Forcément, quand on a découvert Atrox avec l'un des 4 prédécesseurs de « Binocular », la pilule a du mal à passer à l'écoute d'un album où le chant est quasiment exclusivement masculin. Car Monika Edvardsen était manifestement pour beaucoup – je rapporte ce que j'ai lu de ci de là – l'âme du groupe, ou tout au moins la cristallisation vocale de son grain de folie. Et que sans elle, c'est un peu comme Faith No More sans Mike Patton, ou
Megadeth sans Dave Mustaine. Et donc vas-y que ça grommelle, que ça se recouvre la tête de cendres, que ça pleure des larmes amères, et que ça se roule en boule avec la morve au nez…
Sauf que – ô impiété ultime – le présent chroniqueur découvre le groupe avec cet album. Oh j'avais bien entraperçu les pochettes des albums précédents sur les encarts publicitaires de Season of Mist... Mais ils étaient régulièrement accompagnés des termes « doom », « gothique », « chant féminin », blablabla et fanfreluches, et que ça n'avait que modérément picoté les zones sensibles de mon anatomie... Mais dernièrement, qu'apprends-je – ô rage, ô désespoir, ô années perdues ennemies –? Le groupe serait avant tout complètement timbré. Même qu'il jouerait du schizo metal. Ecrasement violent de la pédale de frein, demi-tour et appel immédiat de la première VPC passant par là:
« Allo Speed Rabbit Metal? Vous me mettrez le petit dernier Atrox, « Binocular », oui c'est ça, et sans anchois. Non non, pas de digicode. Et c'est au fond de l'impasse.»
Ils avaient tous raison. Le groupe joue bien un metal décalé – d'avant-garde si vous préférez, puisque c'est le terme consacré – et sans trace de cordes vocales féminines au poste du distributeur de postillons. Quoiqu'il en soit, mamma mia: quelle expérience que cet album! Un grand plongeon dans un heavy thrash moderne, sombre et froid, baigné de multiples couches de zigouigouis electro/indus soft et enrobé d'un clavier qui – quand il s'exprime pleinement – donne soit dans des sonorités à la old
Amorphis, soit dans des zouaveries Charlie Olegesques (
ce solo complètement décalé et pourtant absolument parfait dès 4:03 sur la montée en puissance précédent le refrain de « Headrush Helmet »!). Et le qualificatif schizo n'est pas là que pour la vitrine, car cette musique donne effectivement l'impression d'être la B.O. de l'activité cérébrale d'un doux-dingue, hyperactif et confus, tendu et inquiet, en proie à de soudaines baisses d'activité comme à de brusques illuminations divines. Imaginez un peu ce que pourrait donner un
Nevermore en cours de cryogénisation dans un cellule capitonnée abritant un essaim de mouches électroniques bourdonnant follement autour d'un cadavre de clown pianiste, et vous aurez une idée de la coloration de l'album.
« Binocular » est à la fois déconcertant et enthousiasmant. Déconcertant car ce melting pot de sonorités prend fréquemment son public à contre-pied – d'autant que s'y invitent un peu d'accordéon, des bribes de violons, ainsi que des délires vocaux (
dont un passage de ragga/dub à 2:10 sur « Orgone ») –, et qu'après plus d'une vingtaine d'écoutes, la promenade, bien que devenue agréable, harmonieuse et familière, continue de recéler nombre de détours et de recoins sombres sur lesquels il est décidément difficile de faire la lumière, nombre de détails loufoques et de singularités qui défient l'analyse méticuleuse. Mais enthousiasmant, car cet assemblage déroutant d'éléments improbables réussit à donner naissance à un album non seulement fourmillant, mais fouillé, cohérent et fort. J'avoue qu'un tel exploit me laisse à peu près aussi béatement interdit que le spectacle des tonnes de metal d'un airbus se posant comme une fleur sur le tarmac d'un aéroport.
Si le secret de la recette exacte de cette étrange alchimie musicale reste difficile à percer, il reste cependant possible de discerner certains des éléments qui contribuent au succès de l'entreprise. C'est tout d'abord le chant de Rune, qui peut tour à tour être puissant, fêlé, froid ou dramatique, et qui rappelle parfois Warrel de
Nevermore, voire Martin de Skyclad, en mode « trapped in da Matrix ». C'est ensuite un sens inné du dosage qui fait que régulièrement une pause easy listening de velours vient offrir à l'auditeur une parenthèse d'oxygène au milieu du tumulte. Ou qu'un morceau à la trame insaisissable vient soudainement concentrer toute son énergie sur une brillante poussée d'émotions mélodiques à l'occasion d'un refrain fédérateur … Et qu'enfin les morceaux restent constamment animés par une rythmique, voire un groove carrément irrésistible. Le dernier ingrédient miracle, c'est un sens de la mise en scène dramatique qui fait feu de tout bois – samples non identifiés, pauses permettant aux forces de se rassembler, ou encore explosions épiques soudaines qui donnent au final l'impression d'écouter une longue et belle histoire, certes tourmentée, mais passionnante.
Atrox aurait pu s'enfermer dans son délire et ne rester ouvert qu'aux initiés et aux auditeurs les plus tenaces, mais le groupe a décidé d'éclabousser son univers de touches de couleurs variées, afin de laisser des repères aux oreilles inexpérimentées. Ainsi après un début fort mais mouvementé, le groupe lance une première bouée de sauvetage avec le tubesque « Headrush Helmet » dont le refrain (
The bomb bomb dropper!) est un phare éclairant les vaisseaux égarés au milieu de la houle et des courants contraires. Puis arrive un « Filthmonger » agressif qui rappelle presque
Fear Factory par moment. Sur « Binocular », ce sont les amateurs d'indus qui se retrouvent en territoire connu avec un riff incisif et typique du genre, à 2:47. Ce sont enfin les fans de heavy sombre qui se verront eux aussi hissés à bord du canot de sauvetage d'un « Castle Of Clowns » qui – s'il s'offre par ailleurs des parenthèses
Bunglesques – n'en démarre pas moins sur l'avancée lourde d'un guerrier blessé battu par une pluie cinglante, comme le genre les affectionne. Mais quel que soit nos préférences usuelles, il sera difficile de rester longtemps insensibles aux plongées dans le sublime régulièrement disséminées au long de l'album, que ce soit sur des refrains (
« You have no idea what's going on! », « C'mon you gotta show me how » …), ou sur ces soudains geysers metalliques (à 0:24 sur « Retroglazed », à 0:37 sur « No Coil for Tesla ») que le groupe excelle à laisser s'épanouir en fin de morceaux, sur « Orgone » comme sur les exceptionnels « Binocular », « Castle for Clowns » et « Transportal ».
Bon alors OK, Atrox-c'était-mieux-avant, je veux bien vous croire, il faudra d'ailleurs que j'aille le vérifier moi-même. N'empêche que pris en dehors de ce contexte « historique », il n'y a pas photo: « Binocular » est une merveilleuse tranche de metal non conventionnel à très grande cohésion, très forte personnalité et très haute inventivité. Au cours des écoutes, l'album n'a de cesse de progresser vers les sommets de l'estime de l'auditeur, l'addiction s'installant d'autant plus facilement que les passages grandioses typés « je crie ma colère vers les dieux, la main sur le cœur et les yeux rivés sur les étoiles » sont nombreux. Un album incontournable pour métalleux iconoclastes sans a priori.
4 COMMENTAIRE(S)
15/04/2010 22:55
Pour la folie de Monika (faut aimer...) tente Terrestrials, le mieux étant que musicalement ça tient superbement la route.
Pour l'instant j'ai prévu de m'acheter les 2 albums précédents. On va voir ...
15/04/2010 22:44
Pour la folie de Monika (faut aimer...) tente Terrestrials, le mieux étant que musicalement ça tient superbement la route.
13/04/2010 06:31
Je suis déçu.
Pour ça il faut aller voir l'annonce de la sortie de la chro sur le Facebook de Thrasho
12/04/2010 23:33
Je suis déçu.
Chro et extraits myspace intéressants!