Mourning Beloveth - Dust
Chronique
Mourning Beloveth Dust
Les images d’Épinal concernant l’Irlande ont sans doute la vie tenace, mais l’on ne peut nier qu’elles donnent parfois une idée sur le quotidien de ses habitants. Et si pour certains, l’on va plutôt avoir des clichés tels que les beuveries dans les pubs, les lacs et les rivières, la musique folklorique, les légendes mais aussi la grisaille et la pluie, celles qui me viennent à l’esprit sont plutôt la dureté d’une vie faite de labeur, une Histoire qui rime le plus souvent avec des drames et des tragédies, avec souvent ce sentiment d’honorer ses anciens et ce lourd héritage. Oui, cette verte Erenn n’a jamais été épargnée au fil de son Histoire, et l’on ne peut nier que cela se retrouve le plus souvent dans la musique prodiguée par les Irlandais. Et à ce petit jeu, lorsque l’on évoque les sphères métalliques, l’on pense bien évidemment à Primordial, mais l’on oublie trop souvent Mourning Beloveth. Et dès ses débuts, l’on sentait bien dans la musique du quintet toute l’âpreté d’une vie faite de combats, de survie, de ressentis et de nostalgie.
Si Dust, leur premier album qui nous intéresse ici sortit au début de l’année deux mille un, la genèse de Mourning Beloveth remonte toutefois à mille neuf cent quatre vingt douze. Bien évidemment, les Irlandais sont passés par la case démo, avec Burden en mille neuf cent quatre vingt seize et Autumnal Fires en mille neuf cent quatre vingt dix huit, donnant déjà des gages de qualité quant à la musique proposée par Darren Moore et ses acolytes. Mais le groupe a su peaufiner ses compositions pour donner naissance à ce premier album, auto-produit il faut le rappeler et sorti dans sa première version par le groupe lui-même, passant tout de fois aux fameux Academy Studios sous la houlette du fameux Mags où bon nombre de formations anglaises ont mis sur bandes quelques classiques - Anathema, My Dying Bride, Cradle of Filth. Autant dire que l’on a une production digne de ce nom, ample sans être sèche et qui va convenir parfaitement à la musique déclinée par les musiciens, à savoir un doom death metal classique dans la forme mais tellement personnel dans sa déclinaison.
Nous sommes alors en deux mille un et alors que les piliers du doom death metal à l’anglaise sont passés à autre chose pour ce qui est d’Anathema et de Paradise Lost, et tandis que My Dying Bride opérait depuis peu un retour en arrière, Mourning Beloveth va reprendre cette grammaire musicale à son compte, mais y apporter clairement sa patte. Il est bien évidemment question de titres assez longs, où le rythme n’accélère que très rarement, à part sur le final de In Mourning My Days, et où l’on ne se fixe aucune limite quant à la répétition des riffs. C’est même cela qui fait un peu la différence chez les Irlandais par rapport aux références citées, c’est qu’outre le fait que leur musique ne s’appuie sur les classiques guitares, basse, batterie et chant, il y a une volonté de répétition parfois à outrance des mêmes riffs. À tel point que le titre le plus court excède tout de même les six minutes, ce qui est assez significatif, et ce sera d’ailleurs une constante par la suite chez le quintet, encore que nous ayons parmi les titres les plus concis du groupe ici. Mais ces longues compostions sont, d’une certaine manière, à rapprocher à de longues complaintes interminables qui n’ont pas leur pareil pour vous prendre aux tripes et faire passer le message des musiciens: il n’y a plus d’espoir, juste des regrets et les regards noyés dans un horizon lointain, grisâtre, bien évidemment.
Si l’on aime bien creuser le même sillon pendant de longs instants chez Mourning Beloveth, l’on n’en oublie aucunement ses aspérités mélodiques, ce qui est d’ailleurs l’une des grandes constantes de cet album et de son successeur, The Sullen Sulcus. Et là, je dois avouer que c’est un vrai travail d’expert, car il y a sur l’entièreté de ces titres, des leads, des harmonisations et des soli qui viennent enrichir la musique des Irlandais. C’est même en cela que le groupe se différencie aussi des autres formations évoluant dans le même genre, car le quintet n’a pas peur de laisser le chant de côté pour laisser la place aux guitares et leur permettre de s’exprimer plus longuement. Ne vous attendez pas pour autant à un défilé de notes ou bien encore à une démonstration technique stérile. Nous sommes ici très loin de cela. L’on a une juste expression de la part de Frank Brennan et de Brian Delaney de ce qu’est la mélancolie déclinée avec leurs instruments. L'on ressent au travers de ces mélopées ce sentiment de solitude que l’on peut éprouver lorsque l’on est seul au sommet d’une montagne ou d’une falaise, à humer l’air mouillé et froid qui fouette le visage et à repenser à toutes ses fêlures et ses échecs. C’est donc toujours fait avec justesse et talent, sans en faire des caisses et avec une certaine solennité. C’est cela qui rend la musique de Mourning Beloveth si attachante, notamment dans ces instants, tant c’est également fait avec une certaine retenue et une certaine dignité, sans toutefois sombrer dans le mièvre, je pense notamment à ce travail effectué sur The Mountains Are Mine et sur le titre Dust. Et l’on a aussi des arpèges à vous donner la chaire de poule comme c’est le cas sur ce fabuleux final du titre Autumnal Fires, l’un des grands moments de cet album, simples mais tellement efficaces tant ils sont évocateurs.
Mais pour beaucoup, la grande originalité de Mourning Beloveth c’est cette dualité des chants. Qui dit doom death metal dit évidemment growls caverneux et désespérés et dans ce domaine Darren Moore n’a sans doute rien à envier à d’autres chanteurs. Il incarne bien ce côté décharné et misérabiliste de la musique de Mourning Beloveth, avec une profondeur dans ses growls qui rend sa prestation assez puissante, et dans tous les cas très convaincante. C’est évidemment lui qui mène la danse le plus souvent sur tous ces titres, étant le chanteur principal. Il partage toutefois les lignes de chant avec Frank Brennan et son chant clair émouvant et prenant, empli d’émotion et qui donne cette coloration particulière au doom death metal de Mourning Beloveth, car l’on n’est pas dans des intonations plutôt gothiques comme chez un My Dying Bride, mais plutôt dans quelque chose de plus tragique et pas si éloigné de cela de certains groupes d’epic doom metal ou de Warning. C’est peut-être là où l’on peut retrouver cette filiation avec la musique traditionnelle irlandaise, dans ce côté complainte tragique, un peu dans la lignée d’un Liam Weldon. Dans tous les cas, cette juxtaposition n’est pas juste un argumentaire mercantile, mais bien tout ce qui fait la singularité de Mourning Beloveth, notamment quand les deux chants se juxtaposent et s’entrecroisent, comme c’est notamment le cas dès les premiers instants de The Mountains Are Mine. Mais l’on a aussi ces passages où Frank Brennan intervient seul, comme sur le titre Dust, ou sur les débuts de Autumnal Fires, qui constituent en mon sens l’acmé de ces titres, ceux que l’on attend comme une sorte de délivrance après avoir été enfouis sous une chape de pleurs. Et à ce petit jeu, je pense que le titre d’ouverture est une merveille du genre, car il résume sans doute toutes les qualités de cet album, et fait partie de mes classiques personnels.
Pour autant, l’attachement que l’on peut avoir à ce Dust va bien au-delà des traits personnels qu’auront apporté au doom death metal les membres de Mourning Beloveth. Évidemment que le caractère plus mélodique de leur musique, la mise en avant des guitares et la dualité des chants sont très importants dans la singularité de cette formation, mais il y a pour autant quelque chose de plus, et sans doute encore plus flagrant sur ce premier album, qui fait que l’on s’attache rapidement à ces cinq compositions. Déjà, le groupe n’abuse aucunement des mêmes tournures et soigne tout de même ses titres et sait, parfois, changer le rythme, sans le faire de manière abrupte et s’accorde des montées en puissance bienvenues. Mais je trouve qu’il y a un côté très viscéral qui se dégage de leur musique, à la fois tragique et poétique, et qu’il n'y a nul besoin de mille et uns artifices pour faire passer le message et transmettre des émotions. Certes c’est une oeuvre de jeunesse, peut être moins ancrée dans une filiation métallique pure jus - dans le sens où le son et la production sont plus en rondeur, contrairement aux albums suivants - mais bien plus dans un schéma de longues ballades irlandaises, où l’on prend le temps d’exprimer ses maux et ses réflexions sur l’existence, mais sans prendre les accents plus traditionnels que nous avons sur leurs deux dernières réalisations.
Il y a surtout une certaine beauté qui émane de ce Dust et que l’on ne retrouvera pas forcément par la suite dans les albums de Mourning Beloveth, à part peut-être sur Rust & Bone. Cette forme de beauté que l’on parvient à faire naître de la tristesse ou de la mélancolie, et que l’on est en mesure d’exsuder sans pour autant s’en départir. C’est en cela que Dust est une réelle et très belle réussite, car les Irlandais ont réussi à assumer pleinement un double héritage, aussi bien celui de leur pays, car l’on sent bien que derrière ces musiciens, il y a aussi le poids d’un certain passé, que celui du doom death metal à l’anglaise qu’ils ont su personnaliser sans le dénaturer. Surtout, tous ces éléments combinés ont donné naissance à une musique aux teintes grises et orangées, automnales évidemment, et auxquelles il est difficile de rester insensible. Il y a peut être le dernier titre, All Hope Is Pleading, qui est sans doute d’une qualité moindre que les quatre autres, mais au final cette heure de musique passe très rapidement, sans que l’ennuie vienne poindre, et où les images de l’homme seul face aux éléments et aux tourments de l’existence viennent très rapidement. Autant dire que ce Dust mérite amplement tous les louanges reçus depuis une vingtaine d’années, qu’il n’a d’ailleurs aucunement perdu de son aura, et qu’il reste sans doute la meilleure porte d’entrée pour découvrir Mourning Beloveth, ne serait-ce parce que cet album s’ouvre avec le fabuleux The Mountains Are Mine et qu’il sera difficile de décrocher par la suite. Bref, ne faites pas l’impasse sur cette formation bien trop discrète mais qui, depuis quasiment une trentaine d’années, accomplit un très beau travail avec humilité et inspiration, et qui mériterait une bien plus grande reconnaissance.
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