Deströyer 666 - Phoenix Rising
Chronique
Deströyer 666 Phoenix Rising
Il y a des albums qui changent une vie. Ceux tellement mauvais qu'en les lançant, tels des frisbees miroitants pour oublier que l'on vient de claquer son fric dans une daube, on touche un vase ming négligemment posé en haut d'un meuble Louis XVI qui tombant, broie tête de notre mère qui venait de nous déshériter après une violente dispute sur la compatibilité entre le port d'un titre de noblesse et le port des bracelets cloutés en société. Et puis il y a les albums tellement bons qu'ils pourraient nous en faire oublier tous nos soucis, lettres du fisc incluses.
Après un excellent Unchain The Wolves sorti dans l'anonymat le plus total en 1997 quelque part au pays des kangourous, Deströyer 666 a eu la chance de signer chez le label français Season Of Mist, qui offrit au groupe une belle promo dans l'hexagone. Et comme je suis un chroniqueur consciencieux, j'ai même pris soin de ressortir des vieux cds samplers datant de début 2001, où figurent les titres « The Eternal Glory Of War » (HRM n°66) et « Rise Of The Predator » (HnH n°32), pour vous le prouver. Une bonne pioche pour le label, qui se voyait alors confier la tâche de distribuer ce qui n'est ni plus ni moins que l'un des plus grands albums de metal de tous les temps, et je pèse mes mots.
Pour la précision historique, c'est avec cet album que le terme « war metal » s'est démocratisé. Certes, ce Phoenix Rising utilise quelques samplers de canons sur « Rise Of the Predator » ou de marche au pas sur « The Eternal Glory Of War » et, comme vous n'aurez pas manqué de le noter, les textes tournent principalement autour de thèmes comme les loups et la guerre, mais la où réside le paradoxe, c'est que Deströyer 666 ne fait pas du war metal. Il est d'ailleurs assez difficile de rapprocher le groupe d'un style en particulier, mais cet album lorgne principalement vers le black, mélangé à un thrash beaucoup plus raffiné que celui de Unchain The Wolves et moins agressif que celui de Cold Steel… For An Iron Age.
Si comme déjà dit, Unchain The Wolves posait les bases du style Deströyer 666, rien ne laissait présager une pareille évolution, d'un tel gain de maturité, en l'espace de trois ans. Comment le niveau du groupe a-t-il pu progresser aussi rapidement ? Révélation maligne, coma éthylique salvateur, réveil brutal en pleine nuit suivi d'un « Eurêka » ? Je ne saurais dire. Toujours est-il que sur Phoenix Rising, K.K. Warlust a su trouver les notes justes pour élever le black/thrash de Deströyer 666 à rang quasi-divin rarement égalé. Je me demanderai toujours comment avec quatre instruments et une voix, la musique de ce Phoenix Rising peut être à la fois mélodique, haineuse, brutale, malsaine, technique, épique, complexe et accessible à la fois, tout en étant toujours terriblement prenante et envoûtante.
Oui d'accord, je suis chiant avec mes superlatifs et mes adjectifs flatteurs, je vais donc essayer d'être un peu plus pragmatique. Commençons tout d'abord par une production très légèrement étouffée avec un léger brouillard de guitare qui est la marque de fabrique du groupe, et qui met en place une ambiance bien malsaine tout en préservant toutes les subtilités du jeu des musiciens. Si la voix et la batterie sont très avant dans le mix par rapport aux guitares, c'est surtout par leur clarté, ce qui a pour effet de rendre l'album ultra punchy même pour des morceaux mid-tempos comme « The Last Revelation ». Ajoutez à cela une basse ultra audible car ne jouant pas la même chose que les guitares, et vous obtenez une production parfaite : claire, nette, précise, malsaine et envoûtante, ce qui peut se faire de mieux dans l'univers du black metal.
Et heureusement que la production sert l'ambiance, tant celle-ci est importante dans la musique de Deströyer 666. C'est bien simple, à chaque seconde de cet album, on a l'impression que la guerre totale est derrière la porte, que l'apocalypse est pour demain, et qu'il ne reste plus qu'à embrasser les enfants pour partir faire on devoir de patriote au front.
Archétype du développement d'une ambiance chez Deströyer 666, le morceau « I Am the War God » commence par quelques subtils arpèges, avant qu'un duo de guitares entame une longue et magnifique ligne de doubles croches, la batterie allant crescendo dans la vitesse d'exécution tout en conservant un côté ultra martial par la frappe de la caisse claire à la croche, le tout évoluant vers un refrain où le titre est déclamé du ton le plus haineux possible, venant enfoncer le clou de la brutalité dans le cuir de la mélodie.
La chose qui frappe immanquablement l'auditeur attentif, c'est que n'importe quel morceau de Deströyer 666 est basé sur cinq riffs au maximum, le plus généralement trois ou quatre, parfois deux (et même un seul pour le morceau « Shadow » présent sur Cold Steel… For An Iron Age, qui est l'un des meilleurs de toute la discographie du groupe ! ). Mais là où réside le génie de K.K. Warlust, c'est sa manière de faire évoluer ces riffs subtilement mais sûrement, voire parfois de les mélanger, avant de s'époumoner sur le refrain du morceau et de repartir de plus belle sur la ligne mélodique principale du morceau.
Il est évident que la recette magique du groupe prend ses racines dans une question essentielle : à quoi cela sert-il de multiplier les riffs quand on peut en écrire un ou deux d'accrocheurs et les modifier légèrement en marquant la démarcation par un break d'accords ultra agressif ? Ainsi le morceau phare de Deströyer 666 nommé « The Eternal Glory Of The War » et composé de longue date (voir la chronique d'Unchain The Wolves) est basé sur un refrain ultra épique qui compose bien 80% du morceau et évolue vers toujours plus de brutalité, et de deux breaks servant à hurler le titre comme un forcené tout en permettant à la batterie de modifier sa vitesse d'exécution à la double grosse caisse. Il n'y a rien de plus simple, et pourtant l'effet est immédiat et garanti, et ne suscite jamais l'ennui tant le morceau en question est accrocheur.
Alors non, Deströyer 666 ne recherche jamais la complexité ou la technicité, mais simplement à faire la musique la plus accrocheuse possible. Et dans cette simple optique, elle devient tout cela à la fois ! Les leads magnifiques se greffent à merveille à l'ossature des morceaux, mais s'avèrent être parfois très techniques, telle que celle présente sur « The Birth of Tragedy » qui est tout en tapping. Et c'est sans parler des solos eux aussi plutôt rapides et complexes, et pourtant servant à merveille l'ambiance des morceaux. Car il faut effectivement noter que ce ne sont pas les autres instruments qui modifient leur phrasé pour laisser la place aux solos, mais bien les solos qui viennent se greffer avec intelligence sur une ligne mélodique, ce qui au lieu de couper l'élan d'un morceau comme le font généralement les solos des groupes normaux, ne fait que faire avancer le morceau en question dans son évolution et renforce encore si besoin était la cohérence de cette œuvre magistrale.
Et même les chants clairs sur la fin de « Lone Wolf Winter » ne font absolument pas tâche dans le tableau, le chant de K.K. Warlust venant se greffer dessus, accompagné d'un solo, de la ligne mélodique principale du morceau, d'une envolée de la basse et d'une batterie toujours aussi martiale. Pour moi, assurément le plus beau passage en chant clair de l'histoire du black metal.
Est-il encore besoin que je continue à encenser ce Phoenix Rising ? Vous l'aurez compris, la musique de Deströyer 666, alias le plus grand groupe de black/thrash de tous les temps, ne peut que laisser pantois d'admiration par la simplicité apparente avec laquelle elle a été composée. De prime abord très simple, elle étonne par le travail de fourmi qui a dû être effectué pour la faire évoluer sans arrêt, et l'ambiance qui en résulte est l'une des plus travaillées qu'il m'ait été donné d'entendre, comparable dans sa tangibilité avec celle de At The Heart Of Winter d'Immortal. Cette note n'est pas là pour marquer un énorme coup de cœur comme ce fût le cas pour les Mithras et Misanthrope précedemment, mais juste pour marquer le fait que ce Phoenix Rising est un chef d'œuvre absolu, et est pour moi comme pour d'autres, l'un des albums les plus aboutis du l'histoire du metal extrême.
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