Il y a des fois où il faut faire une pause, relax, zen, se ressourcer, s'extraire du cours des évènements et respirer enfin un peu. Dans ce genre de moments, le panard c'est un coin tranquille au fond de jardin, du soleil, et pendant quelques minutes, tout laisser derrière soi, bruit, stress, problèmes, sueur, luttes. La pause, celle où l'on laisse vagabonder ses sens et son esprit, où l'on se fond dans le décor et l'on devient l'espace d'un instant l'observateur muet de son propre soi intérieur et du spectacle à la fois simple et grandiose de la Nature dans toute sa diversité et son imposante présence. Pendant quelques minutes, sérénité, calme, plénitude, n'être plus que l'infime mais essentielle composante d'une fabuleuse et monumentale mécanique qui nous engloutit et nous protège tout à la fois.
«
Toc toc !
- Hein ?
- Réveille-toi, le sujet c'est « Terria », le 4e album de Devin Townsend !!
- Bah je suis à fond dedans là, ça se voit pas ?! »
Après 2 albums de
Strapping Young Lad qui jouaient avec la foudre, le tonnerre et le chaos, après 3 albums « solo » où il aura commencé à relâcher un peu la pédale de la violence – mais qui renferment néanmoins une dose impressionnante de rage, de folie et de puissance –, Devin avait lui aussi besoin de revenir à des sensations plus positives, plus sereines. Timidement – mais oh combien brillamment – il s'était déjà aventuré en ces terres (
mers) plus calmes avec
Ocean Machine, mais il n'avait alors pas encore osé s'y abandonner complètement. Avec Terria, hop, il se fout cette fois complètement à poil, oui, comme sur la pochette d'Infinity, et il arrête de faire semblant. Devin est calme, Devin va bien, Devin est serein, il ressent une sorte d'absolue plénitude, une osmose parfaite avec la Nature, l'Univers. Et comme à chaque fois qu'il est plongé dans ce genre d'état propices aux émotions vraies et aux sensations fortes, il s'en va magnifier tout cela à travers une musique semblant tout à la fois directement sortie de son coeur et tombée des cieux.
Bon, redescendons doucement mais sûrement dans des considérations plus informatives et descriptives, bien que la musique de ce sacré bon sang de Canadien pousse toujours à partir dans une prose uniquement mue par l'émotionnel pur. Ce disque présente donc une autre facette du bonhomme: vous l'avez compris, la dose de pure violence et de rage contenue sur « Terria » est cette fois bien faible (
même si elle n'est pas totalement absente). Fan de Devin depuis ses premiers albums, j'avoue qu'à la sortie de « Terria », les critiques – élogieuses – le décrivaient tellement comme LE disque calme et contemplatif de Mr Townsend que je l'ai sciemment évité, de peur d'être déçu. Bah ouais, en général, je préfère quand mon metal laisse des éclaboussures sur le papier peint, ou que tout au moins il invite à foutre un peu le boxon. Donc non, merci, sans moi, je préfère garder une image sans tâche du bonhomme.
… et puis finalement, bien plus tard, au détour d'un « Vampiria » assez peu représentatif, je me suis fait aspirer par
« Synchestra », superbe album qui faisait la part belle à la communion avec la Nature. Et putain que c'était bon! Arrivent là-dessus, suite à la parution en ces lieux des chros des premiers albums de maître Devin, nombre de recommandations martelant «
Et alors, Terria, un album aussi fabuleux, tu dois en être accro non ?» et encore «
Quoi, tu ne connais pas ce qui est sans doute l'un de ses tous meilleurs albums ?». Comment dans ces conditions continuer à ignorer cet album, mmh, je vous le demande? … et puis c'est Devin quoi, quand même!
Alors oui, « Terria » est encore une fois un chef d'œuvre monumental, véritable hymne au bonheur simple qu'est la vie sur une planète recelant tant de merveilles susceptibles d'imposer silence et respectueuse contemplation. C'est l'album où l'on arrête un peu l'introspection torturée pour accepter pleinement, et avec sérénité, sa condition et sa présence au sein de la création. C'est l'album du bonheur de se laisser engloutir dans l'immensité d'un coucher de soleil sur une majestueuse chaîne de montagnes, le tout goûté depuis le haut d'un massif verdoyant. C'est l'album de la ballade pieds nus dans l'herbe, le matin, quand la rosée n'est pas encore complètement évaporée, et que la journée est encore riche en promesses.
«
Et merde, j'ai dit descriptif et informatif vieux!
-Désolé, je redécolle à chaque fois … »
Allez, électrochoc: quels sont les reproches que l'on est en droit d'adresser à l'encontre de cet album ? Le choix des tous premiers pas qu'emprunte l'album. J'avoue ne pas être hyper fan de cette invitation à l'apéro très dépouillée qu'est « Olives », déformée, comme perçue depuis le fin fond d'un aquarium (
d'un ventre ?). « Terria » aurait mérité le « Let it Roll » qui débute
« Synchestra », bien plus approprié. On dirait un peu que ce n'est qu'à reculons, progressivement, que Devin va vers la lumière et le bien être, comme s'il avait peur de ne pas mériter ce bonheur. Il faut véritablement attendre « Earth Day » pour arriver enfin dans le jardin d'Eden, « Mountain » étant encore quelque peu (
mais raisonnablement) houleux et chaotique. Mais à partir de là, on ne retouche plus jamais terre, ce qui est paradoxal pour un album ainsi nommé. En metteur en scène de génie, Devin déroule tour à tour des chefs d'œuvre de fragilité et de délicatesse avec des moments de pure grâce où l'ampleur et la richesse du son donnent une impression de plénitude, de puissance et d'absolu. Et c'est tout le temps beau, aéré, frais, harmonieux. «
It's your birthday, it's on Earth Day » résonne dans une clameur magnifique comme l'annonce faite par un messager céleste aux humains. Et que dire du passage à 1:45! Ecrire un tel riff, ça mériterait la canonisation directe sans passer par la case Vatican. Puis on enchaîne sur « Deep Peace », morceau sur lequel j'ai failli chialer («
It's allright to cry … ») tellement on se prend des passages de guitare qui tapent directement dans la matière molle du cœur, là où ça pince quand vous vous laissez avoir par un mélo vicieusement ficelé: la lame de fond constituée successivement du lead à 2:53 – qui évoque l'apparition des premiers rayons d'un soleil émergeant derrière les nuages -, de cet autre lead cristallin, à 3:34 - où la splendeur de l'astre solaire commence à se révéler – et de l'illumination divine qui apparaît à 4:29 constitue une parenthèse dans la vie qui est au-delà des mots, un de ces moments comme on en trouve rarement dans l'histoire de la création musicale, où les notes ont le pouvoir de vous retourner le cœur sans dessus dessous.
Par la suite, Devin se donne pour mission de nous montrer que, sous ses dehors de froid et aveugle colosse, notre bonne vieille Terre est quand même bien accueillante. Il se fait alors rassurant, sur « Canada », bien qu'en parallèle il s'essaye à évoquer la magistrale puissance de Gaïa. Puis l'on est invité à goûter la quiétude d'un magnifique lever de soleil instrumental sur « Down And Under » (
ou bien est-ce un coucher ?) avant de partir pour une revigorante cavalcade à dos de cheval de par les larges plaines ensoleillées de « The Fluke ». On continuera de doux apaisements (
« Nobody's here ») en câlins Pink Floydiens qui se muent rapidement en chatoyants papillons musicaux (
« Tiny Tears »), pour arriver enfin à la fantastiquement calme et belle invitation au voyage qu'est le contradictoirement nommé « Stagnant ». Quel périple mes enfants! Quel incroyable tour dont on ressort complètement retourné, et pourtant léger et paisible! Même « Humble », le bonus track, est génial: de simple gratouillerie de guitare sèche un peu déconnante, on aboutit vite sur un long brouhaha étrangement mélodique qui semble n'être autre qu'une fenêtre ouverte sur le bordel intérieur à Devin l'extra-terrestre.
Vous retrouverez donc sur « Terria » la maestria habituelle du chef, l'ampleur du son, la richesse et la cohérence de multiples pistes entremêlées les unes aux autres, les chœurs de chérubins, les montées harmoniques en puissance, les instants de grâce pure, l'évidence et la beauté absolues de mélodies limpides … Devin quoi, aussi génial quand il est malheureux et désespéré que quand il respire la joie de vivre! « Terria » est frappé du sceau des albums légendaires: par la simple entremise d'une longue et douce caresse auditive, il vous transporte en des lieux et des temps qui existent bien au-delà de notre simple condition. Réconfortant, grand, puissant, chaleureux, Devin nous conduit dans les bras de la Terre comme on allait, étant mômes, se blottir dans l'étreinte parentale, quand tout semblait simple et sûr, l'avenir non obscurci des nuages du doute et le présent heureux.
Rien à foutre que ce soit son album « calme ». C'est tout simplement un pur chef d'œuvre. C'est Devin, et c'est encore une fois divin.
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