Écrire quelque chose de potable sur Dirge m'est impossible. Mes petites ambitions de gratte-papier se sont trouvées ratatinées par les Français à chaque tentative. Pas seulement car leur musique devant tout à Neurosis et Godflesh finit par ne rappeler aucun des deux, pas seulement car chacune de leurs œuvres paraît au départ proche de la précédente pour finalement devenir toute autre, pas seulement car leurs ambiances entre post-industriel et metal dissous dans l'éther se font constamment impalpables et cependant marquantes comme une gifle propre, cinglante, concrète... Mais un peu car tout cela, ainsi que le bête sentiment de ne pas être à la hauteur d'un groupe ayant toujours fait son pain avec humilité, sans envie autre que réussir ce qui, malgré tout, devient un ovni à échelle discographique.
Dirge, en somme, il n'y en a pas deux comme lui, au point que je me demande parfois si les membres le composant sont de ce monde. Et c'est peut-être ça, le médiocre objectif auquel je peux seul me mesurer : tenter de montrer en quoi
Hyperion, pur album de Dirge, est fait d'une matière autre, sans jamais la salir en essayant de la définir puisqu'elle prend le mystère pour ultime plaisir.
En effet, l'impression qu'
Hyperion est le longue-durée efficace et lisible de Dirge ne dure qu'un instant, celui de « Circumpolaris » et ses guitares d'une contondante simplicité, donnant le sentiment qu'ils ont pris le Gritche en exemple. Passé ce qui n'est que la coupure nette pour mieux pénétrer l'ailleurs, le reste de l'heure dévoile un tout autre aspect du quatuor, ce dernier quittant les alchimies de rouille dont il s'est fait maître depuis
Blight and Vision Below a Faded Sun pour une thématique au premier abord nettement plus commune : l'Espace en grand format, la terreur et l'émerveillement qu'il procure.
Seulement,
Hyperion ne suit ni les traces de Rosetta, ni du Blut Aus Nord de
Memoria Vetusta II et encore moins celles du Krallice de
Years Past Matters. Non, ici on dépasse l'image et, dans un tour de main si naturel qu'il parvient à faire oublier son caractère d'exploit, absout et dissout. Ce sixième album n'est pas celui de la maîtrise – Dirge est un groupe qui, depuis ses débuts, maîtrise – mais bien celui où les Français parviennent le mieux à réaliser ce fantasme des musiques post si peu réussi ailleurs : devenir minerais en suspension, atomes flottants dans le néant sans âge, par des guitares tenant autant d'un metal calcaire que d'une cold wave élimant la matière avec douceur, un effritement continu et consenti, tant il paraît avoir pour origine une bienveillance nous poussant à nous dépasser pour rejoindre la soupe primordiale.
Hyperion transmet la douleur à s'extirper de soi mais reste constamment positif. Comme leurs frères de Kill The Thrill, les Français jouent du drame existentiel mais ne s'apitoient jamais sur leur sort, préférant dessiner un autre endroit où s'oublier temporairement, le rêve comme solution transmise par des voix victorieuses, si diaphanes qu'elles paraissent naître du vide. Les formats des morceaux sont peut-être plus courts que sur la course de fond
Wings of Lead over Dormant Seas, ils perpétuent cette capacité à mêler atmosphères mélancoliques et lumineuses au sein d'un même moment, sans jamais tomber dans le cyclique barbant des barbus contaminant le « style » post, par la répétition de motifs épanouissant de quiétude à aller vers l'élémentaire à la manière du final « Remanentie » ne semblant jamais finir, pour notre plus grand bonheur.
N'écoutez pas ceux qui déclareront qu'
Hyperion est triste. Le deuil du corps qu'il dicte n'est que peu de chose par rapport à ce qu'il offre en retour. Le dernier paradoxe d'un album qui en compte beaucoup est bien celui-ci : détruire, envoyer au-delà des cieux tout en restant constamment généreux dans son processus. Il y a bien sûr ces masses noires que sont les premières minutes de « Floe », « Hyperion Under Glass » et « Filigree », très down-tempo. Mais leurs suites font vivre tant de points lumineux que Dirge, avec toute la puissance narrative qu'on lui connaît, donne à penser que dans la vieille histoire de l'ombre contre la lumière, le ciel étoilé montre que là où il n'y avait rien au départ, la clarté prend le pas. Elle finira par gagner.
PS : Enfin, tout cela vaut essentiellement si vous arrivez à passer outre l'invitée présente sur « Venus Claws ». C'est peut-être un détail pour d'autres mais je préfère prévenir car, malgré de nombreuses écoutes, sa pertinence me pose encore question.
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