Définitivement, Dirge fait ça : cette impression de retrouver une musique familière, au point d’y baigner naturellement dès ses premiers babillements, et de se perdre dans mille réflexions à son écoute, quand se cherche la phrase qui la délimitera, la formule qui la désignera parfaitement.
Et, comme à chaque fois, c’est un peu honteux que l’on constate que c’est tâche impossible. Dirge, encore, ne se circonscrit pas, susurre à l’oreille les noms de Neurosis, Godflesh ou Red Harvest sans pour autant offrir une porte d’entrée certaine pour les scribouillards souhaitant un discours facile à son sujet. Ainsi,
Lost Empyrean avance camouflé, laisse penser au premier abord qu’il est potentiellement le disque par lequel les Français trouvent leur voie et se simplifient, perpétuant cette plongée dans l’espace vécue plein-pot lors de
Hyperion, leur essai de 2014. L’espace comme terrain de jeu, ces nouvelles cinquante-neuf minutes transmettent en effet des sentiments d’apaisement et de voyage que, en plein survol, on pourrait avoir déjà l’impression de connaître, regrettant la magnificence franche qui guidait les posteux chez l’ainé direct du disque nous intéressant aujourd’hui.
Idiotie que tout cela, de la part d’une personne qui ne semble pas avoir retenu la leçon. Celle de ne pas se fier à cette lisibilité de surface, cette simplicité qui est en réalité la fluidité d’un groupe sûr de son identité. Celle de ne pas oublier que tout est dans les nuances, ce monolithe trouvant ses attraits principaux dans ses aspérités, ses courbes qu’il faut deviner derrière son opacité, ses mouvements en gravité zéro. Enfin, celle de ne pas se dire trop vite que l’on a peut-être assez goûté cette musique-ci, alors qu’elle est d’une teneur autre, hybride et inédite, même après tant d’années et de détours.
Lost Empyrean, sans surprise, est une nouvelle preuve de la suprématie de Dirge sur le paysage post metal. Et c’est bien la seule chose certaine que l’on peut déclamer à son endroit.
Ainsi, Dirge affine davantage son style particulier sur
Lost Empyrean, grattant et limant le bloc colossal qu’est son cœur, pour un résultat qui évoque l’imagerie stellaire de
Hyperion tout en possédant la fragilité, l’extrême transparence, du vitreux
Elysian Magnetic Fields. Il y a une aigreur et une nostalgie palpables dans ces boucles de guitares, ces voix humaines à la clarté semblant provenir d’un autre temps, ces claviers qui explorent le vide entre les étoiles comme des signaux de machines satellitaires à destinataire inconnu. Emmené hors du temps, comme pris dans un état contemplatif frôlant celui végétatif, on stationne dans des compositions s’écoutant comme des chapitres d’une histoire de science-fiction où le décor aurait le rôle principal, contant les ruines de civilisations technologiques désormais disparues. Il y a pourtant une certaine vigueur ici, dans cette statique qui pique, ces planètes indifférentes rendues à la taille de billes. Comme une vie qui continue, au-delà de la conscience, au-delà d’un regard cherchant à y trouver du sens. L’immuable cours des choses, à l’échelle de l’univers.
Autant dire que ce n’est pas bien peu, que Dirge ne fait pas ici qu’uniquement offrir une plongée plus approfondie tout en restant connue : il y développe une autre facette de lui-même, continue son évolution aux racines industrielles, metal et hardcore vers une concision qui n’oublie pas la magnitude, des ambiances ascensionnelles qui n’oublient pas l’émotionnel. Formellement sans défaut, la petite heure en sa compagnie s’écoulant hors de la réalité quotidienne (ce qui est bien ce qu’on recherche dans ce genre de disque – et que l’on trouve si peu !),
Lost Empyrean se départage chez moi des meilleures œuvres de la bande qu’en fonction de facteurs externes, hautement personnels. En effet, là où
Wings of Lead Over Dormant Seas m’avait donné le coup de foudre pour la formation,
And Shall the Sky Descend rappelé mon amour pour les terres mécaniques et désolées de ma Lorraine d’origine,
Hyperion subjugué de ses atmosphères grandioses, ce nouveau longue-durée, lui, m'évoque surtout l’admiration que j’ai pour ces vieux de la vieille paraissant errer dans une dimension parallèle à la nôtre, où leur art se développe selon des logiques propres. Autrement dit, une œuvre qui, bien qu’excellente, ne me marque pas autant que d’autres mais reste constamment à la mesure de ce groupe marquant qu’est Dirge.
Franchement, des fois, je me dis qu’il n’y a que Neurosis et lui…
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