Eyehategod - A History of Nomadic Behavior
Chronique
Eyehategod A History of Nomadic Behavior
Et vous, votre Sludge, vous l'aimez comment en deux mille un? C'est évidemment une vieille rengaine qui revient à chaque sortie ou presque d'un des grands noms de la scène de la Nouvelle-Orléans, mais pour le coup, l'on ne parle pas de n'importe lequel de ces grands noms puisqu'il s'agit EyeHateGod, le groupe qui est à la genèse de ce style depuis la fin des années quatre vingt. Beaucoup de choses se sont passées entre l'enregistrement de l'album éponyme, sorti en deux mille quatorze, avec notamment le décès du batteur Joe LaCaze remplacé depuis par Aaron Hill, collègue de Jimmy Bower au sein de The Mystick Krewe of Clearlight, des soucis de santé pour Mike IX - étonnant non? - et même pour l'indéboulonnable Jimmy Bower et le départ du guitariste Brian Patton, présent dans le groupe depuis Take As Needed For Pain. Entre multiplications de projets parallèles pour certains, changements de vie personnels, comme le déménagement à Richmond de Jimmy Bower, il ne faut pas plus d'explications pour expliquer le laps de temps assez long entre la sortie d'Eyehategod et le présent A History of Nomadic Behavior, même si quelques singles extraits de cet album avaient commencé à sortir à partir de décembre deux mille vingt. Quoiqu'on en dise, EyeHateGod est toujours vivant en deux mille vingt et un et loin d'être moribond.
Entre l'esthétique de la pochette, les images plus ragoûtantes et dérangeantes les unes que les autres à l'intérieur du livret, et même le premier extrait de cet album que fut High Risk Trigger, l'on pourrait dire que c'est encore la même chose de la part des Américains. En soi, l'on donnerait presque raison à cette assertion, car, bien évidemment, l'on reconnait EyeHateGod dès les premiers accords de Built Beneath the Lies: ces riffs non euclidiens, ce son chaud et ample, ces compositions déstructurés et le chant particulier de Mike IX, en grande forme sur cet album d'ailleurs. Tout y est ou presque. Ou presque. Et c'est dans le presque que l'on va trouver quelques signes d'évolutions de la part du quatuor, chose à laquelle l'on n'aurait sans doute jamais cru il y a encore quelques temps, car le précédent opus restait bien classique et assez rentre dedans par instants avec quelques brulots bien sentis. Attention, n'allez pas croire que Jimmy Bower et compagnie ont changé complètement de cap, EyeHateGod fait bien du EyeHateGod, mais il le fait différemment désormais. Et ce signe notable d'évolution est sans doute du au départ de Brian Patton, qui joue aussi dans Soilent Green, et qui devait sans doute apporter sa part de folie et de déstructuration dans la musique des Louisianais, et qui n'a pas été remplacé.
C'est donc une musique pensée et composée pour être jouée avec une seule guitare que nous avons désormais chez EyeHateGod, ce qui fait que si l'on a bien la lourdeur de bon aloi inhérente au style, l'on n'a pas vraiment non plus ce côté gras que l'on attend d'un album de Sludge. La production est ainsi un peu plus dépouillée que celles des précédentes réalisations, mais, incidemment, elle laisse plus de place à la basse de Gary Mader, que l'on n'a pas souvent aussi bien discerné chez ce groupe. Cela lui laisse même pas mal d'instants où il prend les devants. Toutefois, n'allez pas croire que le son d'EyeHateGod est devenu rachitique, James Whitten a fait un excellent boulot à la production, donnant toutefois un son plus rond, moins agressif qu'auparavant. Et puis Jimmy "Power" Bower n'a rien perdu de sa science du riff, car c'est toujours la force de frappe de ce groupe. C'est certes moins acéré qu'auparavant, mais il y a toujours ces passages au groove énorme, et chaque titre en est une belle démonstration, avec ce grain particulier dans son son de guitare, sans doute du à l'utilisation d'une tête d'ampli de basse. J'évoquais le groove particulier d'EyeHateGod, l'on retrouve aussi cette faculté d'écrire des titres non linéaires, où les cassures rythmiques sont toujours présentes, de même que ce côté "stop and go" dans pas mal de titres. Les titres sont en évolution constantes, passant d'un riff à l'autre avec toujours cette même aisance et lorsque le père Bower nous joue le coup de la redondance, c'est toujours avec un grand plaisir, je pense notamment au final de Circle of Nerves.
Ce que l'on remarquera si l'on veut jouer au jeu des sept différences par rapport au passé, c'est que le rythme se fait volontiers plus paresseux et que l'on a rarement des soubresauts proprement hardcore comme auparavant, mis à part sur The Outer Banks, et encore c'est seulement au détour d'un riff, car cela redescend assez rapidement. Surtout, et c'est limite un pléonasme au vu des origines géographique du groupe, mais c'est peut être l'album le plus Southern du groupe. Je veux dire par là que c'est celui où le mix entre le blues du Bayou et le côté Black Sabbath de la force prennent le pas sur le côté hérité de Black Flag et des Melvins. Cela reste bien évidemment du Sludge à cent pour cent, mais j'y ressent moins la tension des précédents opus, et moins le côté Metal extrême de la chose. De là à dire que c'est un EyeHateGod easy-listening, ce serait abusé, mais il y a un côté plus détendu, à l'image de ce petit jam d'un peu plus d'une minute sur Smoker's Piece. Mais si c'est moins la guerre qu'auparavant, cela en reste pas moins toujours aussi nocif, mais une nocivité qui prend son temps pour faire son effet. Je vais vous épargner les clichés que l'on colle souvent à ce groupe, mais il y a toujours ce côté un peu toxique et tourbeux qui émane de ces douze compositions.
Oui, ça peut prêter à sourire d'avancer une telle assertion, mais il y a tout de même ce côté qui pétarade sans coup férir sur de nombreuses compositions, je pense notamment à la fin de Built Beneath the Lies. Il y a encore ces tours de passe-passe qui font que l'on ne sait que très rarement sur quel rythme danser, ce qui aura toujours été une constante chez ce groupe. Il y a peut être moins de larsens qu'auparavant, mais par contre l'on aime bien faire joujou avec eux comme sur Three Black Eyes, où l'on fait exprès de jouer aux expérimentations un brin noisy avant de revenir aux fondamentaux. Doit-on voir ces douze titres comme autant de notes d'un carnet de voyage, en référence au titre de l'album? C'est un peu la sensation que cela donne tant dans les paroles toujours aussi barrées de Mike IX, mais aussi dans l'enchaînement assez abrupt des titres, où il n'aurait pas été si abscons que cela de n'en faire qu'une seule piste de ces douze titres, tant parfois certains s'enchevêtrent les uns dans les autres comme si de rien n'était. C'est aussi cela qui donne un cachet quasiment live à l'ensemble. Et Mike IX dans tout cela? Et bien il est plus royal que jamais avec son chant écorché et sa distinction si particulière et il crache toujours autant ses vers hallucinés et toxiques, toujours aussi empreints de haine envers cette société. Saper les règles de la société peut-on lire dans la page centrale du livret: il est bien question de cela à travers ces titres, avec sans doute comme bel exemple, cet hymne final qu'est Every Thing, Every Day, ultra répétitif à souhait dans ses paroles et qui se termine par un "kill your boss" éructé à l'envie. Simple mais efficace, à l'image de cet album.
Je sais que ce sixième album n'est pas du goût de tout le monde, notamment parce que l'on n'y retrouve pas forcément le grain de folie et le côté chape de plomb des précédents opus. Néanmoins, A History of Nomadic Bahavior est une réalisation satisfaisante et qui montre des signes d'évolution de la part d'EyeHateGod, ces petites nouveautés qui nous évitent d'avoir une énième réalisation du groupe avec les mêmes ingrédients. Bien que ces derniers n'ont pas fondamentalement changé, les saveurs en restent toutefois un peu différentes. Plus dépouillé, plus paresseux peut-être, ce album surprend toutefois par ses nouvelles dynamiques, son côté collant, même s'il est moins immédiat que ses prédécesseurs. Sa mise en bouche se fera plus longue, mais laissera en arrière goût cette sensation d'avoir décanté suffisamment longtemps dans un vieux fut de chêne. Les clichés ont la vie dure finalement, mais l'on peut aussi aimer son Sludge un peu plus détendu du riff, mais toujours empreint de son groove insaisissable et de ses hurlements comme autant de preuve de savoir faire unique et inimitable. EyeHateGod est toujours vivant, c'est déjà un exploit en soi, et est en bonne forme avec cette sixième livrée, dont l'on n'attendait pas grand chose à sa sortie et dont on se surprend à y revenir de plus en plus avec le temps. En cela A History of Nomadic Behavior fait bien son office, pas besoin de lui en demander plus.
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