De temps à autre au fil de ces dernières années, nous voyons émerger en France des groupes qui cristallisent un mouvement social ou un courant de pensée, saisissent l’esprit du temps (le
Zeitgeist de la philosophie allemande) et suscitent par conséquent un engouement du public
metal comme de la presse qui, de mon point de vue parfois étriqué, se montre sans rapport direct avec la qualité musicale. Je le sais, la qualité est un critère soi-disant subjectif mais, c’est amusant, je n’entends cet argument que lorsqu’il s’agit d’art, jamais dans le monde professionnel « traditionnel ». Quand il y a un branquignol à la comptabilité, son incompétence notoire est unanimement reconnue, personne de sain d’esprit ne viendrait le défendre en argumentant que ses comptes de résultat sont certes erronés mais inclusifs, poignants de sincérité, coéternels… Qui sommes-nous pour juger quelqu’un qui foire son travail mais s’y consacre corps et âme ? À part un RH complètement possédé, personne ne se risquerait à endosser le rôle d’avocat.
Nous avons ainsi pu observer la vogue
HOULE, ferveur qui dépasse encore et toujours mon entendement,
GALIBOT pourrait connaître un destin assez similaire, le seul mal que je lui souhaite, grâce à sa récente signature chez
Les Acteurs de l’Ombre (une réédition d’
Euch’Mau Noir est planifiée en préambule du premier LP) et c’est aujourd’hui de
DOUVE dont il est question, nom que je connaissais avant même d’en avoir écouté une seule note, situation rare pour une formation aussi récente.
Quelques chroniques dithyrambiques, un confrère n’ayant pas hésité à attribuer la récompense maximale de 10/10 (ça ne sera pas mon cas, je le dis immédiatement), des
live report qui le sont autant, les plumes du milieu extrême racontent finalement toutes peu ou prou la même chose : la chanteuse
Asphodel officie chez le très apprécié
MORTIS MUTILATI (j’ai, à l’instar de beaucoup, multiplié les écoutes de
The Stench of Death), nous retrouvons de surcroît une ancienne
MOONREICH (la guitariste
Chloé Casasola, alias
Chlorure, créditée sur l’EP
Wormgod de 2019 puis également chez
MORTIS MUTILATI entre 2021 et 2024), ce
line-up composé de trois principes féminins accompagnés d’un principe masculin, le batteur, fait parler de lui. Ne voulant mégenrer personne, disons qu’il y a quatre personnes.
Mais il n’y a pas que cela qui fait parler. En effet, l’époque où la simple présence d’une femme tenant un instrument saturé surprenait est désormais loin derrière nous. En revanche, l’appellation
queer black metal qui définit le compte officiel Instagram de la bande ainsi que les thématiques de violences sexuelles (« Heureux ceux qui nous violent »), de dépression, de psychiatrie (« Un mur blanc couleur pilule »), tout cela pourrait tendre à biaiser le ressenti en déportant le commentaire sur des terrains autres que purement musicaux. Pour le dire clairement, je m’interroge sur la possibilité actuelle d’émettre un avis négatif sur l’album de
DOUVE sans devoir justifier de mon propre positionnement, comme si critiquer équivaudrait à cautionner les abus (majoritairement les actes d’hommes souvent proches, c’est statistiquement indiscutable) ou à montrer une quelconque hostilité envers les LGBTQIA+… Mais c’est certainement moi qui montre un trop-plein de de défiance vis-à-vis du fonctionnement de la société actuelle. Cependant, maintenant que le ver est dans le fruit, que déduirez-vous de ma notation ? Si elle est basse, est-ce parce que je n’adhère pas aux propos ou plutôt parce que je trouve que le
black pratiqué ici est améliorable ? Et si j’encense le disque, est-ce pour me prémunir d’une justification morale ultérieure ou parce que ce
metal noir s’avère réellement excellent, pour mes oreilles si ce n’est les vôtres ? Un terrain hautement miné. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir comment se situe le groupe vis-à-vis de cela : souhaite-t-il que ses positions soient abordées en tant qu’éléments constituants de sa musique ou juge-t-il au contraire préférable de s’en abstraire afin de porter l’attention sur l’essence qui intéresse le fan lambda, à savoir le rendu sonore ?
Dans
Sol, certaines choses fonctionnent bien, très bien même. Déjà, la voix de vieille sorcière effrayante d’
Asphodel réalise des merveilles sur l’ensemble des titres. J’avoue qu’elle justifie à elle-seule l’étiquette
black metal, les riffs étant quant à eux parfois davantage un sujet de discussion. Outre le poétique et apaisant « Interlude » acoustique qui démontre des capacités harmoniques hélas absentes par ailleurs, la chanson « Anamnèse » est un autre élément marquant de ce premier effort : ce récit d’un viol, narré d’un ton froid, neutre, cette scansion radiophonique détachée, complètement dissociée de la douleur physique et qui se termine en une déchirure vocale plus proche de la souffrance instinctive de l’animal battu que de la vocalise, même hurlée, cela marque profondément les esprits et remue un truc en-dedans, des sentiments pas nets qui dérangent par leurs exhalaisons malsaines. Néanmoins, pour ce qui est des autres compositions, je suis moins enclin à la position extatique car je trouve les parties de guitare et de batterie bien trop élémentaires, c’est-à-dire en-dessous du niveau de la chanteuse, le décalage entre la force des vocaux (ainsi que des textes) et les passages simplistes se faisant fortement ressentir : les arpèges bruts, les manches qui accrochent, l’heureusement rare chant angélique, les accords quasiment
stoner patauds de « Vestige » dans l’esprit bayou des
GLORIOR BELLI ou
PHAZM puis son pont mélodique final appuyé par cette gratte aux limites de ses possibilités techniques notamment en ce qui concerne la tentative de solo… Tout expose certes un esprit à la substance noire couplé à des thèmes saisissants mais l’exécution m’apparaît encore trop émotionnelle, manquant légèrement de structuration, voire de recul afin de transcender l’abjection primale en une œuvre manifeste poignante.
On pourrait me rétorquer que
DOUVE compose en utilisant ses tripes, son sang, son cerveau reptilien : je ne place pas l’émotion au-dessus du reste. Comme le disait Georges Brassens (je croyais que c’était Gotlib) : «
Sans technique, le talent n’est rien qu’une sale manie ». Et si la technique musicale pourrait être en l’occurrence amplement suffisante pour offrir un registre
raw germé sur les ecchymoses et les lacérations, la production qui amenuit la basse, la rend indistincte, presque douce, n’aide pas à densifier l’ensemble alors que c’est peut-être ce qui manque au LP : quatre cordes qui claquent sèchement, tel un pendu chutant de sa potence.
Cet argument, je pourrais moi-même me le retourner en disant qu’il ne me viendrait jamais à l’esprit de reprocher à
DARKTHRONE le dépouillement extrême de ses débuts et il existe pléthores de formations
black ou
death dont le formalisme se réduit à la plus simple expression. Mais à la différence de
DOUVE, il vit dans les deux ou trois notes de « Transilvanian Hunger » une monstruosité que les Parisiens ne font encore qu’effleurer, c’est normal. Je reconnais donc au quatuor un savoir-faire évident qui s’exprime dès le premier morceau « Heureux ceux qui nous violent », sans doute l’une des meilleures pistes de cette sortie : simple, rageuse, directe, possédant un refrain efficace qui se retient aisément et, surtout, brève. Entre trois et quatre minutes, c’est clairement la durée qui convient le mieux au
BM des Français, avec son
riffing dépouillé doté d’un esprit
punk rock salement artisanal. Je pourrais d’ailleurs écrire exactement la même chose au sujet de « Rien jamais personne n’existe » dont la dimension nihiliste saisit l’esprit («
Qui doit crever ce soir au clair de lune, L’agresseur, l’agressée, Qu’on vivre ou crève coupable ou martyr, Rien ne sert d’y penser ») ou encore d’« Un mur blanc couleur pilule », frontal, volontairement rentre-dedans et qui doit bien remuer la fosse des sceptiques en concert. Cependant, « Novembre » tente des choses auxquelles j’adhère déjà beaucoup moins : des rythmiques qui trouveraient parfaitement leur place au sein d’une galette
hardcore à l’urbanité affirmée, sans compter le chant clair vraiment dispensable car presque incongru dans ce contexte, alors que les mots s’inscrivent quant à eux dans une belle veine baudelairienne : «
Le ciel était comme un mur de prison » renvoie vraisemblablement aux vers du poème
Spleen : «
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle » ; «
Quand la terre est changée en cachot humide ». Il en va de même pour certains riffs de « Tout brûler » qui me font penser à du
rock français,
OTH par exemple, avec encore une fois une voix riche en sucre qui rend le titre rapidement lassant, d’autant qu’il dure plus de six minutes. Selon moi, nous sommes au-delà de la zone où excelle le groupe.
Je suis donc circonspect face à
Sol. Il est à la fois compliqué d’occulter l’extra-musical, et il s’agirait alors de débattre sur le fait de savoir si oui ou non les questions sociétales trouvent leur place dans le
black metal, ou plutôt de déterminer si l’appellation
black metal se justifie encore ici. Cela dit, il existe au moins un autre sous-genre qu’il ne faut pas nommer et qui se réclame lui aussi d’une idéologie politique du vingtième siècle, donc que l’on soit marin, mineur, magicien, queer ou végan ne devrait pas être un obstacle à la pratique du style. Faux sujet donc ? Je laisse la porte ouverte. Mais est-ce que
DOUVE joue du
black ? Il en possède les codes, tant esthétiques que musicaux, il le mélange à d’autres influences, minimes, qui me parlent moins, reste à savoir si la suite tiendra ses promesses ou si le projet disparaîtra par manque de consistance, les perspectives de renouvellement m’apparaissant à ce jour plutôt maigres même si je ne demande qu’à être démenti par les prochaines sorties.
En quelques mots, je conclurai en confirmant que nous sommes face à un premier scintillant glaviot de bile noire à l’épaisseur de mélasse mais que j’attends les prochains tomes pour définitivement voir en cette nouvelle engeance une branche d’avenir pour le
BM hexagonal d’abord, international ensuite car l’audace des thèmes a de quoi inspirer beaucoup de monde en dehors de nos frontières. À titre personnel, je souhaiterais des compositions moins longues, resserrées autour de l’atrabilaire, du cruel, épurées de toutes velléités mélodiques au profit d’un accroissement de la laideur, afin que l’auditeur puisse se noyer, désespéré, dans le puits sans fond de l’humaine immondice.
Par Jean-Clint
Par Jean-Clint
Par Lestat
Par Jean-Clint
Par xworthlessx
Par Ikea
Par AxGxB
Par Jean-Clint
Par Sosthène
Par Lestat
Par Krokodil
Par Niktareum
Par Jean-Clint
Par Jean-Clint
Par MoM
Par Jean-Clint
Par Sosthène