Fates Warning - Theories Of Flight
Chronique
Fates Warning Theories Of Flight
Déjà plus de trente ans que Fates Warning trimballe son étiquette d'éternel groupe pionnier du metal progressif. Leur discographie extrêmement riche n'a pourtant pas permis aux résidents du Connecticut d'atteindre les sommets de ceux de New-York, Dream Theater. Il faut dire qu'il leur a fallu une pause de presque dix ans pour apaiser la crise d'inspiration et les envies d'ailleurs de leur guitariste iconique Jim Matheos au début des années 2000. Reste que le combo n'a que rarement déçu ses fidèles, qui ont retrouvé avec une effusion mesurée ses riffs caractéristiques dans l'album du grand retour, Darkness In A Different Light en 2012. De quintet, la formation s'est réduite à quatuor pour ce nouvel album, puisque Frank Aresti se voit relégué au rang d'invité chargé des leads sur deux morceaux et n'a plus voie au chapitre sur les photographies promotionnelles du groupe. Portés par la voix gracieuse de Ray Alder, vocaliste emblématique qui a su avec moult difficultés faire oublier son prédécesseur des années 1980, les Américains utilisent également les talents d'une section rythmique de haute voltige : Joey Vera en tient la basse depuis la fin des années 1990 et l'excellent Bobby Jarzombek les fûts depuis l'opus précédent. Partagée comme de coutume entre les deux « historiques » du groupe, Jim Matheos et Ray Alder, la composition des morceaux de Theories Of Flight (2016) a été catalysée par l'énergie du retour, qui a bien profité à Fates Warning depuis 2012.
En effet, Darkness In A Different Light (2012) reprenait avec brio les ingrédients qui faisaient la signature du groupe, avec ses morceaux mélancoliques, aussi virtuoses qu'alambiqués. Il se heurtait toutefois aux limites inhérentes au groupe, avec quelques passages qui manquaient d'accroche et de cohérence. Theories Of Flight prend un bon virage, tout d'abord en raccourcissant sa durée à une cinquantaine de minutes et en privilégiant la puissance des mélodies. Ce pari fonctionne bien : qu'elles soient plus agressives ou intimistes, elles font mouche à chaque fois. Il n'y a qu'à entendre l'arpège contemplatif qui intervient au milieu du magnifique « The Ghosts of Home » pour s'en convaincre. Ces longs passages atmosphériques déposent systématiquement une chape de plomb dans le cœur avec un dosage en émotions que le quatuor américain sait parfaitement agencer.
« You're nowhere now... you're nowhere now...
I know it's hard to find...
A heart that's there inside !
It's hard to find... your heart... now ! »
Ce sublime refrain qui perce les effluves du morceau « The Light and Shade of Things » révèle une partie des intentions de Fates Warning. En effet, non content de proposer des morceaux efficaces et accrocheurs, Theories Of Flight répond à l'exigence de son registre en étant un album-concept abouti, développant dans tous ses morceaux sous forme de métaphore filée la thématique du voyage. Jim Matheos a voulu évoquer la période de son enfance, dans laquelle il a été bourlingué de cités en cités, déménageant huit fois en l'espace de neuf ans. Le guitariste fait le parallèle avec l'âge adulte et l'ère des tournées qui l'ont menées lui et son groupe aux quatre coins de la Terre. Associé au parolier Ray Alder, toutes les paroles de cet album gravitent ainsi autour du concept de changement de territoire et de la métamorphose intime qu'il implique, offrant un supplément évident de cohérence et de beauté à ses riffs. Les Américains ne s'interdisent pas de philosopher avec cette thématique : en se sentant quelque-part et nulle part à la fois, l'être humain est tenté de fuir, de s'évader, comme les oiseaux qui ornent sa belle pochette.
C'est aussi à ce parolier que Theories Of Flight doit sa réussite. La voix chaude de Ray Alder, usée par le temps et les cigarettes, prend des tonalités parfois rocailleuse qui animent avec une touche unique les morceaux virevoltants du groupe. En effet, on sent parfois notre homme sur la corde raide sans que sa performance n'en souffre le moins du monde : il a encore bien du coffre lorsqu'il prend un ton agressif dans l'excellente ouverture « From The Rooftops » mais sait aussi se faire doux et amical dans les passages intimistes, comme dans « The Ghosts of Home ». Alors qu'il fait le pari réussi d'aller bien souvent à l'essentiel, avec des intonations efficaces et racées, il n'oublie pas de gratifier les auditeurs d'envolées lyriques bien senties, sans fioriture, comme les tremoli qui habitent le début de « Like Stars Our Eyes Have Seen » avant d'introduire un refrain emblématique que notre homme transcende avec un naturel désarmant. Il en va de même pour celui de « Seven Stars », que ses mélodies vocales parviennent à rendre immédiatement tubesque :
« Seven stars, destination
calling out my name !
Seven stars, destination
take me far away ! »
Point de doute, beaucoup de chanteurs de metal progressif pourraient prendre des notes à l'écoute des performances de Ray Alder. Theories Of Flight est également réussi grâce à son instantanéité : dans le riff final du morceaux sus-cité, très percutant, ou dans les idées qu'il impulse à « SOS », deux morceaux plutôt courts, Jim Matheos a cherché à façonner des riffs attractifs, retrouvant par moment la belle inspiration qui coulait dans sa six-cordes dans le passé. Il est aussi capable de proposer des casse-tête techniques, comme l'ouverture « From The Rooftops », qui alterne plusieurs signatures rythmiques et passages expérimentaux fort bien fignolés et laissait présager d'un grand crû. Pourtant, cet album manque de ces moments historiques, de cet écrin épique qu'un groupe de cette stature avait le potentiel de lui sculpter. Le pari de concentrer sa durée est à double tranchant : certes, l'opus a le potentiel de résister au temps et aux nombreuses écoutes qu'il nécessitera, comme d'habitude, pour en saisir la saveur sucrée. Toutefois, il ne semble pas avoir les épaules assez solides pour s'imposer comme un album majeur du combo. En visant l'essentiel, Fates Warning a un peu oublié l'extraordinaire. Qu'importe, le quatuor a largement fait sa part dans ce registre, en révolutionnant et en renouvelant un pan entier du metal.
| Voay 5 Août 2021 - 932 lectures |
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