Ossaert - Pelgrimsoord
Chronique
Ossaert Pelgrimsoord
L’on ne sait pas grand chose au sujet de Ossaert, si ce n’est que ce projet est apparu en deux mille dix neuf et qu’il a pour seul membre un certain P. - également membre de Shagor et de Weerzin - et qu’il a eu recours à un batteur de session en la personne de W. Damiaen, qui officie dans Laster et dans Mystagogue, entre autre, et qui s’est également occupé du mixage et du mastering de cet album. Le seul autre élément que l’on connait de Ossaert c’est sa provenance géographique, Zwolle dans la province d’Overijssel, aux Pays-Bas. Et sans doute aurais-je du commencer par cette information, car l’on a avec Ossaert un énième exemple de la très bonne santé de la scène black metal néerlandaise, avec des références actuelles telles que Turia ou Fluisteraars, parmi tant d’autres. Mais derrière ces têtes de gondoles, il y a bien une scène qui ne cesse d’étonner non seulement par sa quantité, mais, et surtout, par sa qualité. Et Ossaert fait partie de cette catégorie de groupes. Après avoir proposé son premier album, Bedehuis, en deux mille vingt, le Néerlandais proposait déjà son deuxième album, le présent Pelgrimsoord, en juin de l’année deux mille vingt et un, toujours pour le compte d’Argento Record qui compte en son sein moult formations des Pays-Bas qui méritent notre attention.
Pelgrimsoord se traduit en français par l’expression lieu de pèlerinage, et autant dire que le titre est approprié à la musique pratiquée par Ossaert sur cette réalisation. L’on commence d’ailleurs l’album avec le titre De geest en de vervoering et un sample d’une messe avec des chants et de l’orgue, avec un son assez vieillot, avant que tout ne s’emballe pour plus de quarante et une minutes assez haletantes et intenses. L’une des particularités de Ossaert c’est cette propension à proposer des titres longs, il y en quatre ici tout comme sur le premier album, et qui avoisinent ici les dix minutes. Il n’y a nul crainte à avoir sur la qualité des titres: l’on est loin d’avoir des titres linéaires, encore que la répétition des mêmes motifs est souvent de rigueur. C’est même ce qui fait tout l’intérêt d’Ossaert, c’est que P. sait vraiment varier les choses, et l’on a souvent une alternance entre passage plus aériens, ceux où les mélodies vont prendre le dessus, et d’autres bien intenses, avec d’excellents blast beats. Et chaque titre est un enchaînement bien soupesé de riffs et de passages vraiment entraînants. Pour l’essentiel, même si le projet de P. est assez personnel, l’on peut évidemment rapprocher le propos d’Ossaert du black metal norvégien, notamment dans cet aspect froid, un peu nostalgique, et agressif de la chose. Et par certains aspects, je ne suis pas loin de souvent penser au Taake de la trilogie des débuts, avec peut être ce côté païen en moins que l’on trouve dans le projet de Hoest. Mais il y a une versatilité dans le propos, sans que cela n’étourdisse, qui y fait grandement penser, pour notre plus grand bonheur.
Vous ai-je parlé des riffs? Ah ces riffs qui s’enchaînent ici, c’est purement un régal. L’on trouve tout ce qui fait que l’on a aimé un jour ou l’autre le black metal, dans ces riffs froids et acérés, qui prennent tantôt des traits volontiers agressifs, tantôt des pourtours mélodiques, et qui vous happent assez rapidement dans un tournoiement, digne d’un blizzard. Et c’est sans doute l’un des éléments, mais pas le seul, qui m’a plu chez Ossaert. L’on a le plus souvent des mélodies qui viennent se superposer avec deux lignes de guitares qui viennent se compléter, parfois en contrepoint, mais qui étoffent clairement l’ensemble. Et c’est clairement un délice. Surtout que l’on a une production aux petits oignons, parfaites pour le genre, qui met bien à l’honneur tout autant la guitare que la basse. Là aussi, c’est encore un élément qui me fait penser à certains classiques norvégiens, et là je vais me diriger vers le Nattens Madrigal d’Ulver, avec cette basse qui ne fait pas que suivre à l’unisson les guitares, mais qui s’autorise à des chemins de traverses et à des lignes vraiment excellentes, c’est le plus qui fait forcément la différence. Si le sieur W. fait des miracles aux manettes, le constat est également le même avec ses baguettes, avec un jeu bien varié et très approprié à la musique d’Ossaert. Si l’on ajoute à cela une très grande inspiration, et une volonté d’aller encore plus loin, et même plus haut au niveau de la qualité des compositions, l’on comprend aisément que même si les titres sont longs, ils vous tiennent en haleine sur toute la durée de cet album, avec même une montée en intensité au fur et à mesure des pistes, et, donc, un excellent final à la hauteur des choses sur De dag en de verschijning.
Et pourtant les instruments ne sont pas les seuls atouts d’Ossaert, il y a aussi, et même assurément, le chant de P. Et là, il faut avouer que c’est assez versatile, ce dernier sait tout autant avoir un chant black metal écorché, qu’un autre bien plus profond, et parfois à la limite du growl. Une variation du chant saturé qui suit bien les oscillations des riffs et leur intensité. Mais l’on sera aussi admiratif pour son chant clair qui apparait sur chaque piste et qui ne dénote aucunement, apportant tout autant de ferveur à l’ensemble, mais pas seulement. Il y a un côté un peu plus rageur dans ces lignes de chant clair, notamment sur les trois premiers titres, apportant aussi une touche de désespoir à l’ensemble. L’on a ainsi ce sentiment mitigé de colère mêlée de défaitisme sur ces instants. Quand l’on ne va pas sombrer dans une forme de folie, comme sur le dernier titre et son final qui n’est pas loin de nous faire penser aux premières oeuvres d’Urfaust dans le rendu de ce chant. Encore une fois, l’on va me surprendre à faire du name-dropping, mais pour le coup, Ossaert garde bien sa personnalité, et une forme de singularité. Et il est plus que clair que le chant greffé aux autres éléments donnent vraiment quelque chose de consistant et qui tient clairement la route. La variété du chant va enrichir ces compositions et leur donner, parfois, un petit côté chaotique. Dans tous les cas cela n’a rien du gimmick repris histoire de faire bien, l’on a à faire ici avec un musicien honnête dans son propos et intègre.
Si la qualité et la technique des musiciens sont au service des compositions de cet album, il y a surtout une ambiance assez prenante sur cet album. La pochette ne donnant aucun indice sur le groupe et sur le nom de l’album, a ceci d’étrange qu’elle met toutefois en évidence quelques signes cabalistiques. Aussi, ne serez vous pas surpris d’avoir ici quelque chose d’assez mystique et pour ne pas dire fiévreux, mais avec quelque chose de bien hérétique pour le coup, la thématique de cet album étant sans équivoque. Ainsi, cet album se veut tour à tour furieux, fervent et un peu tourmenté. Mais l’on y trouve aussi cette forme de mysticisme moyenâgeux, mais plutôt de ce bas Moyen-Âge, à partir du quatorzième siècle, qui a subit des calamités comme la peste, les guerres, les famines, et qui voit ses premières sphères urbaines se développer ainsi que le premier capitalisme, celui qui a exclu bon nombre de sans terres des campagnes et les a reversés dans les villes ou bien sur les routes à errer pour une bouchée de pain. Aussi, n’y a-t’il que peu d’espoir qui exsude de cette oeuvre, et la variété du chant, comme évoquée plus haut, va apporter un plus évident et être un marqueur de ces ambiances. Encore une fois, l’on sent bien ce sentiment de révolté héritée du passé, en sachant que la région dont provient Ossaert est assez riche en événements de révoltes notamment, et l’on ressent cela aussi à l’écoute de ces quatre compositions.
Au final, si l’on devait faire une check-list de tous les éléments inhérents à ce qu’il faut pour faire un bon album de black metal, Ossaert les coche toutes aisément avec ce Pelgrimsoord. Si l’on sent bien les influences du musicien derrière ce projet, elles sont complètement digérées et le groupe parvient à tirer l’épingle de son jeu avec cet album qui tient bien plus que la route. Pelgrimsoord est une très belle réalisation et une très belle réussite de la part d’Ossaert et l’on ne se lasse guère depuis plusieurs semaines à écouter et réécouter ces quatre compositions qui sont tout autant variées que riches, et dont je n’ai pas encore vu le bout en terme de détails dissimulés ça et là. Nul besoin d’insister sur le fait que cette réalisation mérite amplement le détour et devrait être accueillie avec un certain bonheur par tout fan de black metal qui se respecte. Dans tous les cas, Ossaert, avec cet album, a réussi à faire quelque chose de frais et d’intègre, avec pourtant des ingrédients bien connus, en impose clairement, et est digne d’être aligné avec certains noms plus ronflants et plus connus, et pas seulement au sein de la scène néerlandaise.
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