'attendais de la part du canadien furibard, victime d'un burn-out sévère à force d'enchaîner les sorties à une cadence infernale. Et si je comprends parfaitement la fascination qu'exercent les oeuvres de Devin Townsend sur le lapin jaune et bon nombre d'entre vous, en ce qui me concerne, le charme avait cessé d'agir depuis de nombreuses années. La faute à qui? La faute à deux chef d'oeuvres intemporels sortis en 1997, “
Ocean Machine” et “
City” (
non, je ne fais pas de dissociation avec SYL, c'est le même génie derrière la console), et qui avaient placé la barre si haut que je ne retrouvais par la suite ce sens aigu du sublime que par intermittence, sur “
Terria” ou “Alien” pour être plus précis. Ce qui m'a fait revenir dans le giron de Townsend ici, c'est la note d'intention d'un “Ki” jouant enfin la carte de la sobriété. Un album en forme de nouveau départ qui s'adresse plus aux fans de
A Perfect Circle que de
Fear Factory, réservé aux dépressifs chroniques amateurs de ballades mélancoliques? Ça tombe bien, j'en suis. Mais la meilleure façon de décrire “Ki” reste encore de piocher dans l'abondante discographie de l'homme orchestre, notamment chez
SYL. Prenez “Two Weeks” pour le caractère profondément apaisant de l'ensemble, “Bring On The Young” pour les parties les plus brutales (
“Disruptr”, “Gato”, “Heaven Send” et son break lead à la Steve Vai/Freak Kitchen ) et surtout Project Eko (
essai electro ambiant présent sur l'édition limitée de “Accelerated Evolution”) pour le côté easy listening, et vous aurez une bonne idée de ce qui vous attend sur cette galette. Ici accompagné de Dave Young (
déjà présent sur “Accelerated Evolution”), Jean Savoie et Duris Maxwell (
The Temptations, Jefferson Airplane ), Devin Townsend met la pédale douce sur la flambe et livre par moments la meilleure musique d'ascenseur qu'il m'ait été donné d'entendre (
“Ain't Never Gonna Win ...”), se laisse envahir par le spleen des longues soirées d'hiver (
“Winter”) avant de livrer un remake apaisé du lointain “Bad Devil” sur l'envoûtante “Trainfire”. Abandonnant le caractère factice de ses précédentes productions (
les autoparodiques “Ziltoid” et “The New Black”), Townsend tombe le masque et se livre à nouveau comme aux premières heures ce qui, en soit, fait déjà de “Ki” un album charnière.
On ne pourra qu'applaudir à cette prise de risque certaine et à cette sincérité stylistique retrouvée. Vous attendiez de Devin un ouragan de tartes dans la gueule, un mille-feuilles orgasmique de pistes de chant, un gros nez rouge au bout de la 6 cordes? Eh bien allez plutôt taper dans le back catalogue du canadien: dorénavant Devin s'assume tel qu'il est, et aujourd'hui justement, il a envie de se la jouer « Confessions sur l'oreiller ». Sûr que ça risque de faire grincer des dents. D'autant plus que si « Terminal » et « Lady Helen » sont pleins d'une douceur ouatée fleurant bon l'apaisement heureux comme seul l'angélique Mr Townsend sait l'inspirer, « Ain't Never Gonna Win... » ou « Winter » tombent quant à eux dans le travers du somnifère musical, un peu trop apaisants pour le coup ... Et quand Devin montre enfin les crocs sur « Disruptr » et « Gato », il fait plus dans le grognement rampant que dans le rugissement explosif. On évolue ici dans le sombre, l'inquiétant, la fêlure interne, le tout en petites touches. On est loin de ce que l'on attend habituellement du maître, c'est-à-dire la dévastation dans la violence, le divin dans l'exubérance, le réconfort dans le répit et le bouillonnement dans l'expérimentation. D'habitude le Devin, on s'attend à ce qu'il remplisse tout l'espace disponible, à ce qu'il fasse briller les chromes, bref à ce qu'il nous prenne par tous les trous. Or là le coït est tout en retenue, l'érection mollassonne … Beaucoup auront donc du mal avec cet opus, bien que – quand même – «Coast » propose un chouette début de ballade les cheveux au vent, que «Trainfire » joue le décalage crooneresque et revienne à des automatismes que l'on affectionne tout particulièrement (
cette jouissive poussée de densification sonore à 1:35), et surtout que «Ki » nous propose, après un début paisible, à partir de 4:18, une apogée flamboyante valant à elle seule chacun des euros mis dans cet album.
C'est à peu près la seule concession faîte par Townsend aux fulgurances passées (
avec le refrain addictif de “Trainfire”) mais elle se mérite, et il y a fort à parier que pas mal de clients habituels venus chercher leur part de rêve mettent les voiles dès l'entracte “Ain't Never Gonna Win ...”. Dans un jeu de miroir inversé avec “
Terria”, “Ki” concentre ses tares sur sa première partie, la plus heurtée, avant de capitaliser sur les bienfaits de la cure de sommeil prolongée de son géniteur. “Coast”, “Terminal” et “Winter”, aussi soporifiques qu'ils puissent paraître, sont les principales raisons qui m'ont poussé à rappuyer sur la touche play, “Disrupt”, “Gato” et “Heaven Send” faisant à mon sens orifice, pardon, office (
ça y est, voilà que je me glaumifie) de réminiscences (
vaguement) brutales plutôt pénibles. Paradoxalement, gagnerait-on à les exclure définitivement de la tracklist ? Rien n'est moins sûr, tant “Ki” charrie son flot d'émotions contradictoires, l'impression se dégageant au fil des écoutes pouvant varier au gré des attentes ou de l'humeur du moment. D'un point de vue plus général, “Ki” est un peu le symbole d'un éternel adolescent enfin décidé à devenir adulte. Imaginez un peu la réaction des fans de Spielberg lorsqu'ils se sont pris La Liste de Schindler en pleine figure ... Car pour un formidable title-track arrivant à la cheville de “Deep Peace”, le morceau maître étalon par excellence, combien de passages rébarbatifs, de riffs qui tournent à n'en plus finir sur les titres les plus metal (
pas des meilleurs, loin de là) de la galette ? Parfois exagérément longs, “Heaven Send” notamment, ils portent la marque d'un certain manque d'assurance du maestro, Devin Townsend hésitant sur la marche à suivre lors de la composition et de l'enregistrement de l'album. Concessions brutales composées à la dernière minute de peur de livrer un album trop mou (
et finalement retirées de l'affiche), artifices de production larger than life délaissés au profit d'une épure d'un genre caressé sur “
Ocean Machine” ou 'Accelerated Evolution”, voilà un album difficile mais une étape importante dans le parcours du canadien, usé physiquement et mentalement à trop vouloir se mesurer aux étoiles. Ses détracteurs diront sûrement que Devin vient de livrer ici son “
St. Anger” personnel mais l'homme ayant déjà beaucoup donné, ne peut-on pas tout simplement prendre cet album pour ce qu'il est, à savoir un skeud atypique (
mais ô combien essentiel) dans une carrière que l'on devine encore riche en surprises ?
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