Mourning Beloveth - Formless
Chronique
Mourning Beloveth Formless
Après quelques années passées à travailler dans la musique, on se rend vite compte à quel point elle n'est aujourd'hui qu'un business de plus dont le succès dépend du bon respect de certaines règles. Le monde va vite, le temps est précieux, l'attention volatile. Il faut séduire, accrocher dès la première écoute et surtout rester dans les têtes ; tout contrevenant prend évidemment le risque de s'exposer à l'anonymat le plus total. Avec la progression des ventes digitales sur les ventes physiques, les modes de consommation évoluent également. La notion d'album perd de son sens, les gens achètent à droite à gauche uniquement les titres qui leur plaisent. Du coup, les *artistes* s'adaptent et rentabilisent leurs productions en sortant de plus en plus singles dont l'avenir semble plus prometteur. En repensant à ma jeunesse où j'enregistrais ma musique sur K7 à la radio et où on s'échangeait des CDs, je prends un sérieux coup de vieux.
Si je vous parle de ça, c'est parce que la découverte de "Formless", cinquième album de Mourning Beloveth, m'a fait sourire tant la démarche de composition d'un tel pavé contraste avec les lois du marché. 2 disques, 81 minutes découpées en 6 titres dont la plupart atteignent le quart d'heure, un style hermétique au possible, on ne pourra pas reprocher à nos Irlandais de faire dans le racolage. Pour être franc, j'ai même hésité à me jeter dans ce gouffre dont la profondeur semblait abyssale, par manque de temps et de motivation. Car du courage il en faut pour digérer une telle oeuvre et soyez sûrs que le groupe n'a absolument rien fait pour vous faciliter la tâche. Froid, lancinant et monochrome, le doom de Mourning Beloveth s'apparente plus à un marathon de la douleur qu'aux complaintes mélancoliques et nuancées de l'école scandinave dont je suis plus familier. N'attendez rien de gracieux, ni de plaisant : leur musique dégouline de crasse et prendra un malin plaisir à vous l'envoyer en pleine face. Les riffs répétés à n'en plus finir sont autant de coups de marteau sur un même clou rouillé s'enfonçant dans votre poitrine, limitant progressivement votre capacité de respiration jusqu'à l'étouffement. L'instrumentation minimaliste et l'absence d'arrangements viennent renforcer cette atmosphère oppressante, orchestrée d'une main de fer par les hurlements caverneux de Darren et le chant clair de Frank. Les moments de répit sont rares et il faudra vous y accrocher au début pour survivre au voyage ; les quelques passages atmosphériques où la lumière se fraye un chemin seront alors votre seule bouffée d'oxygène.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, malgré la durée exceptionnelle des compositions, les variations ne sont pas légion. Ne soyez pas étonné de pouvoir compter les riffs sur les doigts d'une main, même après plus de 15 minutes. Mais ici le temps n'a plus la même valeur, Mourning Beloveth est même parvenu à rendre cette notion totalement obsolète. L'écoute de chacune de ces pièces est à la fois courte et interminable, elle semble passer en un instant mais laisse des traces dans votre esprit qui paraissent avoir toujours existé. Y trouver des longueurs me paraît du coup être un non-sens ; ce n'est rien de plus qu'un choix artistique auquel on adhère ou pas. De plus, ces redondances dans le travail de composition permettent de mettre en valeur la qualité de chaque partie structurant l'ensemble : le groupe laisse leur poison se diffuser et crée un besoin maladif de voir plus loin. Les progressions se révèlent d'autant plus surprenantes et ne déçoivent à aucun moment car les Irlandais parviennent systématiquement à enchaîner les riffs et les ambiances d'une étonnante justesse. Sans artifice, sans surenchère, leurs mélodies simples et écrasantes vous prennent aux tripes, des finals épiques de "Ethics on the Precipice" et "Nothing Has a Centre", à la montée en puissance de "Dead Channel" en passant par l'intro hypnotique de "Theories of Old Bones"... Et quand leur doom à tendance funeral se tourne vers un néofolk plombant sur la conclusion "Transmissions", on touche pour moi à l'absolue perfection.
"Formless" est exigeant et n'offrira sa beauté glacée qu'à ceux qui s'y jetteront corps et âme. Dans le cas contraire, vous pourrez l'écouter et l'écouter encore sans en tirer la moindre émotion. Vous passeriez alors à côté d'une oeuvre personnelle à l'atmosphère unique, un bloc de souffrance façonné avec les années dont on ressent le poids à chaque seconde. Assurément une des sorties majeures du genre cette année.
| Dead 18 Avril 2013 - 2527 lectures |
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